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ÉLOGE

DE MONSIEUR

MOR I N.

LOUIS MORIN naquit au Mans le 11 juillet 1635; fon pere, contrôleur au grenier à fel de la ville, & fa mere étoient tous deux d'une grande piété. Il fut l'aîné de feize enfans, charge peu proportionnée aux facultés de la maifon, & qui auroit effrayé des gens moins réfignés à la Providence.

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Ils donnerent à l'éducaiton de M. Morin tous les foins que leur fortune leur permit, que la religion leur demanda. Dès qu'il put marquer une inclination, il en marqua pour les plantes. Un paysan, qui en venoit fournir les apothicaires de la ville, fut fon premier maître. L'enfant payoit fes leçons de quelque petite monnoie quand il pouvoit, & de ce qui devoit faire fon léger repas d'après-dîner. Déja, avec

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le goût de la botanique, la libéralité & la fobriété commençoient à éclore en lui, & une inclination indifférente ne fe développoit qu'accompagnée de ces deux vertus naiffantes.

Bientôt il eut épuifé tout le favoir de fon maître, & il fallut qu'il allât herborifer lui-même aux environs du Mans, & y chercher des plantes nouvelles. Quand il eut fait fes humanités, on l'envoya à Paris pour la philofophie. Il y vint, mais en botaniste, c'est-à-dire, à pied. Il n'avoit garde de ne pas mettre le chemin à profit.

Sa philofophie faite, fa paffion pour les plantes le détermina à l'étude de la médecine. Alors il embraffa un genre de vie que l'oftentation d'un philosophe ancien, ou la pénitence d'un anachorete n'auroient pas furpaffé. Il fe réduifit au pain & à l'eau; tout au plus fe permettoit-il quelques fruits. Par là, il fe maintenoit l'efprit plus libre pour l'étude & toujours également & parfaitement libre; car l'ame n'avoit nul prétexte de fe plaindre de la matiere: il donnoit à la confervation de fa fanté tout le

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foin qu'elle mérite, & qu'on ne lui donne jamais; il fe ménageoit beaucoup d'autorité pour prêcher un jour la diete à fes malades, & fur tout il fe rendoit riche malgré la fortune, non pas pour lui, mais pour les pauvres, qui feuls profitoient de cette opulence artificielle, plus difficile que toute autre à acquérir. On peut aifément croire que puifqu'il pratiquoit au milieu de Paris cette frugalité digne de la Thébaïde, Paris étoit pour lui une Thébaïde à l'égard de tout le refte, à cela près qu'il lui fourniffoit des livres & des favans.

Il fut reçu docteur en médecine vers l'an 1662. Meffieurs Fagon, Longuet, & Galois, tous trois docteurs de la faculté, & habiles botanistes, travailloient à un catalogue des plantes du jardin royal, qui parut en 1665, fous le nom de M. Vallot, alors premier médecin. Pendant ce travail, M. Morin fut fouvent confulté, & de-là vint l'eftime particuliere que M. Fagon prit pour lui, & qu'il a toujours confervée.

Après quelques années de pratique, il

fut

fut reçu Expectant à l'hôtel-dieu. La place de médecin penfionnaire lui auroit été bien due, dès qu'elle feroit venue à vaquer; mais le mérite feul agit lentement, & c'est même beaucoup qu'il agiffe. M. Morin ne favoit ni s'intriguer, ni faire sa cour; l'extrême modération de fes defirs lui rendoit cet art utile, & fa vie retirée lui en faifoit ignorer jusqu'aux premiers élémens. A la fin cependant on fut forcé de lui rendre juftice. Mais l'argent qu'il recevoit de fa penfion de l'hôtel-dieu y demeuroit; il le remettoit dans le tronc, après avoir bien pris garde à n'être pas découvert. Ce n'étoit pas là fervir gratuitement les pauvres ; c'étoit les payer pour les avoir fervis.

Sur la réputation qu'il s'étoit acquise dans Paris, mademoiselle de Guife fouhaita de l'avoir pour fon médecin. Feu M. Dodart, fon intime ami, eut assez de peine à lui faire accepter cette place. Sa nouvelle dignité l'obligea à prendre un carroffe, attirail fort incommode; mais en fatisfaisant à cette bienséance extérieure dont il pouvoit être comptable Tome 11.

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au public, il ne relâcha rien de fon auftérité dans l'intérieur de fa vie, dont il étoit toujours le maître. Au bout de deux ans & demi, la princeffe tomba malade. Comme il avoit le pronoftic fort fûr, il en défefpéra dans un tems même où elle fe croyoit hors de danger, & lui annonça la mort, miniftere fouverainement défagréable en de pareilles circonftances, mais dont fa piété, jointe à sa fimplicité, l'empêchoit de fentir le défagrément. Il ne le fentit pas non plus par le fuccès. Cette princeffe, touchée de fon zele, tira de fon doigt une bague qu'elle lui donna comme le dernier gage de fon affection, & le récompenfa encore mieux en fe préparant chrétiennement à la mort. Elle lui laiffa par fon teftament deux mille livres de penfion viagere, qui lui ont toujours été bien payées.

A peine fut-elle morte, qu'il fe débarraffa du carroffe, & fe retira à faint Victor, fans aucun domeftique, ayant cependant augmenté fon ordinaire d'un peu de riz cuit à l'eau.

M. Dodart, qui s'étoit chargé du soin

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