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SCENE X.

SPIEGELBERG, GRIMM, RAATZMANN, CHARLES, ROLLER, SCREVZER, SCHOUFTERLE, TROUPE DE VOLEURS, couverts de sueur et de poussière.

CHARLES, sautant de cheval (1).

LIBER

IBERTÉ! liberté ! te voilà sauvé Roller. Emme nez mon cheval. I

...

y

faisait chaud. ( Il s'assied

par terre.)

RAATZMANN, l'embrassant:

Tu es donc ressuscité, Roller?

Je t'ai cru perdu.

GRIM M.

ROLLER.

Ma foi, j'arrive tout droit de la potence... Laissezmoi d'abord respirer.... Screvzer te racontera... Un verre de vin.... Ah! te voilà, Spiegelberg? Je croyais bien te revoir ailleurs. Un verre de vin. RAATZMAN N.

Tiens, tiens, Roller, le voilà.

ROLLER, le dévorant.

Ah!... j'en avais besoin. Vous êtes bien étonnés de me revoir. Allez je le suis bien plus que vous.

(1) Si jamais cette pièce était représentée sur un théâtre, et avec -un luxe digne d'elie, il faudrait que Charles, Roller, et tous les autres voleurs qui l'accompagnent, arrivassent à cheval. Il serait au moins indispensable que Charles en montât ún magnifique. Au surplus, je serais le plus étonné de tous ceux qui verraient jouer une telle tragédie,

J'étais si près de la mort... On aurait eu ma vie pour une prise de tabac. Et c'est à mon capitaine que je dois l'air, la liberté, la vie.

SCREVZER.

C'est une étrange aventure. (Spiegelberg.) Nous apprenons la veille, par nos espions, que le pauvre Roller en a par-dessus la tête ; et que si le ciel ne se hâtait de crouler, demain, c'est-à-dire aujourd'hui, il serait forcé de prendre la route universelle. Allons, dit le capitaine, que ne risque pas un ami? Nous lé sauverons, ou nous ne pourrons pas le sauver. Ce qu'il y a de certain, c'est que plus d'un avec lui fera fe grand voyage. Que cinquante soient prêts à me suivre, Nous obéissons; et d'abord il envoie un exprès à Roller; et par un billet jetté dans sa prison, nous l'avertissors d'être prêt à tout, et d'espérer encore. ROLLE R.

Je n'espérais plus rien.

SCREVZER.

Nous guettions le moment où tous les chemins seraient déserts. Toute la ville était au grand spectacle. Une foule d'hommes et de femmes, pleine d'humanité, était allée voir expirer notre camarade. Son moment était arrivé; et le cantique de la potence retentissait déjà dans les airs. A présent, dit le capitaine, mettez le feu ; allumez. Nous partons comme des flèches. En un instant le feu est à la ville en cinquante endroits différens : nous jettons des mêchesenfiammées dans le magasin à poudre, dans les églises, dans les granges. Le vent du nord nous favorise ; et déjà de tous côtés la flamme s'élève par tourbillons ; et nous 'autres nous allious crians dans les rues : au feu ! au feu!

et nous traversous toute la ville. Des cris affreux, des hurlemens frappent les airs: le tocsin sonne : le magasin à poudre crêve; on eût dit que la nature était bouleversée, et que le ciel venait de se fendre jusques dans son centre.

ROLLER.

Et alors mon cortège regarde en arrière. Tout l'horizon n'était que fen, soufre et fumée. La ville embrâsée retentissait d'un horrible fracas, que répétaient longuement quarante montagnes épouvantées : une terreur panique avait renversé ceux qui m'environnaient: mes fers étaient ôtés, tant j'étais près de la mort. Mon courage s'augmente de leur faiblesse rapide comme la bise, je fuis loin d'eux avant qu'ils aient eu le temps de s'eu appercevoir. Je déchire mes habits; je me perds dans la foule ; je plonge dans la rivière; je nage entre deux eaux pour échapper aux regards. Mon capitaine était sur le rivage avec des chevaux et des habits: et me voilà, me voilà. Ah, Charles! Charles! Puisse-tu bientôt tomber entre leurs mains, pour qu'à mon tour je te rende un pareil service.

RAATZMANN.

Souhait de bête féroce, pour lequel on devrait to pendre. Le capitaine est arrivé à temps."

ROLLER.

C'était-là du secours dans le besoin ; vous ne pouvez pas l'apprécier: il vous aurait fallu comme moi pleins de vie, marcher à la mort; avoir sous les yeux ces apprêts de démons; et à chaque pas que le pied tremblant avait achevé, voir d'une vue plus présente et plus horrible le hideux échafaud. Et la voix des

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bourreaux; et l'abominable musique. J'entends encore retentir à mon oreille les sinistres vœux que l'on faisait pour mon salut ainsi que les croassemens des corbeaux qui par centaines s'élevaient de mon fétide prédécesseur ; et par-dessus tout les démons que j'entendais déjà se réjouir de mon arrivée. Non, pour tous les trésors de l'Allemagne je ne voudrais pas y passer une seconde fois. Vous savez si la mort dans les combats m'est redoutable; mais dans les supplices elle est affreuse, et ses angoisses horribles. GRIM M.

1

Et le magasin à poudre qui a sauté : voilà pourquoi nous sentions ici une odeur de soufre, dont nous cherchions la cause.

RAATZMAN N.

Il a dû périr bien du monde dans cette affaire.
SCREVZE R.

Oui; au moins cent personnes : la tour seule en a écrasé plus de soixante.

CHARLES, d'un grand sérieux.

Roller tu as coûté cher.

SCHOUFTERLE.

Bah! que sont ces morts-là ? des enfans au berceau, des marmots, des vieilles, des vieillards: tout ce qu'il y avait de jambes agiles était au grand spectacle. CHARLES, se levant.

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Des vieillards, dis-tu ?

SCHOUFTERLE,

que

de

Ma foi je n'en ai trouvé sur mon chemin cette espèce, ou des malades et des femmes en couche. En passant par hasard auprès d'une baraque, j'entends des lamentations; j'y jette les yeux, et je vois

un enfant par terre sous une table où le feu ne prenait pas encore. Pauvre petit, ai-je dit, tu'meurs de froid: va te chauffer; et je l'ai jetté dans le feu.

CHARLES.

Tu as dit cela? Tiens....( Il lui brûle la cervelle.) Il y a un monstre de moins sur la terre...( Aux voleurs.) Vous murmurez, je crois ? Qui ose murmurer contre son capitaine? Retirez-vous tous; il y en a encore d'autres parmi vous qui sont mûrs pour ma colère. Je te connais, Spiegelberg; tu as commis à Leipsick des horreurs gratuites. Je veux bien des voleurs dans ma bande, mais je n'y veux point de scélérats. Je ne farderai point à vous rassembler, et à faire une revue qui vous fera frémir. Eloignez-vous.

(Tous obéissent. }

SCENE X I.

CHARLES, seul.

PLUS de cent personnes et des enfans, des vieillards, des femmes: ne les entends pas, vengeur céleste! Si je suis le destin qui m'est impérieusement tracé (1); si la fatalité me lie au terrible métier où elle m'a conduit, puis-je m'y opposer? peux - tu me punir? Est-ce ma faute, si ta peste, ta famine, tes assassins dévorent à-la-fois les justes et les scélérats? Oui, quand l'Eternel dit au soleil de dessécher nos plaines, aux torrens d'inonder les campagnes dévástées ; quand il ordonne aux vents brûlans de porter la

(1) Presque tout ce monologue, ainsi qu'une partie de celui du cinquième acte, est de l'auteur de Robert, chef de brigands.

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