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que le mercredi de la femaine fainte, c'eft-àAN. 1247. dire, de quatrième d'Avril. Etant au quartier de Batou, nous fûmes logez environ à une lieuë de lui; & quand on dut nous mener en fa prefence, on nous dit qu'il falloit paffer entre deux feux. Nous ne le voulions point faire: mais ils nous dirent, que ce n'étoit qu'une précaution, afin que fi nous avions quelque mauvais deffein ou fi nous portions quelque poifon, le feu en empêchât l'effet. Nous répondîmes que nous le ferions pour purger ces fortes de foupçon. Nous eûmes audience avec les mêmes ceremonies que chez Corenza : nous demandâmes des interpretes pour traduire les lettres du pape, & on nous en donna le vendredi e. 22. faint. Nous les traduisîmes avec eux en Ruffien, en Arabe & en Tartare; & cette derniere traduction fut prefentée à Batou, qui la lut attenti

vement.

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Le famedi faint il nous fit dire, que nous irions trouver l'empereur Couïne, autrement Caïouc: mais il retint quelques-uns des nôtres, fous prétexte de les renvoïer au pape ; & nous deur donnámes des lettres contenant la relation de tout ce que nous avions fait. Mais quand ils furent arrivez au Nieper on les y retint juf . 23. ques à notre retour. Le jour de Pâques huitié. me d'Avril après l'office nous nous feparâmes de nos freres avec beaucoup de larmes, ne fça. 25. chant fi nous allions à la vie ou à la mort. Deux Tartares nous conduifoient, & nous étions foibles qu'à peine pouvions-nous aller à cheval: car pendant ce carême nous n'avions eu autre nourriture que du millet avec de l'eau & du fel Il en étoit de même les autres jours de jeune, & nous ne buvions que de la neige fondue. Nous ne laiffâmes pas de marcher en grande diligence, changeant de chevaux fouvent qua

tre ou cinq fois par jour, depuis l'octave de Pâ- --ques quinziéme d'Avril 1246. jufques au jour de AN, 12476, la Magdelaine vingt-deuxième de Juillet. Pen- B. c. 14. dant ce long voïage nous vîmes des campagnes femées de têtes & d'os d'hommes morts, & unc infinité de villes & des châteaux ruinez, triftes monumens du pallage des Tartares.

des Tarta > res.

·7. 30.

p. 320.

Haïton. c.

821.

A la Magdelaine nous arrivâmes auprès de LXIII. Couïne, mais il ne nous donna pas alors au- Caïouc-Can dience 2 parce qu'il n'étoit pas élû empereur & ne fe mêloit pas encore du gouvernement. Pour entendre cet endroit de la relation il faut B. c. 15. fçavoir qu'Octaï fils de Ginguiz-Can & fecond Sup. liv. empereur des Mogols ou Tartares mourut l'an LXXIX. 1. 2. 643. de l'Hegire, 1245. de JESUS-CHRIST Aboulfar. après avoir defigné pour fon fucceffeur Caïouc- Bibl.Orient Can fon fils aîné, qui eft ici nommé Couine, p. 358. & ailleurs Gino-Can. Sa mere gouverna pendant l'interregne, c'eft-à-dire, jufques à l'affemblée 19.Abulf. generale de la nation nommée Couriltaï, où Caïouc fut élû pour fon mérite en 1246. Il avoit deux principaux miniftres ou Atabecs, l'un nommé Cadac, l'autre Gincaï: Cadac étoit Chrétien & baptifé. Gincaï fans l'être ue laissoit pas d'être favorable aux Chrétiens, & tous deux leur attirerent la bienveillance de Caïouc-Can & de fa mere, en forte qu'ils traitoient bien les évêques & les moines, & eftimoient les peuples chrétiens, comme les Francs, les Ruffes, les Syriens & les Armeniens. Mais Caïouc-Can ne regna gueres que deux ans, & mourut en 647. 1249. Repre- p. 3227 nons a relation.

Après que nous cûmes été cinq ou fix jours vinc. Berga auprès de Couine; il nous envoïà à fa mere au c. 30. lieu où fe tenoit l'affemblée generale. Nous y c. 31. fumes environ quatre femaines : on y fit l'élection, & Couïne devoit être mis fur le trône le jour de l'Affomption de Notre-Dame, mais la B, c. 16

grêle qui furvint obligea de differer. Nous de AN. 1247. meurâmes là jufques au jour de faint Barthelemi vingt-quatrième d'Août 1246. auquel Couïne fa intronifé; & tous, tant les grands que le peuple vinrent fléchir les genoux devant lui, excepté nous qui n'étions pas fes sujets. Il paroiffoit avoir quarante ou quarante-cinq ans : il étoit de taille médiocre, prudent, rufe & fort c. 33. férieux. Les Chrétiens qui étoient de fa maison B. c. 19. nous affuroient qu'il devoit fe faire Chrétien. Ce qui le faifoit croire c'eft qu'il tenoit auprès de lui des ecclefiaftiques qu'il entretenoit à fes dépens, & avoit une chapelle devant la grande tente, où ils chantoient publiquement & donnoient le fignal pour les heures à la maniere des Grecs; les autres chefs des Tartares ne donnent point cette liberté aux chrétiens. Toutefois pendant que nous étions là à cette même assemblée,il leva l'étendart contre l'églife,& l'empire Romain, & contre tous les roïaumes chrétiens & les peuples d'Occident, menaçant de leur faire la guerre, st ne faifoient ce qu'il mandoit au pape & à tous les chrétiens, fçavoir de fe foûmettre à lui: car il ne craint aucun païs dans le monde que la chrétienté. Or leur intention est de fe foûmettre toute la terre, fuivant l'ordre que Ginguiz-Can leur en a donné.

