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fipation des plaifirs. Il eft vrai qu'on s'affermit beaucoup dans ce qu'on favoit; mais il n'eft guere poffible de faire des acquifitions nouvelles, fur-tout quand on a le malheur d'être fort employé. Auffi s'en faut-il beaucoup que M. Carré n'ait été auffi loin dans les mathématiques qu'il y pouvoit aller: il voyoit avec admiration & avec douleur le vol élevé & rapide que prenoient certains géometres du premier ordre, tandis que le soin de sa subsistance le tenoit malgré lui comme attaché sur la terre. Il les fuivoit toujours des yeux; il fe ménageoit le tems d'étudier à fond ce qu'ils donnoient au public; il s'enrichiffoit de leurs découvertes; & s'il regrettoit de n'en pas faire d'auffi brillantes, il regrettoit beaucoup moins la gloire qu'elles produifent, que le degré de fcience qui les produit.

M. Varignon, qui a toujours apporté beaucoup de foin au choix des éleves qu'il a nommés dans l'académie, le prit pour le fien en 1697. M. Carré fe crut obligé à mériter aux yeux du public le titre d'accadémicien; il furmonta fa répugnance na

turelle pour l'impreffion, & donna le premier corps d'ouvrage qui ait paru fur le calcul intégral. Il a pour titre: Méthode pour la mefure des furfaces, la dimension des folides, leurs centres de pefanteur, de percuffion & d'ofcillation, en 1700. Nous en parlâmes dans l'hiftoire de cette même année, (p. 100 & fuiv.) La préface de ce livre ne le donne que pour une application la plus fimple & la plus aisée du calcul intégral; elle le met à fon jufte prix, & n'eft ni faftueuse, ni modefte; mais ce qui vaut mieux que la modeftie même, exactement vraie. L'auteur vint dans la fuite à reconnoître quelques fautes, qu'il eût eu la gloire d'avouer fans détour, & de corriger à une feconde édition.

La deftinée des éleves de M. Varignon eft de faire affez promptement leur chemin dans l'académie; nous en avons dit la raison par avance. M. Carré devint en peu de tems affocié, & enfin penfionnaire, fortune qui fuffifoit à des defirs auffi modérés que les fiens, & qui le mettoit en état de fe livrer plus entiérement à l'étude. Comine il avoit une place de méchanicien,

il tourna fes principales vues de ce côté-là, & embraffa tout ce qui appartenoit à la mufique, la théorie du fon, la description des différens inftrumens, &c. Il négligeoit la mufique en tant qu'elle eft la fource d'un des plus grands plaisirs des fens ; & s'y attachoit en tant qu'elle demande une infinité de recherches fort épineuses. On a vu dans nos histoires quelques ébauches de fes méditations fur ce fujet.

Ses travaux furent fort interrompus par une indisposition prefque continuelle, & qui ne fit qu'augmenter pendant les cinq ou fix dernieres années de fa vie. Son eftomac faifoit fort mal fes fonctions, & l'on a vu, par la nature de fon mal, que les acides très-corrofifs, qui dominoient dans fa conftitution, la ruinoient abfolument. Incapable prefque de toute étude, & encore plus de tout emploi utile, il trouva une retraite chez M. Chauvin, confeiller au parlement, à qui j'ai refufé de fupprimer ici fon nom, malgré les inftances férieufes qu'il m'en a faites. La feule incommodité qu'il recevoit de fon hôte, étoit la difficulté de lui faire accepter les

fecours néceffaires, & l'art qu'il y falloit employer.

Après une affez longue alternative de rechutes & d'intervalles d'une très-foible fanté, enfin il tomba dans un état où il fut le premier à prononcer fon arrêt. Il dit à un prêtre, qui, felon la pratique ordinaire, cherchoit des tours pour le préparer à la mort: Qu'il y avoit long-tems que la philofophie & la religion lui avoient appris à mourir. Il eut toute la fermeté que toutes deux enfemble peuvent donner; & qu'il eft encore étonnant qu'elles donnent toutes deux enfemble. Il comptoit tranquillement combien il lui reftoit encore de jours à vivre, & enfin au dernier jour, combien d'heures, car cette raifon qu'il avoit tant cultivée, fut respectée par la maladie. Deux heures avant fa mort il fit brûler en fa préfence beaucoup de lettres de femmes qu'il avoit. On comprend affez fur quoi ces lettres rouloient, & que fa difcrétion étoit fort différente de celle qu'ont eue en pareil cas quantité de gens d'une autre efpece que lui. Il mourut le 11 avril 1711.

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Je n'ajouterai que quelques traits à tout

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ce qui a été dit fur fon caractere. Il ne demandoit jamais deux fois ce qui lui étoit dû pour les peines qu'il avoit prises. On étoit libre d'en ufer mal avec lui, & pardeffus cela on étoit encore fûr du fecret. Il aimoit l'académie des fciences comme une feconde patrie, & il auroit fait pour elle des actions de Romain. Il eft vrai que je n'en ai point d'autres preuves que des difcours qu'il m'a tenus en certaines occafions; mais ces difcours étoient d'une exacte vérité, & prouvoient autant que les actions d'un autre. Je fais encore que dans une des attaques dont il penfa mourir, cherchoit des expédiens pour se dérober à cet éloge hiftorique, que je dois à tous les académiciens que nous perdons. Il falloit que fa modeftie fût bien délicate pour craindre un éloge auffi fincere, auffi fimple, & où l'art de l'éloquence est aussi peu employé.

Il a laiffé à l'académie plufieurs traités qu'il avoit faits fur différentes matieres de physique ou de mathématique, & par ce moyen, elle se trouve fa légataire univerfelle.

il

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