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Ayant achevé cette rhétorique à treize ans et demi, il aspirait à venir à Paris recommencer en partie et fortifier ses études; il y décida sa mère, toute dévouée à l'avenir de son fils. Venu à Paris en septembre 1818, entré à l'institution de M. Landry, rue de la Cerisaie au Marais, il suivit les classes du collége Charlemagne à partir de la troisième. Dès la première année, au concours général de 1819, il obtint le premier prix d'histoire (l'histoire était une faculté tout nouvellement instituée dans les colléges) (1).

« En 1821, l'institution de M. Landry ayant

définitivement l'école et le collége cette année-là. Un autre Horace de 1760, en deux volumes et traduit en français, ayant également appartenu à M. Cloüet, porte quelques lignes de la plus jeune écriture de M. Sainte-Beuve, concernant la vie du poëte latin. Je lis encore, sur un petit exemplaire des Commentaires de César, qui lui venait aussi de son maître, ce court jugement de collége, daté, signé et paraphé : « César, grand capitaine et grand littérateur, d'un génie aussi élevé que d'un courage ardent, a laissé des Commentaires célèbres par la pureté du style, par la sagesse de la narration, par la justesse des idées. - Boulogne, 23 juin 1818. Sainte-Beuve. » — M. Sainte-Beuve a écrit depuis, dans ces dernières années (mais pour lui seul), un début d'article plus long, plus vif et plus complet sur César, qu'il a gardé en portefeuille.

(1) Et naturellement on lui donna pour livre de prix l'Histoire romaine de Rollin, qui n'est jamais sortie de sa bibliothèque, et qui y est encore à la même place. L'année suivante, il eut un prix de semestre, consistant en une jolie édition latine de Tite-Live, à Inquelle M. Sainte-Beuve a attaché ce souvenir particulier, en tête du premier volume : « 1820. Année de la naissance de M. le duc de Bordeaux. La ville de Paris décerna un prix cette année-là. Ja l'obtins surtout pour avoir fait une pièce de vers latins sur le sujet 2

XIII.

changé de quartier et s'étant transportée rue Blanche (Chaussée-d'Antin), le jeune Sainte-Beuve

qui nous avait été proposé de la mort du duc de Berry. Ma pièce commençait ainsi :

Ite mei fletus, et vos cum fletibus ite
Carmina, inæquali carmina capta pede.
Occidit heu! Biturix.

Inæquali carmina capta pede;

etc. »

à l'imitation de l'antique, l'éco

lier indiquait en quels vers (hexamètre et pentamètre) il avait écrit sa composition. - Il y eut encore, paraît-il, à Charlemagne, un nouveau prix de semestre, offert l'année d'après par la ville de Paris, et cette fois à l'occasion du baptême de M. le duc de Bordeaux. M. Sainte-Beuve obtint le premier prix d'excellence en rhétorique de première année (30 avril 1821). L'ouvrage qu'on lui donna et qui a conservé sur la garde l'inscription du collége avait son à-propos en ce moment-là : c'est la brochure toute de circonstance de Chateaubriand, Mémoires, Lettres et Pièces authentiques touchant la vie et la mort du duc de Berry (1820). — La Restauration n'abreuvait pas moins les chers élèves de l'université de son culte que le régime impérial précédent ne l'avait fait, mais elle pesait cependant moins sur eux; on n'était plus sous une main de fer. Je trouve aussi une Histoire du roi Henri le Grand par Hardouin Et enfin de Péréfixe, parmi les prix de M. Sainte-Beuve en 1821, un beau et magnifique Virgile (celui de Burmann, Amsterdam, 1746, en 4 volumes), qui fut son premier prix de vers latins au concours général de 1822, comme vétéran de rhétorique au collége Bourbon. Avec Virgile, nous rentrons dans l'un des goûts de prédilection de toute sa vie et qui avaient commencé au collége: HoLamartine! mère, Virgile, Racine, Lamartine. Le poëte élégiaque et attendri en Sainte-Beuve aima toujours à se redire ces beaux vers, qui avaient fait battre son cœur aux premières années d'adolescence. - «Ah! quand les Méditations parurent, disait-il, j'étais encore en classe (1820); j'avais seize ans; on nous laissait assez libres, à la pension Landry, de lire tout ce que nous voulions: nous n'étions pas, comme les écoliers d'aujourd'hui, obligés de nous cacher pour connaître ce qui se publiait au dehors de beau et de grand; il y avait un esprit plus large, un souffle plus géné

suivit les classes du collége Bourbon, où il fit sa rhétorique et sa philosophie ainsi que des mathé

