Imágenes de páginas
PDF
EPUB

roit fon attention des converfations inutiles pour la placer mieux, & mettoit à profit jufqu'au tems d'aller & de venir par les rues. I devinoit, quand il en avoit befoin, ce qu'il eût trouvé dans les livres ; & pour s'épargner la peine de les chercher, & de les étudier, il fe les faifoit.

La chaire de Ramus pour les mathématiques, qui fe donne au concours, étant venue à vaquer au college royal, il se prépara à entrer dans la lice; mais il apprit qu'il falloit commencer le combat par une harangue. La difficulté de la faire, & plus encore celle de l'apprendre par cœur lui firent abandonner l'entreprise.

Un géometre entiérement renfermé dans fa géométrie, n'attendoit certainement aucune fortune du jeu; cependant la baffette fit plus de bien à M. Sauveur, qu'à la plupart de ceux qui y jouoient avec tant de fureur. M. le marquis de Dangeau lui demanda, en 1678, le calcul des avantages du banquier contre les pontes; il le fit au grand étonnement de quantité de gens, qui voyoient nettement évalué en nombre précis ce qu'ils n'a

voient entrevu qu'à peine, & avec beaucoup d'obfcurité. Comme la baffette étoit fort à la mode à la cour, elle contribua à y mettre M. Sauveur, qui fut heureux d'avoir traité un fujet auffi intéreffant. II eut l'honneur d'expliquer fon calcul au roi & à la reine. On lui demanda enfuite ceux du Quinquenove, du Hoca, du Lanfquenet, jeux qu'il ne connoiffoit point, & dont il n'apprenoit les regles que pour les transformer en équation's algébriques, où les joueurs ne les connoiffoient plus. Il ap a paru, long-tems après, un grand ouvrage d'une autre main, fur les jeux de hasard, qui paroît en avoir épuisé tout le géométrique.

En 1680 il fut choifi pour être maître de mathématiques des pages de madame la dauphine. Pendant un voyage de Fontainebleau, M. le maréchal de Bellefonds l'engagea à faire un petit cours d'anatomie pour les courtifans; il fortoit de fa fphere ordinaire, mais non pas de celle de fon favoir. On dit que toute la cour alloit l'entendre; mais je crains qu'on faffe trop d'honneur à toute la cour.

[ocr errors]

Il alla à Chantilly avec M. Mariote , en 1681,

, pour faire des expériences sur les eaux. On sait combien elles peuvent fournir d'occupation à un mathématicien. Il fut connu du grand prince Louis de Condé, dont l'ingénieuse & vive curiosité se portoit à tout ; il prit beaucoup de goût & d'affection pour M. Sauveur; il le faisoit venir souvent de Paris à Chantilly , & l'honoroit de ses lettres. Un jour que M. Sauveur entretenoit le prince sur quelque matiere de science , en présence de deux autres savans, ou qui faisoient profession de l'être, ils lui couperent la parole, ce qui n'étoit jamais difficile, & se mirent à expliquer ce qu'il avoit entrepris. Quand ils eurent fini, M. le Prince leur dit : « Vous avez cru que Sauveur ne s'entendoit pas bien, parce qu'il parle avec peine ; mais je le suivois, & l'entendois parfaitement. Vous m'avez parlé beaucoup plus éloquemment que lui; mais je ne vous ai pas compris, & peutêtre ne vous comprenez-vous pas vousmêmes. »

Il prit le teins de ses voyages de Chan

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

tilly pour travailler à un traité de fortification: quel oracle n'avoit-il pas-là : Cependant quelques années après, se défiant de la simple spéculation qu'il avoit sur ces matieres, il y voulut joindre la pratique, & même la plus périlleuse. Il alla au siege de Mons en 1691, & il y montoit tous les jours la tranchée. Il expofoit la vie, seulement pour ne négliger aucune inftruction , & l'amour de la science étoit devenu en lui un courage guerrier ; le fiege fini, il visita toutes les places de Flandre. Il apprit le détail des évolutions militaires, les campemens, les marches d'armée, enfin tout ce qui appartient à l'art de la guerre, où l'intelligence a pris un rang au-dessus de la valeur même. On ne connoissoit guere que lui de mathématicien à la cour, & les mathématiques n'y étoient guere connues qne par lui ; & comme en ce pays-là la vogue eft plus universelle que par-tout ailleurs , & qu'heureusement pour ce fiecle il n'y a plus d'éducation bien entendue sans mathématiques, il eu l'honneur de les montrer à tous les jeunes princes & aux

enfans

[ocr errors]

a

enfans de France. Ce feroit une affectation inutile que d'enfler cet éloge du dénombrement de tous ces grands noms. Il feroit inutile auffi de rapporter en détail la plupart de fes différens travaux, des méthodes abrégées pour les grands calculs, des tables pour la dépense des jets-d'eau, les cartes des côtes de France, qu'il réduifit par ordre de M. de Seignelai, à la même échelle, & orienta de même façon, & qui compofent le premier volume du Neptune François ; le rapport des poids & des mesures de différens pays; une maniere de jauger avec beaucoup de facilité & de précision toutes fortes de tonneaux; un calendrier univerfel & perpétuel, qui découvrit la fauffeté d'un titre qu'on donnoit pour ancien, & fit condamner les fauffaires, &c. On ne pourroit faire fentir que par une trop grande difcuffion, la difficulté & le prix de ces fortes d'ouvrages, que n'eftiment peutêtre pas affez ceux qui ne se plaisent que fur la cime la plus élevée de la théorie. M. Sauveur ne faifoit guere cas que des mathématiques utiles, effet de fa folidité Q

Tome 11.

« AnteriorContinuar »