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apprendre à ceux qui ne le sentiront pas. Pour moi je n'ai pu le lire sans obéir à l'enthousiasme qu'il commande : il est bien vrai que, si l'énergie de l'Allemagne y triomphe, trop souvent le goût de la France s'y fait regretter. Au milieu des éclairs qui brillent dans cet ouvrage, parmi une foule de scènes magnifiques, devant lesquelles pâlissent tant de beautés de notre theâtre, j'ai rencontré des longueurs rebutantes, des scènes hors de place, des traits d'une inconvenance de toutes les mœurs, et d'un mauvais goût de tous les paye. Jamais l'incorrection du génie n'a été aussi marquée, mais jamais aussi elle n'a tant mérité de disparaître; j'ai eu l'orgueil ou plutôt le besoin de l'entreprendre. Jeune homme, cet ouvrage d'un jeune homme a allumé mon âme; j'ai voulu éviter à cette production brûlante, l'affront d'être retouchée par une main sexagénaire ; j'ai pensé que, plein de Schyller, il était possible de perfectionner son ouvrage, autant qu'impossible de passer son talent. Aussi quelque succès qui puisse couronner cette édition de sa tragédie, noublierai-je jamais, et inviterai-je tous les lecteurs français à ne pas oublier qu'il en est l'auteur, le noble auteur. Glorieux et satisfait si l'on me pronunʊo digut d'y avoir travaillé après lui en quelque contrée de l'Allemagne, ou de l'Europe que son goût ou sa destinée l'ait conduit, je désire qu'il lise ce que je viens d'écrire, et qu'il y croie.

M'occupant donc principalement de la gloire de l'art dramatique, et du plaisir de mes concitoyens, j'ai cru pouvoir profiter, pour le compte de Schyller, de quelques idées et de quelques détails tirés de Robert, chef de brigands, pièce tirée elle-même des Voleurs, Quoique le nombre en soit peu con

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sidérable, je dois cette déclaration au très estimable auteur de cette production, après lequel je n'eusse assurément pas travaillé, si le désir de voir son ouvrage représenté en France, ne l'avait trop souvent réduit à énerver son original, qu'il a embelli quelquefois et dont il n'a donné d'ailleurs qu'une espèce d'abrégé. On sait avec quel succès il a exécuté son dessein; je citerai plusieurs morceaux excellens où son talent s'est montré digne de celui de Schyller, et qui prouveront combien il l'était d'exécuter ce que j'ai osé entreprendre.

J'ai également profité de la littérale et excellente traduction que MM. Friedel et Bonneville ont donné de la pièce des Voleurs, dans le douzième volume du nouveau théâtre allemand; dans nombre d'endroits je me suis borné à les copier presque mot pour mot; j'aurais fait mieux, s'il m'avoit été possible.

Quant à mon propre travail, ce n'est pas à moi à l'apprécier. Quoique Racine se soit dit l'auteur de Phèdre, j'ai trop peu mis du mien dans l'ouvrage qu'on va lire, pour me dire l'auteur des Voleurs; mais peut-être aussi y ai-je trop mis pour ne m'en dire que l'éditeur: je me suis souvent livré à un genre de travail qui leur a donné plus de perfection, qu'il ne m'a donné de peine. Il n'est pas un homme audessus du médiocre, et ayant un peu réfléchi sur ce que c'est que le style, qui n'ait remarqué combien c'est une chose difficile ; quelles fines et imperceptibles nuances a à saisir celui qui veut écrire; combien sont délicates les fibres du coeur, et même de l'esprit; combien, je ne dirai pas une phrase, mais un mot, mais upe transposition, ou embellit, ou défigure

et voile tout un passage. J'ai souvent ôté ce mot dans Schyller, et ce qui est resté a apparu dans tout son éclat; j'ai eu tant de plaisir à rendre au jour tant de sublimes beautés, qu'on aurait tort de m'y trouver beaucoup de mérite: aú surplus, sais-je si en voulant retrancher ses défauts, je n'en ai pas mis de ma façon? Ou me jugera. Au surplus, le défaut que j'ai évité avec le plus de soin, a été d'affaiblir l'énergie de l'original ; j'ai même cru quelquefois l'avoir augmentée. Autant que je l'ai pu du moins, je lui ai conservé son caractère étranger, et souvent gigantesquo; j'ai même cherché à le prendre momentanément dans les scènes et détails que j'ai cru devoir, ajouter. De temps immémorial, presque tous nos traducteurs fran çais ont cru de leur devoir d'énerver les ouvrages étrangers dont ils s'occupaient ; j'ai de beaucoup préféré le reproche contraire, et cependant j'espère prouver, même ici, que le goût ne m'est pas une chose étrangère: c'est le goût qui m'a dit, qu'obligé quel quefois d'ajouter à l'œuvre de Schyller, je devais 'donner à l'ensemble de la pièce l'unité de style, et l'y réunir à l'unité d'action, ou plutôt d'intérêt; quant aux autres unités dont il est question dans les arts poétiques, il n'en sera pas ici question ▸ ce n'est pas le lieu où je me propose d'en dire ma pensée; ce sera à ceux qui y tiennent, de voir en essayant de lire cette tragédie, si elle contient assez de beautés de leur goût pour les dédommager de la privation qu'ils éprouveront à cet égard.

