Imágenes de páginas
PDF
EPUB

CHAPITRE X X VI I.

Des Lettres tendantes en dénaturement de Soit-montré.

ES Soit-montrés qu'on forme en Cour Souveraine, & defquels nous donnerons une explication, en traitant des caufes d'Audience, ne font autre chofe que des demandes qui peuvent être jugées provifoirement, fans préjudice de l'appel & du droit des Parties. Ces demandes ainfi jugées, ce qui a été ordonné par l'Arrêt intervenu, doit toujours pouvoir être réparé en définitive.

S'il faut que ce qui eft jugé fur Soit-montré foit réparable en définitive, on ne peut donc former des demandes par cette voie, qu'autant qu'elles n'entreprennent pas fur le Jugement du fonds, c'eft-à-dire, que l'Arrêt ne décidera rien de ce qui forme les conteftations au fonds du procès; car alors l'Arrêt qui feroit rendu préjudicieroit à l'appel & au droit des Parties.

Voilà pourquoi on fait cette distinction au Palais, que quand la matiere eft commettable, elle peut être vuidée par la voie du Soit-montré ; que quand elle ne l'eft pas, les conclufions prifes par ce Soit-montré, doivent être jointes au fonds, ou renvoyées en Jugement.

Par ce mot commettable, on entend donc parler d'une matiere qui peut être jugée par fimple provifion, & dont la décifion ne peut pas porter fur le fonds; provifion qui fera toujours réparable en définitive voilà le caractere que doivent avoir les demandes qu'on forme par Soit-montré, pour pouvoir être vuidées par cette voie

Or il arrive fouvent que celui qui fe pourvoit par Soit-montré, forme des demandes qui ne font point commettables; il arrive encore fouvent que, quoiqu'elles le foient, le Défendeur veut en éluder le Jugement, ou qu'il prétend que la demande n'eft pas commettable, qu'elle touche au principal, qu'elle évacueroit l'appel en tout ou en partie. Alors elle impetre des Lettres tendantes en dénaturement du Soitmontré, qui forcent le demandeur à venir à l'Audience pour plaider la demande en dénaturement, & faire décider fi la matiere dont s'agit eft ou n'eft pas de nature à être jugée par Soit-montré.

Nous ne donnerons pas la formule de ces efpeces de Lettres, parce qu'on peut fe guider fur les autres, qu'il fuffit d'y exprimer la caufe de l'impétration, & que quand on les a obtenues, on n'a befoin que de les faire fignifier de Procureur à Procureur, avec un acte pour venir plaider.

Nous avons vu à cet égard au Palais, que tantôt la Cour a fait droit fur de pareilles Lettres, tantôt qu'elle en a débouté, tantôt qu'elle en a joint au procès principal, tantôt qu'elle a vuidé le différend des Parties à l'Audience.

Aujourd'hui cette voie eft bien peu ufitée, & on regarde affez comme chicane une pareille impétration, de laquelle on déboute prefque toujours, fauf dans certains cas extraordinaires. Il ne faut donc prendre cette voie qu'avec beaucoup de précaution, & plufieurs ne la prennent que pour gagner un certain temps.

Les raifons qui ont déterminé les Souverains à ne pas accueillir favorablement les Lettres en dénaturement de Soit-montré, outre l'air de chicane que préfente une pareille impétration, font prises de ce que c'eft d'abord fufpecter la religion du Rapporteur qui devoit juger le Soit-montré fur le Bureau, & enfuite douter de la prudence & de la fageffe de la Cour,

en ce qu'on fuppofe qu'elle pourroit fe méprendre, fi on n'en venoit à l'éclat des plaidoiries.

D'autre côté, parce que la Cour peut faire fur le Bureau, ce qu'on veut la forcer de faire à l'Audience: car enfin, de deux chofes l'une, ou la matiere qu'on a engagée par le Soit-montré est commettable, & de nature à être jugée par cette voie, ou elle ne l'eft pas. Si elle l'eft, la Cour prononce fur les fins de la Requête ; fi elle ne l'eft pas, & qu'elle touche de trop près au principal, alors la Cour prend de trois partis l'un, ou elle déboute de la Requête de Soit-montré, ou elle renvoie les conclufions des Parties en jugement, pour, en plaidant, y être dit droit, ou elle joint le Soit-montré à l'instance principale.

