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trai en troisième sous M. Gaillard, excellent professeur et traducteur du De Oratore de Cicéron. M. Cayx professait l'histoire, qu'on venait d'ins tituer tout nouvellement dans les colléges. J'étais habituellement premier ou second, tout au plus troisième dans les compositions hebdomadaires. J'eus à la fin de l'année le premier prix d'histoire au concours. Je restai élève du collége Charlemagne jusqu'à la première année de rhétorique inclusivement. Nous avions comme professeur dans cette première année M. Dubois, depuis rédacteur et fondateur du Globe, mais qui n'acheva pas l'année, ayant été destitué. Sur ces entrefaites la pension Landry changea de quartier et alla s'installer rue Blanche; je la suivis et je fis ma seconde année de rhétorique au collége Bourbon, sous MM. Pierrot et Planche. J'eus au concours le premier prix de vers latins des vétérans. Mais j'étais déjà émancipé. En faisant ma philosophie sous M. Damiron, je n'y croyais guère. Jouissant à ma pension d'une grande liberté, parce que je n'en abusais pas, j'allais tous les soirs à l'Athénée rue de Valois au Palais-Royal, de 7 à 10 heures, suivre des cours de physiologie, de chimie, d'histoire naturelle de MM. Magendie, Robiquet, de Blainville, entendre des lectures littéraires, etc. J'y fus présenté à M. de Tracy. J'avais un goût décidé pour l'étude de la médecine. Ma mère vint alors demeurer à Paris, et, logé chez elle,

je suivais les cours de l'École (1). En 1824, le Globe se fonda. J'en fus aussitôt informé par mes anciens maîtres avec qui j'avais conservé des relations, et

(1) Je ne puis résister à reproduire ici un souvenir de famille (et véritablement de famille, car cette pension Landry en était une pour ses écoliers). C'est une lettre de M. Landry à Me SainteBeuve, que M. Sainte-Beuve retrouva un jour en ma présence et qu'il me fit lire. Elle nous émut profondément tous les deux par les souvenirs qu'elle remua en lui et les sensations évoquées qu'elle fit naître en moi. La voici. M. Sainte-Beuve a écrit dessus de sa main: «Lettre de M. Landry, mon maître de pension, à ma mère, au moment où j'allais quitter la maison après ma philosophie pour faire mes études de médecine. S.-B.»: « (Paris, 19 juin 1823.) Madame, je n'ai point écrit en réponse à votre lettre du dernier trimestre. J'ai chargé votre cher enfant de le faire pour moi, et j'ai cru que vous n'en seriez point inquiète. - Votre lettre du 12 courant, où vous voulez bien m'exprimer les mêmes sentiments, est trop obligeante pour différer plus longtemps de vous écrire. J'ai reçu l'effet... que vous m'avez adressé. Avec une exactitude comme la vôtre, ce qui restera... ne sera pas difficile à régler.-Vous avez la bonté de m'écrire que jamais vous n'oublierez notre maison. Soyez persuadée que nous n'oublierons jamais la bonne mère et le bon fils qu'elle nous a confié. Votre enfant n'est pas un de ces élèves dont on puisse perdre le souvenir. - Nous avons appris avec grand plaisir que vous venez vous établir à Paris auprès de ce cher fils; et vous espérez, dites-vous, que l'occasion se présentera de venir jusqu'à nous. Il y aura bien des heureux par ce moyen, et la chose ne se passera point en simples souvenirs. Le bon ami et la maman ne pourront nous faire de plus grand plaisir : et le plus souvent sera le mieux. Nous avons reçu le petit panier; ce qu'il contenait était excellent, je vous assure; nous avons bu à votre santé. La famille tout entière se joint à moi pour vous remercier, et votre respectable sœur en particulier, de toutes vos amitiés. Cette sœur quitte-t-elle Boulogne aussi? Dans ce cas les deux sœurs ne se sépareraient pas pour faire les voyages à la rue Blanche. J'ai l'honneur de vous présenter mes très-humbles hommages, Landry. »

