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de Poésies. Depuis 1830, les choses de ce côté avaient bien changé. Je n'appartenais plus au groupe étroit des poëtes. Je m'étais sensiblement éloigné de Hugo, et ses partisans ardents et nouveaux n'étaient plus, la plupart, de mes amis : ils étaient plutôt le contraire. J'avais pris position de critique dans la Revue des Deux Mondes. J'y avais, je crois, déjà critiqué Balzac, ou ne l'avais pas loué suffisamment pour quelqu'un de ses romans, et, dans un de ces accès d'amour-propre qui lui étaient ordinaires, il s'était écrié : « Je lui passerai ma plume au travers du corps. » Je n'attribue pas exclusivement à ces diverses raisons le succès moindre des Pensées d'Août ; mais à coup sûr elles furent pour quelque chose dans l'accueil tout à fait hostile et sauvage qu'on fit à un Recueil qui se recommandait par des tentatives d'art, incomplètes sans doute, mais neuves et sincères.

C'est à la fin de cette année 1837 que, méditant depuis bien du temps déjà un livre sur Port-Royal, j'allai en Suisse, à Lausanne, l'exécuter sous forme de cours et de leçons, dans l'Académie ou petite université du canton. J'y connus des hommes fort distingués, dont M. Vinet était le premier. Je revins à Paris dans l'été de 1838, n'ayant plus à donner aux leçons que la forme du livre et à fortifier mon travail par une révision exacte et une dernière main-d'œuvre. J'y mis toute réflexion et tout loisir;

les cinq volumes qui en résultèrent ne furent pas moins de vingt années à paraître (1).

En 1840, sous le ministère de MM. Thiers, Rẻmusat et Cousin, on pensa à me faire ce qu'on appelait une position. Il faut songer, en effet, qu'âgé alors de 36 ans, n'ayant aucune fortune que ce que me procurait ma plume, ayant débuté en 1824 de compagnie avec des écrivains distingués, parvenus presque tous à des postes élevés et plus ou moins ministres, je n'étais rien, vivais au quatrième sous un nom supposé, dans deux chambres d'étudiant (deux chambres, c'était mon luxe), cour du Commerce. M. Buloz, je dois le dire, fut des premiers à remarquer le désaccord un peu criant. J'en souffrais peu pour mon compte. Pourtant je me laissai faire. M. Cousin me nomma conservateur à la bibliothèque Mazarine. Je dois dire qu'il m'est arrivé quelquefois de me repentir d'avoir contracté envers lui ce genre d'obligation. Je ne suis pas de ceux qui méconnaissent en rien les hautes qualités d'esprit, l'élévation de talent et le quasi-génie de

(1) En cet endroit M. Sainte-Beuve a laissé à l'état de projet l'indication suivante tracée en quelques mots au crayon : « Ici le passage sur ce que dit M. Saint-René Taillandier dans la Revue des Deux Mondes (du 15 janvier 1864), et réfutation. » Il s'agissait d'une assertion erronée au sujet des relations de M. Vinet et de M. SainteBeuve à Lausanne. Cette réfutation, bienveillante du reste, M. Sainte-Beuve l'a écrite depuis ailleurs, dans le premier appendice du tome Ier de Port-Royal (édition de 1866); le chapitre a pour titre L'Académie de Lausanne en 1837.

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M. Cousin. J'ai éprouvé de sa part, à des époques différentes, diverses sortes de procédés, et, à une certaine époque, les meilleurs, les plus cordiaux et les plus empressés. Mais d'autres fois, et lorsque je me suis trouvé en travers ou tout à côté de la passion dominante de M. Cousin, qui est de faire du bruit et de dominer en littérature comme en tout, il m'a donné du coude (comme on dit), et n'a pas observé envers moi les égards qu'il aurait eus sans doute pour tout autre avec qui il se fût permis moins de sans-gêne. M. Cousin n'aime pas la concurrence. Je me suis trouvé, vis-à-vis de lui, sans le vouloir, et par le simple fait de priorité, un concurrent et un voisin pour certains sujets. Au lieu de m'accorder ce qui eût été si simple et de si bon goût à un homme de sa supériorité, une mention franche et équitable, il a trouvé plus simple de

