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poésie. En disparaissant à cette heure critique du siècle, il ne vit pas, du moins, les guerres civiles si fatales à la Muse, la discorde au sein de sa propre école poétique; il n'eut point à prendre parti entre protestants et catholiques, et à chanter peut-être, comme plus d'un de la Pléiade, à célébrer en rimes malheureuses des journées et des nuits de néfaste mémoire. Il a laissé une belle réputation, moins haute et par là même plus à l'abri des revers et des chutes que celle de Ronsard. Quand on le considère de près comme nous venons de le faire, il justifie, somme toute, sa réputation, si même il ne la dépasse pas il est digne de la conserver entière. Son titre principal est l'Illustration, dans laquelle il a souvent devancé et anticipé la théorie d'André Chénier, cet autre précurseur ardent, tombé également avant l'âge. Bien que de loin, de très-loin, et pour la postérité dernière, il ne subsiste que les grandes œuvres et les grands noms auxquels le temps va ajoutant sans cesse ce qu'il retire de plus en plus aux autres, c'est plaisir et devoir pour le critique et l'historien littéraire de rendre justice de près à ces talents réels et distingués, interceptés trop tôt, dans quelque ordre que ce soit, les Vauvenargues, les André Chénier, les Joachim Du Bellay, à ces esprits de plus de générosité que de fortune, qui ont eu à leur jour leur part d'originalité, et qui ont servi dans une noble mesure le progrès de la pensée ou de l'art (1).

(1) Le tome second et dernier des OEuvres françoises de Du Bellay, données par M. Marty-Laveaux, paraîtra dans le courant de septembre. Il contient les poésies de la seconde manière. Le

soigneux éditeur y a réuni toutes les pièces nouvelles concernant la biographie du poëte, les quelques lettres françaises qu'on a de lui. Il a, de plus, extrait des poésies latines de Du Bellay ce qui intéresse plus particulièrement sa vie. Indépendamment des notes du temps, il y a joint ses propres explications et commentaires.

Août 1867

MALHERBE (1)

M. Demogeot, professeur suppléant d'éloquence française à la Faculté des lettres, vient de publier un utile et intéressant volume, le Tableau de la Littérature française au xvII° siècle avant Corneille et Descartes (2). C'est là un sujet fréquemment traité et sur lequel, avant même que l'Académie française le proposât de son côté et le mît au concours, il s'est établi, depuis des années, une sorte de concours naturel et nécessaire. Il en est ainsi aujourd'hui d'un grand nombre de sujets, grâce à l'organisation des Écoles et aussi au développement de la presse périodique. Dans la presse, lorsqu'un nouveau livre important paraît, il est d'ordinaire examiné où agité par cinq ou six des plus habiles feuilletonistes ou chroniqueurs littéraires qui tous, dans l'espace de quelques semaines, y viennent tour à tour s'exercer, tournoyer, jouter, pousser ou briser une lance comme à un jeu de bague ou dans

(1) Cet article fut publié par M. Sainte-Beuve dans la Revue européenne.

(2) Librairie de Hachette.

une quintaine. L'existence des chaires publiques amène dans un cercle plus étendu un effet semblable et plus sérieux. Les professeurs qui ont eu à parler de la littérature française depuis près de trente ans, ont dû passer chacun à leur tour par quelques-uns des mêmes chemins et faire halte à très-peu près aux mêmes étapes. Ainsi M. Patin, avant d'être établi et fixé dans la poésie latine, M. Ampère, M. Saint-Marc Girardin, M. Gérusez, ont certainement, et au moins une fois pendant quelque semestre de leur enseignement, traité de cette période littéraire qui comprend la première moitié du xviie siècle. M. Havet l'a dû faire également à l'École normale. M. Nisard, qui dès auparavant avait eu les mêmes occasions, a résumé pour tous et a caractérisé avec netteté et force dans son Histoire de la Littérature française cette enfance et cette croissance du grand siècle et, là comme ailleurs, il a fait ce à quoi il excelle, qui est de donner à l'appui de la tradition les preuves morales qui la justifient et qui l'expliquent, de trouver des raisons ingénieuses et neuves à des conclusions généralement reçues. M. Demogeot enfin, le dernier et non le moins bien préparé, profitant des travaux des autres et des siens propres (car il est auteur d'un fort bon Précis sur notre histoire littéraire), vient aujourd'hui étendre, diversifier ses vues et renouveler avec esprit, avec vivacité et savoir, une matière qui n'est pas encore épuisée. Étant moi-même de ceux qui ont eu à parcourir cette période curieuse de transition, j'ai pris plaisir à le suivre, à revoir ce pays connu, à comparer ses impressions aux

miennes, à lui donner raison presque toujours, sauf quelques différences de mesure et de proportion, çà et là, dans les jugements. Ma lecture a été un continuel dialogue avec l'auteur. M. Demogeot est cause que je vais aussi parler avec lui, après lui, et des choses mêmes qu'il a le mieux dites.

Et tout d'abord, quand on présente un tableau des progrès de la langue dans la première moitié du xvir siècle, on rencontre au seuil l'écrivain qui a fait école et qui a marqué un temps décisif de réforme dans l'ordre de la langue et du goût : c'est un poëte, c'est Malherbe, l'inévitable. Je ne l'éviterai pas. Autrefois je l'ai pris comme à revers en débouchant des hauteurs du XVIe siècle et en redescendant de Ronsard; plus tard, je l'ai abordé plus uniment, de plain-pied, sans cependant l'embrasser encore. Pourquoi donc n'en reparlerais-je pas, dussé-je répéter bien des choses que d'autres ont trouvées dès longtemps, et quelquesunes de celles que j'ai dites moi-même ailleurs, mais en donnant cette fois à mes considérations tout leur développement et à ma description tout son jour? La route est battue; y faire remarquer, chemin faisant, deux ou trois points de vue nouveaux, les montrer, non point les créer, je ne prétends pas à plus.

I.

L'astre de Malherbe n'a pas influé seulement sur la poésie, il a influé sur la prose française, sur ses destinées futures et sur toute la direction nouvelle du

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