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encore, je demeurais même rue, au no 19. On se voyait deux fois le jour.

La Révolution de juillet 1830 arriva. J'étais absent pendant les trois journées, et en Normandie, à Honfleur, chez mon ami Ulric Guttinguer. Je raccourus en toute hâte. Je trouvai déjà le désaccord entre nos amis du Globe. Les uns étaient devenus gouvernementaux et conservateurs subitement effrayés. Les autres ne demandaient qu'à marcher. J'étais de ces derniers. Je restai donc au Journal avec Pierre Leroux, Lerminier, Desloges, etc. Leroux n'était alors rien moins qu'un écrivain. Il avait besoin d'un truchement pour la plupart de ses idées, et je lui en servais. J'y servais aussi mes amis littéraires. L'article du Globe sur Hugo, cité dans le livre de Hugo raconté par un témoin de sa vie, et qui est des premiers jours d'août 1830, est de moi. Je revendiquais le poëte au nom du régime qui s'inaugurait, au nom de la France nouvelle. Je le déroyalisais (1).

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(1) M. Sainte-Beuve a recueilli depuis, à son tour, cet article dans le tome XI des Causeries du Lundi. Il en est le couronnement et la fin. Je rappellerai ici un autre article de lui (no du 20 septembre 1830), de ce nouveau Globe, que je ne puis m'empêcher de citer. Ah! l'on était vraiment patriote en ce temps-là, plus qu'aujourd'hui, et l'on sentait autrement les outrages politiques! Il me fut impossible un jour d'achever la lecture de ces lignes, et M. Sainte-Beuve, qui m'écoutait, étouffa lui-même ses larmes : « C'est mardi que doit avoir lieu, en place de Grève, la cérémonie funèbre en l'honneur de Bories et de ses compagnons d'échafaud. Le gouvernement,

Les bureaux du Globe étaient rue Monsigny dans la même maison qu'habitait le groupe saint-simonien. De là des relations fréquentes. Lorsque Pierre Leroux, forcé par la question financière, vendit le

à ce qu'on assure, est fort effrayé de ces démonstrations publiques, et les journaux du parti rétrograde et stationnaire ne négligent rien pour augmenter ces frayeurs, pour réprimer ces élans de piété patriotique. Que le gouvernement soit un peu fâché de voir se faire sans lui une solennité qu'il aurait dû être le premier à consacrer, c'est une conduite toute simple de sa part, conséquente à celle qu'il a tenue jusqu'ici, et qui n'a pas lieu de nous étonner. Mais que des journaux, qui se piquent d'accepter et de vouloir le régime nouveau, combattent ouvertement, par des raisonnements empruntés à l'ordre légal, cette expression publique de pieux souvenirs; qu'ils viennent nous montrer dans Bories et ses compagnons des hommes pleins de courage sans doute, mais contraires aux lois; qu'ils nous rappellent avec patelinage que ce fut un jury et non un tribunal révolutionnaire, non une cour prévôtale, qui fit tomber ces têtes; -comme si ce jury n'avait pas été désigné par le préfet, contrôlé par le président du tribunal et présidé par un agent du pouvoir; — que, par une induction odieuse, jésuitique et impie, ils ne voient dans Bories et ses compagnons que des enne mis de cette Restauration dont MM. de Polignac, de Peyronnet et autres étaient aussi les ennemis à leur manière, et qu'ils assimilent sans pudeur les victimes de 1822 aux traîtres de 1830, il y a là une révélation profonde sur la manière dont un certain part juge ce qui s'est passé en juillet, et un précieux éclaircissement sur les arrière-pensées qu'il nourrit. Comme, selon ce parti, l'ordre actuel n'est que la continuation de la Restauration sous un autre roi, ceux qui furent à leurs risques et périls contre la Restauration et qui, la jugeant de bonne heure incorrigible et funeste, conspirèrent pour en délivrer la France, ceux-là peuvent bien être tolérés aujourd'hui, et on consent apparemment à ne pas trop les inquiéter sur le passé; mais il ne faut pas qu'ils se vantent trop haut de leur résistance d'autrefois, de leurs efforts périlleux; il ne faut pas surtout qu'ils songent à nous donner comme des victimes publiques leurs compagnons morts sous la hache pour avoir voulu

journal aux saint-simoniens, je ne le quittai point pour cela. J'y mis encore quelques articles. Mes relations, que je n'ai jamais désavouées, avec les saint-simoniens (1), restèrent toujours libres et sans

