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Un portrait de son père, une miniature peinte en 1791, nous le représente avec des yeux bleus, le nez fort et fin qui, vu de profil, doit être recourbé, la narine bien ouverte; la bouche, qui devait être grande, est fermée comme par une habitude naturelle: les deux lèvres, sans être serrées et plutôt souriantes, relevées dans les coins, forment une ligne fine et longue sur laquelle la lèvre supérieure seule a un peu de relief et de contour, marqués par une légère teinte rose. Il y a une petite fossette indiquée au menton; le visage est rond et bien plein, le front large : une perruque poudrée encadre cette physionomie dont l'expression, dans son ensemble, est douce et pleine de bienveillance. Cependant on peut lire dans les yeux qui sont bien ouverts, bien vifs et bien arqués, et dans la commissure des lèvres, un peu ironique, une pointe et ce coin de malice et de moquerie qu'on dit être l'apanage de la race picarde. « A Boulogne on aime à se moquer, » disait quelquefois M. Sainte-Beuve. Et son père n'était pas uniquement de Boulogne: il était bien vraiment Picard. Physionomie claire et honnête, et sur laquelle on ne lit rien que de bon, de simple, d'intelligent, avec ce que ces qualités comportent naturellement de spirituel et de fin chez celui qui les possède et les montre à ciel ouvert sur son visage. C'est franc et net, avec tout ce dont la connaissance des hommes, et peut-être aussi bien, dans le moment

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dans celle de son père. Mais leur tempérament à tous deux était trop virgilien pour n'être pas éloignés l'un et l'autre de tous excès et de tout crime, comme la politique entraînait alors les partis à en commettre. en venant, un jour des dernières années, à parler de la plus récente de ces commotions politiques, où la terreur, qui n'était cette fois ni rouge ni blanche (puisque c'est ainsi qu'on désigne les deux autres), s'est de nouveau répandue sur la France, il me dit textuellement : « J'ai été pour le 2 avec tous les hommes de bon sens qui avaient besoin de s'appuyer sur quelque chose de solide et de stable; mais je n'étais pas pour le 3... » Et il avax longtemps ignoré les journées du 3 et du 4, dans le grand silence qui se fit alors. De même, et par un mot analogue, Me de Staël avait réprouvé autrefois les déportations dont le 18 fructidor, qu'elle avait appuyé, avait donné le signal.

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même, la conversation de l'artiste (qui avait nom Mme Favart) peut les éclairer de fine galanterie et de malice. ne sais si le souvenir du fils me ferait préjuger du père. Le costume est celui du temps: habit bleu, collet relevé et droit, gros boutons à reflet métallique, un gilet croisé d'une étoffe claire tirant sur le jaune, à pointes et à revers larges, la cravate fine et blanche en mousseline, entourant doublement le cou sous le menton, et bien nouée entre les deux revers du gilet. Un peu de poudre blanche est tombée de la tête sur le collet de l'habit bleu et sur l'épaule.

S'il y a dans ce portrait du père de la ressemblance physique avec son fils (et on peut y en voir), tous ceux qui ont connu Mme Sainte-Beuve mère (et sans parler des plus anciens voisins du quartier, il est encore des témoins, des amis qu'on est heureux de nommer, MM. le docteur Veyne, Auguste Lacaussade, Xavier Marmier, le poëte Auguste Desplaces, retiré dans le Berry, un bon ami d'Avignon, M. Charpenne) s'accordent à dire que M. Sainte-Beuve était son portrait vivant. « Elle avait de la finesse d'esprit, du bon sens et beaucoup de tact, » me disait, il y a quelques années, M. Paulin Limayrac, qui l'avait souvent visitée (1). Je me bor

(1) Armand Carrel venait quelquefois demander M. Sainte-Beuve chez sa mère, ce qui ne laissait pas de la troubler un peu : sans cesse préoccupée sur le sort et l'avenir de son fils, en bonne et simple bourgeoise qu'elle était, vivant dans la retraite, ayant connu dans son enfance des temps orageux et terribles, elle redoutait qu'il ne fût entraîné trop loin par une relation trop chevaleresque. - Et ce que toutes les mères et les pères aussi qui s'intéressent à la carrière d'un fils, lancé dans cette voie épineuse des Lettres, comprendront, elle ne crut véritablement le sien sauvé que le jour où il fut reçu de l'Académie française. - Je retrouve à l'instant même une lettre qui avait beaucoup touché M. Sainte-Beuve quand il la reçut, et dont il parla jusqu'à la fin de sa vie avec reconnaissance : c'est celle que lui écrivit M. le duc Pasquier le lendemain de la mort de sa mère. I me dit souvent: «Je reçus fort peu de témoignages d'amitié en ce moment là; et celui-ci était le moins obligé de tous. M. Sainte-Beuve aimait à parler du chancelier : il en eut assez souvent l'occasion, dans les derniers temps de sa vie, quand l'ancien secrétaire du duc, M. Louis Favre, qui vient de lui élever ce beau monument littéraire, un livre qui est un

nerai, ne l'ayant pas connue, au témoignage de ces qualités de son caractère et de son esprit.

exemple à suivre, venait s'en entretenir avec iui. M. Sainte-Beuve ne pouvait se rappeler l'amabilité simple de M. Pasquier sans l'opposer à la morgue pédante de certains hommes d'État parvenus du jour. Il était frappé du contraste d'un côté toute prévenance et toute politesse, de l'autre rudesse, ignorance, grossièreté. Voici la lettre du chancelier (Mme Sainte-Beuve était morte le 17): (Lundi 18 novembre 1850). Mon cher confrère, les nombreuses et douloureuses pertes que j'ai faites dans le cours de ma longue vie n'ont point épuisé en moi, grâce au ciel, la faculté de sentir profondément les misères de même nature qui atteignent autour de moi les personnes auxquelles je porte un véritable intérêt; et vous êtes à coup sûr au nombre de celles-là. Recevez donc mes bien sincères compliments de condoléance. Je trouverai quelque douceur à vous les redire au premier jour où il me sera donné de vous rencontrer. — Tout à vous et de tout cœur, PASQUIER. »

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Jomini envoyé à Napoléon; son Traité de grande Tactique.

La guerre a été le premier état naturel de l'homme à l'origine des sociétés : guerre contre les animaux de proie, guerre des hommes entre eux. La faim était la conseillère impitoyable. Puis les haines, les vengeances, le point d'honneur, éternisèrent les guerres entre les familles, les tribus. De race à race et dans

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