Quelle néceffité peut-il donc y avoir d'impétrer des Lettres pour faire dénaturer une pareille demande, quand on doit être sûr que la Cour, efclave des regles, ne l'accueillera jamais, fi elle n'eft pas de nature à pouvoir être jugée par la voie du Soit-montré, fi elle peut préjudicier à l'appel, bleffer le droit des Parties, ou ne pas être réparable en définitive ?

Le plus sûr en cette matiere, eft de défendre au Soit-montré en la même forme qu'on fe défend fur un procès principal, & d'exposer toutes les raifons qui peuvent juftifier que la matiere n'eft pas commettable. Autrefois ces demandes en dénaturement de Soit-montré étoient fort multipliées; aujourd'hui elles font très-rares.

(

CHAPITRE XXVIII.

Des Lettres en appel de déni de Juftice, & des intimations des Juges.

Nous ne pouvons féparer ces deux objets, parce

que notre Ordonnance les traite dans le même titre. Le refus d'un Juge d'expédier & de juger les différends des Plaideurs, l'expofe à être intimé & pris à Partie à fuite de l'appel du déni de Justice, pour qu'il foit tenu de réparer les dommages qu'il a caufés par fon refus..

[ocr errors]

Le Légiflateur n'a pas voulu que les clients attendiffent d'autre temps pour être jugés, que celui qui eft néceffaire pour préparer leur caufe ou leur procès. Auffi a-t-il ordonné par l'article premier du titre XXV de fon Ordonnance de 1667, « que tous Juges. » de fes Cours, Juridictions, & des Seigneurs pro» cédaffent inceffamment au jugement des caufes, >> inftances & procès qui feront en état d'être jugés, » à peine de répondre en leur nom des dépens, » dommages & intérêts des Parties. »

Cette Loi n'excepte aucun Juge, tous doivent procéder au jugement des causes, instances & procès, dès que les préparatoires font remplis, dès qu'il n'y a plus rien à faire qu'à juger. C'est un devoir d'autant plus facré, qu'un Juge eft fait pour rendre la Justice, & que retarder de la rendre, c'eft la refufer, quand les Parties ne peuvent la recevoir que de celui qui est établi pour l'adminiftrer.

Aufsi, vous qui lirez cet ouvrage, & qui vous deftinez à remplir des fonctions de Judicature, n'ambitjonnez jamais cet état, fi vous vous reconnoissez né

gligent

gligent & pareffeux. La Loi, la Religion & l'Hon neur exigent de vous de rendre la Juftice aux Parties, fur-tout de ne pas la faire attendre : de votre négligence naîtroient fouvent des dommages inappréciables pour elles; il ne faut il ne faut pas fe flatter: fi elles n'agiffent ou ne peuvent agir contre vous, vous n'en êtes pas moins fujets à restitution, & vous en répondrez devant Dieu.

Il eft d'ailleurs fort humiliant pour un Juge inférieur, qu'une Partie réclame de fon refus de la juger, & qu'elle puiffe l'intimer pour le faire condamner en des dépens, dommages & intérêts. Telle eft cependant la Loi, & fi elle a été faite, c'est parce qu'on trouve malheureufement des Juges capables de manquer à un devoir auffi facré que celui d'administrer une Juftice qu'ils font tenus de rendre de fuite; alors le Juge litem fuam facit, & propter negligentiam pu

nitur.

Lorfque le Juge n'expédie pas les causes ou procès qui font prêts, les Parties font autorisées à les fommer par acte de leur rendre justice. Mais de pareils actes ne peuvent être faits qu'à des Juges inférieurs, dont les Jugemens font fujets à l'appel. Les Juges Souverains, à caufe de la dignité de leur état, de leur occupation aux affaires publiques, qui trèsfouvent les empêchent de vaquer à celles des particuliers, ne peuvent pas être expofés à de pareilles réquifitions.

D'ailleurs ce feroit infulter au caractere dont ils font revêtus, manquer au refpect qui leur eft dû. II n'eft pas à fuppofer que des Juges pareils qui font établis pour faire obferver les Ordonnances, pour contenir dans leur devoir tous les Juges inférieurs, retardent le jugement des procès qui font prêts, s'ils n'ont de bonnes raisons & des empêchemens légitimes. Du refte, on doit laiffer à leur religion & fur leur confcience le foin de l'expédition. C'est à chacun d'eux

K

« AnteriorContinuar »