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d'entrer dans les ordres, fon perc ceffa de lui fournir ce qui lui étoit nécessaire pour fubfifter à Paris. Affez fouvent on se fait eccléfiaftique pour fe fauver de l'indigence; il aima mieux tomber dans l'indigence, que de fe faire eccléfiaftique. On pourra juger, par le refte de fa vie, que l'extrême opposition qu'il avoit pour cet état, n'étoit fondée que fur ce qu'il en connoiffoit trop bien les devoirs. La même caufe qui l'en éloignoit, l'en rendoit digne.

Sa mauvaise fortune produifit un grand bien. Il cherchoit un afyle, & il en trouva un chez le révérend pere Mallebranche, qui le prit pour écrire fous lui. De la ténébreuse philofophie fcholaftique, il fut tout d'un coup tranfporté à la source d'une philofophie lumineuse & brillante; là, il vit tout changer de face, & un nouvel univers lui fut dévoilé. Il apprit fous un grand maître les mathématiques & la plus fublime métaphyfique, &, en mê. me tems, il prit pour lui un tendre attachement, qui fait l'éloge & du maître & du difciple. M. Carré fe dépouilla fi

bien des préjugés ordinaires, & se pénétra à tel point des principes qui lui furent enseignés, qu'il sembloit ne plus voir par fes yeux, mais par fa raison seule; elle prit chez lui la place & toute l'autorité des fens. Par exemple, il ne croyoit point que les bêtes fuffent de pures machines, comme on le peut croire par un effort de raifonnement, & par la liaison d'un fyftême qui conduit-là; il le croyoit comme on croit communément le contraire, parce qu'on le voit, ou qu'on penfe le voir.

La perfuafion artificielle de la philofophie, quoique formée lentement par de longs circuits, égaloit en lui la persuasion la plus naturelle, & caufée par les im preffions les plus promptes & les plus vives. Ce qu'il croyoit, il le voyoit ; au lieu que les autres croient ce qu'ils voient.

Cependant, il eft encore infiniment plus facile d'être intimement perfuadé des opinions de théorie, les plus contraires aux apparences, que d'être fincérement & tranquillement au deffus des paffions. M. Carré, qui ne favoit pas abandonner fes principes à moitié chemin, étoit allé juf

ques-là, & y avoit été d'autant plus obligé, que le fyftême qu'il fuivoit avec tant de goût, eft une union perpétuelle de la philofophie & du chriftianifme. Sa métaphy fique lui faifoit mépriser les causes occafionnelles des plaisirs, & l'attachoit à leur feule caufe efficace; l'amour de l'ordre imprimoit la juftice dans le fond de son cœur, & lui rendoit tous fes devoirs délicieux. En un mot, la philofophie n'étoit point en lui une teinture légere, ni une décoration fuperficielle; c'étoit un fentiment profond, & une feconde nature, difficile à diftinguer d'avec la premiere.

Après avoir été fept ans dans l'excellente école, où il avoit tant appris, le befoin de se faire quelque forte d'établisfement, & quelque fonds pour sa subsistance l'obligea d'en fortir, & d'aller montrer en ville les mathématiques & la philofophie; mais fur-tout cette philofophie dont il étoit plein. Le rapport qu'elle a aux mœurs, & à la vraie félicité de l'homme, la lui rendoit infiniment plus eftimable que toute la géométrie du mon

de. Il tâchoit même de faire en forte que toute la géométrie ne fût qu'un degré pour paffer à fa chere métaphyfique ; c'étoit elle qu'il avoit toujours en vue, & fa plus grande joie étoit de lui faire quelque nouvelle conquête. Son zele & fes foins eurent beaucoup de fuccès ; il ne manquoit point les gens qu'il entreprenoit, à moins que ce ne fuffent des philofophes endurcis dans d'autres fyftêmes.

Je ne fais par quelle deftinée particuliere il eut beaucoup de femmes pour difciples. La premiere de toutes qui s'apperçut bien vite qu'il avoit quantité de façons de parler vicieuses, lui dit qu'en revanche de la philofophie qu'elle apprenoit de lui, elle lui vouloit apprendre le françois, & il reconnoiffoit que fur ce point il avoit beaucoup profité avec elle. En général il faifoit cas de l'efprit des femmes, même par rapport à la philofophie, foit qu'il les trouvât plus dociles, parce qu'elles n'étoient prévenues d'aucunes idées contraires, & qu'elles ne cherchent qu'à entendre, & non à difputer, foit qu'il fût plus content de leur attachement pour ce qu'elles avoient

une fois embraffé, foit enfin que ce fonds d'inclination qu'on a pour elles, agît en lui s'en qu'il s'en apperçût, & les lui fît paroître plus philofophes; ce qui étoit la plus grande parure qu'elles puffent avoir à fes yeux.

Son commerce avec elles avoit encore l'affaifonnement du myftere, car elles ne font pas moins obligées à cacher les lumieres acquifes de leur efprit, que les fentimens naturels de leur coeur, & leur plus grande fcience doit toujours être d'observer jufqu'au fcrupule les bienféances extérieures de l'ignorance. Il ne nommoit donc jamais celles qu'il inftruifoit, & il ne les voyoit prefque qu'avec les précautions ufitées pour un fujet fort différent. Outre les femmes du monde, il avoit gagné aussi des religieufes, encore plus dociles, plus appliquées, plus occupées de ce qui les touche. Enfin il fe trouvoit à la tête d'un petit empire inconnu, qui ne fe foumettoit qu'aux lumieres, & n'obéiffoit qu'à des démonftrations.

L'occupation de montrer en ville n'eft guere moins oppofée à l'étude que la dif

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