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#. 14. 15.

dire,
mais je ne puis en convenir; & on ne
me perfuadera jamais que jufques au douzième
fiecle la méthode ait manqué dans les écoles
chrétiennes. Je crois l'avoir montré dans le fe-
cond de ces difcours, où je vous prie de vou-
loir bien recourir. Il eft vrai que la plupart des
anciens n'ont pas entrepris de faire un corps
entier de theologie, comme ont fait Hugues
de faint Victor, Hildebert de Tours, Robert
Pullus & tant d'autres à leur exemple. Mais
ils n'ont pas laiffé de nous donner dans quelques-
uns de leurs ouvrages le plan entier de la religion:
comme faint Auguftin, qui dans fon Enchiridion
montre tout ce que l'on doit croire, & la ma-
niere de l'enfeigner dans le livre de la doctrine
chrétienne. Nous voïons encore l'abregé de la
doctrine dans les expofitions du fymbole & les
cathechefes; & l'abregé de la morale dans quel-
ques autres traitez, comme dans le pedagogue
de faint Clement Alexandrin,

Que manque-t'il donc aux anciens? Eft-ce de n'avoir pas donné chacun leur cours entier de théologie, recommençant toûjours à divifer. & à définir les mêmes matieres & à traiter les mêmes questions? J'avoue que les modernes l'ont fait, mais je ne conviens pas que la religion en ait été mieux enfeignée. L'effet le plus fenfible de cette méthode eft d'avoir rempli le. monde d'une infinité de volumes, partie imprimez, partie encore manufcrits qui demeu rent en repos dans les grandes bibliotheques parce qu'ils n'attirent les lecteurs, ni par l'uti lité, ni par l'agrément : car qui lit aujourd'hui Alexandre de Halés, ou Albert le Grand? On a peine à comprendre comment ces auteurs, plufieurs n'ont pas atteint un grand âge, ont trouvé le temps de tant écrire, & il eft à craindre qu'ils n'en priffent pas affez pour méditer..

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dont

S'ils

S'ils vouloient, comme il eft vrai-semblable, fuivre la méthode des geometres, il falloit commencer par des principes autant inconteftables que font leurs définitions & leurs axiomes; c'està-dire dans la matiere theologique par des paffages formels de l'écriture ou des propofitions de lumiere naturelle. Or je viens de vous faire obferver que nos fcholaftiques prennent fouvent l'écriture dans des fens figurez & détournez; & pofeut pour principes des axiomes d'une mauvaise philofophic, ou des autoritez de quelque auteur prophane. Les confequences tirées de tels principes ne font point concluantes: on les peut nier fans bleffer la foi, ni la droite raifon, & de tels argumens n'ont que l'apparence du raisonnement. Mais nous ne voïons encore que trop de gens qui s'en contentent : qui n'étudient que par mémoire, & croïent raifonner quand ils répetent les argumens qu'ils ont appris par cœur, fans les avoir examinez au poids du bon fens. Delà vient qu'ils rejettent les meilleures raifons quand elles leur font nouvelles, & ne penfent que comme ils ont accoûtumé de penfer.

Si les fcholaftiques ont imité la méthode des geometres ils ont encore mieux copié leur stile fec & uniforme. Mais ils n'ont pas confideré que dans l'étude de la geometrie l'imagination eft foutenue par les figures: au lieu qu'elle n'a point d'appui dans les matieres philofophiques, fur tout en morale: fi ce n'eft par des exemples & des peintures vives, des paffions, des vices ou des vertus. Ce ftile fec a encore un autre défaut : c'eft de ne point montrer les meurs de celui qui enfeigne; un fcelerat peut parler ainfi de morale. Au refte je ne puis fouffrir qu'on veüille faire un mérite aux fcolaftiques de ce ftile, comme s'il étoit plus folide Tome XVII

C

XVI.

Stile des fcholafti

ques.

& plus court. J'avoue que le ftile dogmatique doit être fimple, & qu'on n'y doit chercher que la clarté & la précifion fans aucun autre ornement mais cette fimplicité ne laifle pas d'avoir fa nobleffe & fa grace; le bas, le plat & de pesant ne sont jamais bons à rien. La fimplicité du ftile dogmatique, n'empêche pas de parler purement la langue qu'on y emploïe; au contraire mieux on la parle, mieux on fe fait entendre, & rien n'eft moins propre à enfeigner, મે que l'affectation d'un langage fingulier, qui ajoû te à l'étude principale une étude préliminaire du langage. Je fçai que chaque fcience & chaque art a les termes propres, inconnus au commun des hommes mais ils ne doivent être emploïez que pour les chofes qui n'ont point de nom dans la langue populaire; parce que le peuple ne les connoît pas, ou n'y fait pas d'attention. C'est une marque de la groffiereté de nos peres d'avoir fait du blafon une fcience mysterieuse qui ne confifte prefque qu'à donner des noms extraordinaires aux chofes les plus communes & s'être fait un mérite de dire gueules & finoples, au lieu de rouge & de vert. J'en dis de même du jargon de la chaffe & des autres femblables, qui fans éclairer l'efprit, ne font que charger la mémoire.