håter des jours meilleurs. Et puis, voyez-vous, qu'est-ce que ces pertes obscures dont on prétend faire tant de bruit? De jeunes sergents d'infanterie méritent-ils tant d'éclat? N'y a-t-il pas eu durant le cours de nos orages divers de plus grands morts? Ne convient-il pas, si l'on exige à toute force des solennités, de s'attacher à de plus nobles noms? - Comme s'il y avait de plus nobles noms que ceux de ces braves jeunes hommes à consacrer dans la mémoire nationale! comme si l'obscurité même qui les couvre encore n'était pas un soupçon d'ingratitude dont la nation a besoin de se laver! comme si ces conspirateurs de 1822 n'étaient pas de la même race de citoyens qui prirent le fusil et dépavèrent les rues au 27 juillet, tandis que certains partisans rigoureux de l'ordre légal s'empressaient lâchement de souscrire aux ordonnances! comme s'il n'y avait pas un héroïsme incomparable dans ces hommes, dont les uns, bannis, se sont laissé flétrir comme des agents provocateurs pour ne pas aggraver la position de leurs amis accusés; et dont les autres, voyant leur tête en jeu, ont assumé sur eux seuls la responsabilité fatale pour sauver les moins compromis! généreux, dévoués, se chargeant eux-mêmes, s'accusant de tout: Bories le premier, Bories, jeune martyr au front calme, au cœur résigné, plein de vertu et de génie, confondant ses juges, consolant et relevant ses compagnons; les soutenant sur la charrette du supplice contre l'horreur d'une mort méconnue; les faisant monter avant lui sur l'échafaud pour les affermir jusqu'au bout de son regard et de sa voix; Bories, figure mélancolique et sans tache, luttant contre l'oubli; nom sublime à inscrire dans la mémoire publique à côté des Roland, des Vergniaud, des Oudet, des Hoche et des Manuel! >>

(1) Émile Barrault, qui a précédé de si peu M. Sainte-Beuve dans la tombe, était naguère encore un de ses bons et très bons amis. Il venait voir souvent M. Sainte-Beuve dans les derniers mois, dînait quelquefois avec lui, et l'on aimait toujours à entendre cette parole éloquente et convaincue. C'était la voix vibrante, même

engagement aucun. Quand on dit que j'ai assisté aux prédications de la rue Taitbout, qu'entend-on par là? Si l'on veut dire que j'y ai assisté comme Lerminier, en habit bleu de ciel et sur l'estrade, c'est une bêtise. Je suis allé là comme on va partout quand on est jeune, à tout spectacle qui intéresse; et voilà tout. Je suis comme celui qui disait : « J'ai pu m'approcher du lard, mais je ne me suis pas pris à la ratière. >>

On a écrit que j'étais allé en Belgique avec Pierre Leroux pour prêcher le saint-simonisme : c'est faux.

On a cherché aussi à me raccrocher aux écrivains de l'Avenir et comme si je les avais cherchés. Je dois dire, quoique cela puisse sembler disproportionné aujourd'hui, que c'est l'abbé de La Mennais qui le premier demanda à Hugo de faire ma connaissance. Je connus là, dans ce monde de l'Avenir, l'abbé Gerbet, l'abbé Lacordaire, non célèbre encore, mais déjà brillant de talent, et M. de Montalembert. Des relations, il y en eut donc de moi

en causant, d'un apôtre : on l'écoutait avec respect, quand même on ne partageait pas sa croyance. Ancien représentant du peuple à l'Assemblée Législative, sous la seconde République, on l'eût pris plutôt pour un conventionnel, non point à sa parole qui était toute de fraternité et de paix, de persuasion et de douceur, mais à sa phy sionomie fine et rasée, dont le type, accentué de plus en plus avec l'age, était bien celui d'un représentant du xvIIe siècle; et il avait conservé les cheveux longs d'un prêtre ou d'un artiste.

à eux et d'agréables; mais quant à aucune connexion directe ou ombre de collaboration, il n'y en

a pas eu.

C'est en 1831 que Carrel, me sachant libre du côté du Globe, me fit proposer par Magnin d'écrire au National. J'y entrai et y restai jusqu'en 1834, y ayant rendu quelques services qui ne furent pas toujours très-bien reconnus. Le libraire, honnête homme, Paulin, savait cela mieux que personne, et il m'en a toujours su gré jusqu'à la fin.

En cette même année 1831, un biographe veut bien dire que M. Buloz m'attacha à la Revue des Deux Mondes. Il y a bien de l'anachronisme dans ce mot. M. Buloz, homme de grand sens et d'une valeur qu'il a montrée depuis, débutait alors fort péniblement; il essayait de faire une Revue qui l'emportât sur la Revue de Paris. Il avait le mérite dès lors de concevoir l'idée de cette Revue élevée et forte qu'il a réalisée depuis. Il vint nous demander à tous, qui étions déjà plus ou moins en vue, de lui prêter concours, et c'est ainsi que j'entrai à la Revue des Deux Mondes, où je devins l'un des plus actifs bientôt et des plus utiles coopérateurs.

Je composais, en ce temps-là, le livre de Volupté qui parut en 1834 et qui eut le genre de succès que je pouvais désirer.

En 1837 je publiai les Pensées d'Août, recueil

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