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pas avenu ce qui le gênait. J'appliquerai au procédé qualites qu'il tint à mon égard, notamment à l'occasion de Port-Royal, ce que dit Montluc à propos d'une injustice qu'il essuya : « Il sied mal de dérober l'honneur d'autrui ; il n'y a rien qui décourage tant un bon cœur. » Un jour que je me plaignais verbalement à M. Cousin, il me fit cette singulière et caractéristique réponse :.« Mon cher ami, je crois être aussi délicat qu'un autre dans le fond; mais j'avoue que je suis grossier dans la forme. » Après un tel

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aveu, il n'y avait plus rien à dire. J'ai dû attendre, pour reprendre et recouvrer ma liberté de parole et d'écrit envers M. Cousin, d'être délivré du lien qui pouvait sembler une obligation, et d'avoir quitté la Mazarine. Il m'est resté de cette affaire un sentiment pénible à tout cœur délicat, et plus de crainte que jamais de recevoir rien qui ressemblât à un service de la part de ceux qui ne sont pas dignes en tout de vous le rendre et de vous tenir obligés pour la vie.

En 1844 je fus nommé à l'Académie française pour remplacer Casimir Delavigne. Je fus reçu par Victor Hugo; cette circonstance piquante ajouta à l'intérêt de la séance.

La révolution de février 1848 ne me déconcerta point, quoi qu'on en ait dit, et me trouva plus curieux qu'irrité. Il n'y a que M. Veuillot et ceux qui se soucient aussi peu de la vérité pour dire que j'y ai eu des peurs bleues ou rouges. J'assistai en observateur attentif à tout ce qui se passa dans Paris pendant les six premiers mois (1). Ce

(1) M. Sainte-Beuve m'a souvent raconté que, pendant l'insurrection de Juin, il se promenait dans Paris son parapluie à la main (c'est la seule arme qui ne l'ait jamais quitté, même quand il s'était battu et bien battu autrefois en duel au pistolet avec M. Dubois), et s'approchait autant que possible du théâtre de l'insurrection pour avoir des nouvelles. Et s'il eût pris parti, je ne crois pas que c'eût été en ce moment-là pour ceux qui avaient laissé s'engager l'insurrection. En pensant à la tranquillité de la Chambre qui siégeait pendant

n'est qu'alors que, par nécessité de vivre et en ayant trouvé l'occasion, j'allai en octobre 1848 professer à l'université de Liége, où je fus pendant une année en qualité de professeur ordinaire. Tout cela

que l'on s'égorgeait dans Paris, il rappelait l'effroyable mot de Sylla au Sénat romain. On entend un grand bruit au dehors; le Sénat s'émeut; on veut connaître la cause de ce tumulte : « Ce n'est rien, dit Sylla; ce sont vingt mille citoyens qu'on égorge au Champ-deMars. »Tous les amis de M. Sainte-Beuve lui ont entendu raconter l'épisode suivant des absurdes et à jamais odieuses journées, où l'on ne savait plus pourquoi on tirait des coups de fusil dans la rue. M. Sainte-Beuve se trouvait en compagnie du vieux M. de Feletz, administrateur de la bibliothèque Mazarine, dans son appartement à l'Institut même, avec quelques personnes. Le quartier avait été jusque-là tranquille et à l'abri. Tout d'un coup une fusillade est dirigée contre la façade même du palais Mazarin; les vitres volent en éclats; on n'a que le temps de rouler le fauteuil de M. de Feletz entre deux fenêtres, puis l'on n'entend plus rien. M. SainteBeuve descend, va voir ce que c'est; il trouve une compagnie de gardes nationaux de Versailles, qui venaient d'arriver, campés sur la place; c'étaient eux qui avaient tiré sur l'Institut. On cherche à savoir pourquoi. Ils avaient vu un homme sur les toits qui avançait prudemment la tête, et qui avait l'air d'être armé d'un fusil. Ils en avaient conclu que l'Institut était occupé par les insurgés. Or il était arrivé que la personne qui était ainsi montée sur les toits était un membre de l'Institut, logé dans le palais, M. H..., qui ayant vu venir des soldats se ranger sur la place avait voulu aussi savoir ce qui se passait, et avait choisi ce poste d'observation, s'y croyant parfaitement en sûreté et espérant bien de là juger de la situation. C'était lui que les gardes nationaux avaient aperçu et qu'ils avaient pris pour un insurgé les guettant. Horace Vernet, commandant de la garde nationale de Versailles, qui se trouvait justement à peu de distance, était accouru au bruit de la fusillade, et invectiva ses soldats de la belle manière. Ah! les... bétes ne manquèrent pas. Mais M. H... avait eu tort cependant d'être trop carieux.

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