Or les fcholaftiques ont donné dans ce défaut en fe faifant un langage particulier diftingué de toutes les langues vulgaires & du vrai latin quoiqu'il en tire fon origine. Ce qui toutefois n'étoit point néceffaire, puifque chacun peut philofopher en parlant bien fa langue. Les écrits d'Ariftote font en bon grec, les ouvrages philofophiques de Ciceron en bon latin : & dans le dernier fiecle Defcartes a expliqué fa doctrine en bon François, & d'un ftile net & précis, qui peut fervir de modele pour le dogmatique. Co

n'eft donc point la neceffité de la matiere qui a introduit ce langage de nos écoles, c'eft le mauvais goût du treiziéme fiecle & des fuivans.

Une autre erreur eft de croire qu'un stile sec, contraint & par tout uniforme, foit plus court & plus clair que le difcours ordinaire & naturel, où l'on fe donne la liberté de varier les phrases, & d'employer quelques figures. Ce ftile gêné & jetté en moule, pour ainfi dire, eft plus long, outre qu'il eft très-ennuyeux. On y repete chaque page les mêmes formules : par exemple: Sur cette matiere on fait fix questions: A la premiere on procede ainfi puis trois objections: puis: Je réponds qu'il faut dire. Enfuite viennent les réponses aux objections. Vous diriez que l'auteur eft forcé par une necessité inévitable à s'exprimer toujours de même. On repete à chaque ligne les termes de l'art propofition, affertion, preuve, majeure, mineure, conclufion & le refte. Or ces repetitions allongent beaucoup le difcours. Je voi bien d'où elles font venuës : nos ancêtres étoient fort groffiers il y a cinq ou fix cens ans; les étudians de ce tempslà n'auroient fçû diftinguer l'objection de la preuve, fi on ne leur eût pour ainfi dire, montrée au doigt: il falloit tout nommer par nom. Voici l'objection, voici la réponse, l'instance, le corollaire. Les argumens en forme allongent encore notablement le difcours, & impatientent celui qui voit d'abord la conclufion : il est soulagé par un enthimême, ou par une fimple propofition, qui fait fous-entendre tout le refte. Il faudroit referver le fyllogifme entier pour des occa fions rares, lorfqu'il faut développer un fophifme fpecieux, ou rendre fenfible une verité abstraite.

fon

Cependant ceux qui font accoûtumez au stile de l'école, ne reconnoiffent point les raisonnemens, s'ils ne font revêtus de la forme fyllogifti

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que. Les peres de l'églife leur paroiffent des thetoriciens, pour ne pas dire des discoureurs parce qu'ils s'expliquent naturellement comme on fait en converfation: parce qu'ils ufent quelquefois d'interrogations, d'exclamations & des autres figures ordinaires, & les fcholaftiques. ne voyent pas que les figures & les tours ingenieux épargnent beaucoup de paroles ; & que fouvent par un mot bien placé, on prévient ou détourne une objection qui les occuperoit longtemps.

Mais ne doit-on compter pour rien d'éviter l'ennui & le dégoût inféparables d'un ftile fec, décharné & toujours fur un même ton? Eft-il effentiel aux études férieufes d'être penibles & défagréables & n'a-t-on pas remarqué il y a long-temps que celui qui en inftruifant, fçait joindre l'agréable à l'utile, atteint au point de la perfection? C'est cette dureté du ftile fcholaftique qui rebute tant de jeunes gens & leur rend l'étude odieufe pour toute leur vie, après qu'ils ont paffé quelques années dans les colleges & les feminaires à écouter ce langage & à difputer fur des questions abftraites dont ils ne voient point l'utilité. L'inftruction eft la nourriture des efprits: imitons, en la donnant, l'ordre de la nature ou plûtôt de la fageffe divine, dans la distribution de la nourriture corporelle. Elle y a joint un plaifir qui en eft le ver hicule & qui par une agréable neceffité nous engage à nous conferver & nous fortifier. Imitons faint Bafile & faint Auguftin, qui à la solidité & à la fubtilité des penfées, joignent les tours délicats & les expreffions gracieufes: qui ne nous propofent point des queftions frivoles & pueriles, mais les objections effectives des heretiques de leur temps qui ne nous repaissent point de doutes & d'opinions, mais de veritez

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