V. c. 35.

s'ils

Nous fumes donc appellez devant lui au lica B. c. 20. même où il avoit été intromifé. Gingaï fon premier fecretaire écrivit nos noms & de ceux qui nous avoient envoïez, & les recita à haute voix devant l'empereur. Nous fûmes du petit nombre de ceux qui furent admis en fa prefen.. 37. ce. Il nous renvoïa près de fa mere, pendant B. c. 22. qu'il fit la ceremonie de lever l'étendart contre l'Occident, ne voulant pas que nous en euflions connoiffance: puis nous revinmes & fûmes bien un mois auprès de lui fouffrant beaucoup

de

faim

pour

faim & de foif: car ce qu'on nous donnoit quatre jours fuffifoit à peine pour un. Enfuite AN. 1246. l'empereur nous envoïa querir, & nous fit dire par Gingaï fon fecretaire,d'écrire nos propofitions & les lui prefenter. Puis on nous demanda s'il y avoit auprès du pape des gens qui fçuffent lire le Ruffien, l'Arabe ou le Tartare. Nous dimes que nous n'avions point d'ufage de ces écritures mais que des Arabes pourroient écrire en Tartare ce qu'on leur diroit: & nous l'expliquer que nous l'écririons en notre langue, & porterions au pape l'original & la traduction. On nous appella le jour de faint Martin. Alors Cadac premier miniftre, Gingaï, Bala & plufieurs écrivains vinrent à nous, nous expliquerent mot à mot la lettre de l'empereur que nous écrivîmes en Latin, & nous en donnerent la traduction en Arabe, pour nous fervir quand nous trouverions quelqu'un qui l'entendît.

des

L'empereur fe propofoit d'envoïer avec nous c. 38. B. c gens de fa part, & un des Tartares qui nous 23. accompagnoient nous exhorta à le demander. Nous répondîmes que fi l'empereur les envoïoit de lui-même, nous les conduirions volontiers. Mais il ne nous paroiffoit pas expedient que ces envoïez vinffent pour plufieurs raifons. Nous craignions que voïant nos divifions & nos guerres ils ne fuffent plus encouragez à marcher contre nous nous craignions que ces envoïez ne fuffent des efpions ; qu'ils ne fuffent tuez par nos gens, dont nous connoiffions l'infolence, ou qu'on ne nous les ôtât de force. Enfin nous ne voïons aucune utilité à leur voiage: puifqu'ils n'auroient autre charge que de porter les lettres de leur empereur au pape.& aux princes, & nous avions ces lettres. Nous fumes congediez le troifiéme jour après,

Tome XVII.

T

fçavoir le jour de faint Brice treiziéme de No AN. 1247. vembre, & pendant notre retour nous passâme tout l'hiver dans des déferts, où souvent nous B. c. 24. étions réduits à coucher fur la neige. Nous marchâmes ainfi jufqu'à l'Afcenfion, c'est-à-dire au neuvième de Mai 1247. Alors nous arrivâmes près de Batou-Can, & le famedi d'après la Pentecôte nous vinmes au quartier de Mofij, où on avoit arrêté nos compagnons & nos ferviteurs. Nous nous les fimes ramener; puis nous arrivâmes à Corenza, qui nous donna deux Comains pour nous conduire en Russie.

LXIV.

Nous arrivâmes à Kiovie quinze jours avant la faint Jean, & les habitans vinrent au-devant de nous pleins de joïe, nous félicitant comme fi nous euffions été reffufcitez : on nous en fit autant par toute la Ruffie, la Pologne & la Bohême. Daniel & Vafilico fon frere nous fi rent grande fête & nous retinrent bien huit jours contre notre deffein. Cependant ils délibererent entre eux & avec les évêques & les autres gens de bien, fur les propofitions que nous leur avions faites en allant en Tartarie. Leur réponfe fut qu'ils vouloient tenir le pape pour leur feigneur & pere, & la fainte église Romaine pour leur maîtreffe; confirmant tout ce qu'ils avoient mandé au pape fur ce fujet par un de leurs abbez, & ils lui envoierent encore des nonces avec nous, Telle eft la relation de frere Jean de Plan Carpin & des freres Mineurs qui l'accompagnerent en c voïage.

Le pape Innocent envoïa vers le même temps Miffion des aux Tartares des freres Prêcheurs qui palle \freres Prê- rent en Egypte, s'adrefferent au Sultan Melicfa cheurs. leh & lui prefenterent des lettres du pape: où il Vinc. Bell. exhortoit ce prince à fe faire Chrétien, & le prioit de faciliter aux freres le paffage chez les Tartares. Le fultan lui fit faire réponse en lop

1.XXXI. c. 2.

4. 40.

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