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reux et plus libéral (sans prétention à vouloir le paraître) dans la façon de ce temps-là de comprendre l'enseignement. Nous lisions les nouveaux livres tout haut en récréation on ne se figure plus aujourd'hui, on ne peut plus se figurer quel enthousiasme, quel transport ce fut pour les premiers vers de Lamartine parmi ceux de notre âge; nous tous qui voulions faire des vers, nous fùmes touchés; nous ressentions là le contre-coup d'une révélation; un soleil nouveau nous arrivait et nous réchauffait déjà de ses rayons... >> - Et me transportant moi-même, aujourd'hui, de ces souvenirs d'un passé qui me revient par bribes des conversations de M. Sainte-Beuve, à l'autre extrémité de sa vie, à ses derniers mois, lorsque M. de Lamartine est mort (le 28 février 1869), M. Sainte-Beuve, qui allait le suivre de si près, ne crut pouvoir mieux honorer la mémoire du grand poëte qu'en relisant un soir, à table, après le dîner, d'une voix et d'un accent inspirés par le sujet même et dont la douceur et le charme pénétraient ceux qui l'entouraient, ces belles strophes, la plus belle musique de deuil qu'on ait écrite en poésie, et qui ont pour titre le Passé :

Arrêtons-nous sur la colline

A l'heure où partageant les jours, etc.

Je ne puis oublier la voix de M. Sainte-Beuve redisant presque de souvenir la strophe entière :

Reconnais-tu ce beau rivage?
Cette mer aux flots argentés,
Qui ne fait que bercer l'image
Des bords dans son sein répétés?
Un nom chéri vole sur l'ondel...
Mais pas une voix qui réponde,
Que le flot grondant sur l'écueil.
Malheureux! quel nom tu prononces!
Ne vois-tu pas parmi ces ronces

Ce nom gravé sur un cercueil ?...

On eût cru que M. Sainte-Beuve se redisait à lui-même le chant

funèbre de plus d'une illusion, à la fin de sa vie.

matiques. Il obtint au concours général de 1822 le premier prix de vers latins parmi les vétérans. 11 se livra ensuite à des études de sciences et de médecine, et il continua ces dernières jusqu'en 1827, c'est-à-dire pendant près de quatre ans. Il fit, pendant une année, le service d'externe à l'hôpital Saint-Louis, et en général il profita beaucoup de tout l'enseignement médical, anatomique et physiologique, à cette date.

« Cependant, dès l'année 1824, à l'automne, s'était fondé un nouveau journal, le Globe, dirigé par d'anciens et encore très-jeunes professeurs de l'université, que le triomphe de la faction religieuse avait éloignés de l'enseignement. Le rédacteur en chef notamment, M. Dubois, avait été professeur de rhétorique de M. Sainte-Beuve, ce qui facilita au jeune étudiant en médecine son entrée au Globe pour l'insertion d'articles littéraires : ces premiers articles littéraires qu'il y donna depuis 1824 et dans les années suivantes n'ont point encore été recueillis. Ils portaient en général sur des ouvrages historiques, sur des mémoires relatifs à la Révolution française, sur des ouvrages aussi de poésie et de pure littérature.

« L'Académie française ayant proposé pour sujet de prix le Tableau littéraire du XVIe siècle, M. Sainte-Beuve, sur le conseil de M. Daunou, l'ancien conventionnel et l'illustre érudit (lequel

était de Boulogne-sur-Mer), se mit à étudier le sujet, et, renonçant à concourir pour l'Académie, il se prit à vouloir approfondir le côté purement poétique du Tableau. Cela le conduisit à insérer dans le Globe, en 1827, une série d'articles qui furent recueillis en 1828 sous ce titre : Tableau historique et critique de la Poésie française et du Théâtre français au XVIe siècle (Paris, in-8°). L'ouvrage avait deux volumes; mais le second contenait simplement les OEuvres choisies de Pierre de Ronsard, avec notices, notes et commentaires. Cette réhabilitation de Ronsard et en général de la Poésie du XVIe siècle excita dans le temps une vive polémique et classa d'emblée M. Sainte-Beuve parmi les novateurs.

«< Et, en effet, dès le 2 janvier 1827, un article de lui inséré dans le Globe et qui fut remarqué de Goethe (ainsi que nous l'apprend Eckermann) avait mis M. Sainte-Beuve en relation avec Victor Hugo, et cette relation devint bientôt une intimité. Elle dura pendant plusieurs années et hâta le développement poétique de M. Sainte-Beuve ou même y donna jour. En 1829 M. Sainte-Beuve publiait, sans y mettre son nom, le petit volume in-16, intitulé Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme. Ce Joseph Delorme, sans être lui tout à fait quant aux circonstances biographiques, était assez fidèlement son image au moral. Ce petit volume classa

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