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vant la porte afin qu'il nous pût voir. On fr faire trois genuflexions au clerc & à l'interpretes & on nous avertit de bien prendre garde à ne pas toucher au feüil de la porte en entrant ni en fortant, & de chanter quelque benediction pour le prince. Nous entrâmes en chantant Salve Regina.

Coïac lui porta l'encensoir avec l'encens, il le prit à fa main & le tegarda attentivement. Il confidera curieufement le pfeautier auffi-bien que La femme qui étoit aflife auprès de lui. Il prit la bible & demanda fi l'évangile y étoit; je lui dis que c'étoit toute l'écriture fainte. Il priz auffi la croix à sa main, & demanda fi l'image qui étoit deffus étoit celle de JESUS-CHRIST Je répondis qu'oüi. C'eft que les Neftoriens & les Armeniens ne mettent point de figure fur leurs croix, ce qui fait penfer qu'ils ne croïent pas bien touchant la paffion de JESUS-CHRIST, ou qu'ils en ont honte. Je lui prefentai votre lettre avec les copies en Arabe & en Syriaque: car j'avois eu foin de la faire traduire à Acre. Quand nous fûmes fortis & deshabillez il vin des fecretaires avec Coïac, & ils firent traduire la lettre. C'étoit le jour de faint Pierre aux liens, c'est-à-dire le premier d'Août 1253•

Le lendemain vint un prêtre frere de Coïac, qui nous demanda le vale où étoit le faint crême, parce que Sartach le vouloit voir: & nous le lui donnâmes. Le foir Coïac nous appella & nous dit: Le roi votre maître a écrit de bonnes paroles au mien: mais il y a des choses difficiles dont il n'ofe rien faire fans le confeil de fon

pere. C'eft pourquoi il faut que vous alliez Je trouver. Puis il nous demanda fi nous voulions fejourner dans le païs. Je lui dis: Si vous avez bien entendu la lettre du roi notre maître, vous pouvez fçavoir que c'est notre deffein. Vous

aurez befoin, dit-il, d'être fort patiens & fort humbles. Avant notre départ Coïac & plufieurs autres écrivains nous dirent: N'allez pas dire que nôtre maître foit chrétien, il eft Moal, c'est-à-dire Mogol. C'eft qu'ils prennent le nom de chrétien pour un nom de nation; & s'il y a quelques chrétiens parmi eux, ils gardent le nom de Mogols, qu'ils mettent au-deffus de tous les noms & ne veulent point être nommez Tartares. Les Neftoriens font grand bruit E. p. 7oÅ de rien : ils ont publié que Sartach étoit chrétien, & que Mangou-can-& Ken-can faifoient plus d'honneur aux chrétiens qu'aux autres peuples; & toutefois dans la verité ils ne font point chrétiens. Pour Sartach, je ne sçai s'il p. 73. croit en JESUS-CHRIST ou non ce que je fçai, c'eft qu'il ne veut pas qu'on le nomme chrétien; au contraire il me femble plûtôt qu'il fe mocque des chrétiens. Car il eft fur leur chemin, je veux dire des Ruffes, des Blaques, des Bulgares & des Alains, qui tous paffent par chez lui, quand ils vont à la cour de fon Baatou, & lui font des prefens: c'eft pourquoi il les careffe.. Toutefois s'il vient des Sarrafins qui apportent davantage, ils font plûtôt expediez. Il y a auffi près de lui des prêtres Neftoriens, qui fonnent avec leurs planches & chantent leur office.

pere

par le

Ce difcours de Rubruquis nous fait entendre le fondement d'une lettre écrite à Sartach pape Innocent IV. le vingt-neuvième d'Août 1254. où il le felicite de fa converfion & de fon baptême, dont il dit avoir appris la nouvelle par Jean prêtre & chapelain de Sartach. C'étoit fans doute quelqu'un de ces Neftoriens impofteurs, qui s'étoit donné ce titre pour attirer quelque gratification du pape & des princes chrétiens. Rubruquis continue ainfi fa relation.

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XVIII Audience de Baatou.

p. 78.

Quand nous fumes arrivez au Volga nous nous embarquâmes deflus pour descendre à la cour de Baatou que nous trouvâmes comme une grande ville de maifons portatives, & de trois ou quatre lieues de long. On nous mena à un certain Sarrafin, qui le lendemain nous conduifit chez le prince, & nous demanda fi vous leur aviez envoyé des ambassadeurs. Je lui dis comme vous en aviez envoyé à Ken-can, & que vous ne lui en cuffiez point envoyé, ni de lettre à Sartach, fi vous n'aviez cru qu'ils étoient chrétiens: parce que ce n'étoit que pour les en congratuler, & non par aucune crainte. Il nous mena au pavillon où étoit Baatou : nous étions nuds pieds & nuë tête avec notre habit, Sep. liv. & c'étoit un grand fpectacle pour eux. Fr. Jean LXXXII. . de Plan-Carpin avoit été là; mais il avoit changé d'habit pour n'être pas méprifé, parce qu'il étoit nonce du pape. Après un peu de filence on nous fit mettre à deux genoux, & Baatou me commanda de parler. La pofture où j'étois me fit penfer que je devois commencer par une priere; & je dis: Seigneur, nous prions Dieu de qui tout bien procede, & qui vous a donné ces biens terreftres, de vous donner aufli les celeftes, fans lefquels ceux-ci font inutiles. Il m'écoutoit attentivement; & j'ajoutai: Sçachez que vous n'aurez point les biens celeftes fi Marc. XVI. vous n'êtes chrétien. Car Dieu dit : Qui croira & fera baptifé fera fauvé, mais qui ne croira pas fera condamné.