j'allai voir M. Dubois, qui m'y appliqua aussitôt et m'y essaya à quantité de petits articles. Ils sont signés S.-B., et il est facile à tout biographe d'y suivre mes tâtonnements et mes commencements. A un certain jour, M. Dubois me dit : « Maintenant vous savez écrire, et vous pouvez aller seul. » Mes premiers articles un peu remarquables furent sur les premiers volumes de l'Histoire de la Révolution de M. Thiers et sur le Tableau de la même époque par M. Mignet. C'est vers ce temps aussi que, M. Dubois m'ayant chargé de rendre compte des volumes d'Odes et Ballades de Victor Hugo, je fis dans les premiers jours de 1827 (1) deux articles qui furent remarqués de Goethe (2). Je ne connaissais pas du tout Victor Hugo. Sans le savoir nous demeurions l'un près de l'autre rue de Vaugirard, lui au no 90, et moi au 94. Il vint pour me remercier des articles, sans me trouver. Le lendemain ou le surlendemain, j'allai chez lui et le trouvai déjeunant. Cette petite scène et mon entrée a été peinte assez au vif dans Victor Hugo, raconté par un témoin de sa vie. Mais il n'est pas exact de dire que je sois venu lui offrir de mettre le Globe à sa disposition. Dès ma jeunesse, j'ai toujours compris la critique autrement : modeste, mais digne. Je ne

(1) Nos des 2 et 9 janvier.

(2) Voir Conversations de Goethe, recueillies par Eckermann, traduites par M. Émile Délerot, t. I, p. 262.

me suis jamais offert, j'ai attendu qu'on vînt à moi. A dater de ce jour, commença mon initiation à l'école romantique des poëtes. J'y étais assez antipathique jusque-là à cause du royalisme et de la mysticité que je ne partageais pas. J'avais même fait dans le Globe (1) un article sévère sur le CinqMars de M. de Vigny, dont le côté historique si faux m'avait choqué. C'est en cette même année 1827 que je laissai l'étude de la médecine. J'avais été élève externe à l'hôpital Saint-Louis; j'y avais une chambre et y faisais exactement mon service (2). Trouvant plus de facilité à percer du côté des Lettres, je m'y portai. Je donnai au Globe, dans le courant de 1827, les articles sur la Poésie française au XVIe siècle qui furent publiés en volume l'année suivante (1828); et j'y ajoutai un second volume composé d'un choix de Ronsard. En 1829, je donnai Joseph Delorme. C'est vers ce temps que M. Véron fonda la Revue de Paris. Je fis dans le premier numéro le premier article intitulé Boileau (3),

(1) No du 8 juillet 1826. M. Sainte-Beuve a recueilli tout récemment cet article en appendice dans le IIe volume, donné de son vivant, de la nouvelle et dernière édition des Portraits contemporains.

(2) M. Sainte-Beuve racontait au jeune docteur Grenier, devenu son client au Sénat, qu'il avait eu l'honneur d'être roupiou sous Dupuytren, et même qu'il avait porté le tablier un matin à l'HôtelDieu pour remplacer un interne absent.

(3) Avril 1829. Cet article ouvre aujourd'hui la série des Portraits littéraires.

et je continuai cette série de biographies critiques et littéraires dans les numéros suivants. Je faisais en même temps les Poésies et Élégies intérieures qui parurent en mars 1830 sous le titre de Consolations. Il est inutile d'ajouter pour ceux qui lisent que j'étais dans l'intervalle devenu l'ami de la plupart des poëtes appartenant au groupe romantique. J'avais connu Lamartine d'abord par lettres, puis personnellement et tout de suite fort intimement dans un voyage qu'il fit à Paris. Quelques biographes veulent bien ajouter que c'est alors que je fus présenté à Alfred de Musset. Ces messieurs n'ont aucune idée des dates. Musset avait alors à peine dix-huit ans. Je le rencontrai un soir chez Hugo, car les familles se connaissaient; mais on ignorait chez Hugo que Musset fît des vers. C'est le lendemain matin, après cette soirée, que Musset vint frapper à ma porte. Il me dit en entrant : « Vous avez hier récité des vers; eh bien, j'en fais et je viens vous les lire. » Il m'en récita de charmants, un peu dans le goût d'André Chénier. Je m'empressai de faire part à Hugo de cette heureuse recrue poétique. On lui demanda désormais des vers à lui-même, et c'est alors que nous lui vimes faire ses charmantes pièces de l'Andalouse et du Départ pour la chasse (le Lever).

Hugo demeurait alors rue Notre-Dame-desChamps, no 11, et moi, j'étais son proche voisin

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