On voit que j'ai conservé à la pièce des Voleurs, le nom de tragédie qu'elle porte dans l'original. Quelques lecteurs français pourront se récrier; mais peuventils le lui disputer, si, autant et plus que toute autre

deuvre dramatique, elle produit une impression profoude et des sensations tragiques? Au surplus qu'ils l'appellent comme ils le voudront : malheur à ce qu'on appelle tragédie, si ce qu'on va lire n'en est pas une. Je n'estime pas assez toutes les opinions dramati ques de mes concitoyens, pour penser que, de longtemps au moins, cet ouvrage puisse être représenté sur un théâtre français; beaucoup de raisons me semblent devoir s'y opposer; quoiqu'il en soit, n'en étant tout au 'plus que le père adoptif, je verrai avec plus de tranquilite le sort quelconque qu'il subira sur la scène moins orageuse où je l'expose, et je m'occupe déja à le combiner. Toutes les ames froides ou refroidies, toutes celles qui sont molles, et celles qui sont remplies, pour notre littérature, d'une admiration trop exclusive, goûteront peu cette production: beaucoup de personnes crieront au mauvais goût, à la barbarie, au délire! quelques-unes même condamneront sans retour et Schyller et moi-même, son éditeur, qui serai extrêmement sensible à leur déci sion: mais d'autres âmes fortes, pittoresques, senti mentales pourront en appeler. Il se pourra que la beauté des situations et des caractères, le feu des sentimens, le neuf des scènes, des pensées, et même des expressions les séduise toujours de plus en plus, et, qui sait, les remplisse pour Schyller d'une admiration scandaleuse. Un jeune homme enivré de son Ouvrage, en citera les traits brûlans à sa maîtresse ; its s'allumeront à sa lecture; ils ne seront pas les seuls, et la fortune de la pièce sera faite. Oui, le livre de Schyller deviendra celui des ames fortes, des jeunes gens, et peut-être des femmes; oui, des femmes.

Je ne puis mieux terminer la préface des Voleurs

qu'en citant l'opinion que son auteur veut en donner; Je me reprocherais de priver les lecteurs de ce passage aussi original que son ouvrage. Après qu'un succès inoui l'a courrouné, il imprime qu'il est détestable, Malgré ses nombreux défauts, et bien qu'il soit vrai qu'en beaucoup d'endroits, même des plus importans, il semble ne l'avoir qu'ébauché, je me gar derai bien d'ajouter, comme les excellens traducteurs du théâtre allemand, qu'il a vraiment raison. Tous ceux qui sentent, jugeront à quel point il a tort. Voici ce passage; il est extrait du proopcolue d'un ouvrage périodique qu'il a publié après avoir quitté, pour cause de sa pièce, Wirtemberg, sa patrie, où il avait été élevé dans l'école militaire du duc de ce nom. Au milieu de quelque peu de galimathias, on retrouve sa manière noble et élevée à l'excès. Il ne faudrait pas que ce fût celle de tous les auteurs; mais il me semble qu'on est charmé de la rencontrer quelquefois.

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« J'écris comme citoyen du monde; je ne sers aucun prince; de bonne heure j'ai perdu ma patrie pour l'échanger contre le genre humain que je connaissais à peine en imagination, Un singulier mal-entendu de la nature, m'avait condamné à me faire poëte dans la ville où j'étais né; mon penchaut pour la poésie blessait, dit-on, les loix de l'institut dans lequel j'étais élevé. Mon enthousiasme a lutté pendant dix années entières contre un état pour lequel mon cœur n'était point fait. La passion pour la poésie est dévorante comme le premier amour; ceux qui ont cru l'étouffer l'ont entretenue brûlante.

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Pour échapper à un contrat fait sans moi, dont j'étais la victime, mon cœur s'égarait dans un monde déal. Ne connaissant ni le monde réel dont j'étais

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