62.

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A ces mots il foûrit modeftement, & les autres Mogols commencerent à battre des mains, fe mocquant de nous. Mon interprete eut grand peur, & je fus obligé de le raffurer. Après qu'on eut fait filence je dis à Baatou : Je fuis venu vers vôtre fils, parce que nous avons oui dire qu'il étoit chrétien: je lui ai apporté des loc

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res de la part du roi de France, & il m'a envoyé à vous: vous en devez fçavoir la raison. Alors il me fit lever & fit écrire nos noms : puis il me dit, qu'il avoit appris que vous étiez forti de votre pays pour faire la guerre. Je lui dis que c'étoit contre les Sarrafins qui profanoient la maison de Dieu à Jerufalem. Il nous fit affeoir & nous fit donner à boire de fon cofmos, ce qui paffe chez eux pour un grand honneur. Nous fortîmes, & peu de temps après notre conducteur vint & me dit: Le roi votre maître dit que l'on vous retienne en ce pays-ci, ce que Baatou ne peut faire fans la participation de Mangou-can. C'eft pourquoi il faut que vous alliez le trouver vous & votre interprete: votre compagnon & l'autre homme retourneront vous attendre à la cour de Sartach. Alors l'interprete Homodei fe mit à pleurer fe croyant perdu, & mon compagnon protefta qu'on lui couperoit plûtôt la tête que de le feparer de moi. Enfin Baatou ordonna que nous irions tous deux avec Finterprete, & que le clerc Gozęt retourneroit vers Sartach; nous nous feparâmes ainfi avec lar

mes.

Nous marchâmes cinq femaines avec Baatou fuivant le cours du Volga; enfin vers l'exaltation de la fainte croix, c'eft-à-dire la mi-Septembre, un riche Mogol vint nous dire : Je dois vous mener à Mangou-can: c'eft un voyage de quatre mois, & par un pays où il fait un froid à fendre les pierres.

Nous marchâmes à cheval depuis le feiziéme de Septembre jufques à la Touffaints, tirant toûjours au levant & ayaat la mer Cafpienne au midi. On ne peut dire ce que nous fouffrimes de faim, de foif, de froid & de fatigue. Les vendredis je demeurois à jeûn jufques à la nuit fans rien prendre, & alors j'étois contraint

XIX.

Neftoriens.

Hifp. 91.

B. 107.

de manger de la viande avec douleur Au com

mencement notre conducteur nous méprifoit fort: mais quand il commença à nous mieux connoître, il nous menoit aux riches Mogols, & il nous falloit prier pour eux: enforte que fi j'euffe eu un bon interprete j'avois l'occafion de faire beaucoup de fruit. Ils étoient fort furpris de ce que nous ne voulions recevoir ni or, ni argent, ni habits précieux. Ils demandoient fi le grand pape étoit auffi vieux qu'ils avoient oüi dire, car on leur avoit dit qu'il avoit cinq

cens ans.

Rubruquis raconte enfuite une conversation Jugures & qu'il eut avec les prêtres de certains idolâtres nommez Jugures, & dit: Etant dans le temple & y volant quantité d'idoles grandes & petites, je leur demandai ce qu'ils croyoient de Dieu. Ils repondirent: Nous n'en croyons qu'un. Croyezvous, leur dis-je, qu'il foit efprit ou quelque chofe de corporel? Nous croyons qu'il eft efprit. Croyez-vous qu'il ait jamais pris la nature humaine? Non. Puifque vous croïez qu'il eft efprit & unique, pourquoi lui faites-vous des images corporelles & en fi grand nombre ; & puifque Vous ne croyez pas qu'il fe foit fait homme, pourquoi lui faites-vous des images d'hommes plutôt que d'autres animaux? Ils répondirent: Nous ne faifons pas ces images pour reprefenten Dieu, mais quand il meurt quelque homme riche entre les nôtres, fon fils, fa femme, ou quelque ami fait faire fon image & la met ici, & nous l'honorons en memoire de lui. Vous ne le faites donc, dis-je, que pour flatter les hommes? Non, dirent-ils, c'eft pour honorer leur memoire. Alors ils me demanderent comme en

fe mocquant: Où eft Dieu ? Et je leur dis: Où eft votre ame? Dans notre corps. N'eft-il pas vrai qu'elle eft par tout votre corps, qu'elle le gou

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