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Mais laiffant ces Efprits dont l'orgueil inflexible
Dans cette indigne erreur veut s'obstiner toujours
D'autres preuves encore appuiront ce Difcours,
Et montreront cet Etre aux Sens inacceffible.
Contentons-nous d'abord d'expliquer fimplement
La Matiere & le Mouvement.

Quand des Objets qui nous agitent
Nous nous fentons environner,

Quelles Proprietez pouvons-nous leur donner
Pour produire l'effet qu'en nos Sens ils excitent?
Qu'est-ce que nous pouvons d'abord imaginer
Dans la Matiere, ou l'Etendue

Que d'être figurée ou meue ?

Ainfi nous en ferons aifément affurez,
Les Corps environnans font meus, font figurez.

Peut-on former ni des Regles plus fûres,

Ni de plus claires Notions?

Si le feul Mouvement fait les Divisions,

Et les Divifions produifent les Figures,

Tout naît, tout s'entretient par leurs Concours divers; Matiere, Mouvement compofent l'Univers.

REFLEXIONS

CES

GENERALES

fur la Matiere & fur le Mouvement.

Es Veritez jamais nè furent ignorées ;
Les Poëtes jadis les avoient celebrées.
Maîtres ingenieux, en leurs riches Tableaux,
A la Philofophie ils prêtoient leurs Pinceaux.
Ces genereux Efprits, la gloire de la Grece,
Qui puifoient leur Science aux rives du Permesse,
Et par qui les neuf Sœurs ont reçû des Autels,
Des vulgaires Efprits menageant la foiblesse,

De belles Fictions ont orné la Sageffe

Pour faire mieux aimer fes Appas immortels.

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La Matiere, ont-ils dit, eft feule toutes chofes, Principe general, & Corps de tous les Corps ; Elle peut éprouver par differens efforts

Mille & mille Metamorphofes,

Mais quelques changemens qu'on lui fafle fentir
Rien ne sçauroit l'anéantir.

Qu'on la preffe, qu'on la divife,

Qu'en mille enfantemens à toute heure on l'épuife,
Sans rien perdre de ce qu'elle eft,
Parmi fon inconstance extrême

Elle fe conferve la même ;

D'un Etre qui perit l'autre foudain renaît.
C'eft Saturne ce Dieu qui fes Enfans devore
Auffitôt que le Jour vient de les éclairer,
Et qui toujours fecond les reproduit encore
Afin de les devorer;

Ne ceffant point d'engendrer, de détruire,
D'exterminer, & de produire.

La Matiere fe cache aux yeux les plus perçans,
Toujours un voile envelope fa Maffe,
Et fa feule Surface

Peut fe découvrir à nos Sens.

Ses forces font toujours permanentes & vives;
Mais fes Figures fugitives
Changent & periffent toujours.

Et quand fous ces Voiles muables

De tous l'un après l'autre elle fe couvriroit,
Qu'à force de changer, même elle épuiferoit
Tous les Etats imaginables,

Au premier elle reviendroit,

Pour commencer encor des Changemens femblables.

On la défigne auffi fous le nom du Prothée
Que les Poëtes ont chanté,

Qui ne gardant jamais de Figure arrêtée
Echappoit aux liens qui l'avoient garotté.

Armé d'une Forme changeante,

Tantôt comme un grand Fleuve en onde il se répand,
Tantôt il a du Feu la chaleur devorante,

Tantôt il fiffle en l'air comme un affreux Serpent;
Il est un lourd Métal, une debile Plante;
Jusqu'à ce qu'épuisant tous fes Déguisemens
Sous fa premiere forme aux yeux il fe prefente,
Prêt à recommencer de pareils Changemens..
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On avoit bien d'abord conçû cette Matiere, Principe à tous les Corps commun également, Lorsqu'en un Sens abftrait on l'appelle Premiere, Propre à devenir tout, prête à tout Changement; Mais qui n'eft rien encor; comme l'informe Argile Peut fe paîtrir diversement

Au gré de l'Ouvrier à cent formes docile.
Donc ces divins Efprits concevant clairement
Qu'elle eft, demeurant immobile,

Et Cause fans effet & Principe inutile,
Et qu'il faut que le Mouvement

Lui donne l'Action, la Vie & l'Ornement.

Ils chantoient que des Dieux & le Maître & le Pere, L'Amour par qui tout eft produit,

Ce Dieu par tout brillant avoit eu pour fa Mere

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De l'horreur du Cahos vint affranchir le Monde,

Et fous d'heureuses loix ranger les Elemens;

Que fon Flambeau divin alluma la Lumiere,
Que fa main produifit les premiers Mouvemens
Qui débrouillerent la Matiere,

Et qu'il en entretient l'Ordre & les Reglemens.

Par cet Amour, Pere de la Nature,
Par ce premier des Dieux né de la Nuit obfcure,
Ils exprimoient excellemment

Ce Principe éternel Source du Mouvement,
Cette force unique & premiere

Mais

Qui forma tout de la Matiere,
que l'on ne fçauroit montrer, ni définir.

Puifqu'elle eft avant toutes choses,

Puisqu'elle eft la premiere, & la Caufe des Caufes.
A rencontrer fa Source on ne peut parvenir.
Elle est toujours fentie, & toujours inconnue 5.
Nul effort, nul travail n'y porte notre Vûe;
A fes feuls Attributs nous devons nous tenir,

C'est par les feuls Effets que. l'on peut la comprendre
C'est par tant de Beautez que nous voyons répandre
Sur tous ces grands Objets à nos regards offerts.
C'est Dieu de qui les traits en tout font découverts
Par lui le Mouvement joignit les Corps folides,
En fit feparer les liquides,

Il affermit la Terre, il répandit les Mers,
Il découvrit le vafte Champ des Airs,

Il étendit les Cieux & leurs Voutes lucides.

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