Imágenes de páginas
PDF
EPUB

qu'elle étoit inhabitable. De même parce qu'il n'y a point de loups en Angleterre, & que depuis plufieurs génerations on n'y en a point vû, le peuple, & des perfonnes même fenfées se font imaginé que les loups que l'on y tranfporteroit d'ailleurs n'y pourroient vivre. On affure encore géneralement, & peu d'anglois croyent le contraire, qu'il n'y a point d'araignées en Irlande; mais nous y en avons vû, & bien qu'elles foient rares, nous trouvons des toiles d'araignées attachées aux bois qui nous viennent d'Irlande. Et, parce que les crocodiles quoique fortis d'un œuf parviennent à une grandeur extraordinaire; on s'eft perfuadé, & quelques auteurs le foutiennent, que les crocodiles ne ceffent point de croître tant qu'ils vivent. Ainfi les hom mes paffent-ils prefque toujours les bornes de l'exacte vérité, & donnent à leurs idées une extenfion qui n'eft point dans la na ture des choses.

y

On voit dans les cartes geographiques 'du lac de Sodome, les villes qui périrent; & dans plufieurs de ces cartes la ville de Sodome eft placée au milieu du lac, ou loin de fes bords; mais cette pofition ne paroît pas exacte; car il eft dit que Loth étant parti de Sodome au point du jour arriva au lever du foleil à Segor; donc Sodome n'étoit pas fort éloignée de Segor,

autrement il n'auroit pû faire ce chemin en fi peu de tems. Or Segor étoit certainement fituée au pied des montagnes fur les bords de ce lac qui a fept ou huit lieues de large.

[ocr errors]

CHAPITRE XV I.
De quelques autres traditions.

CE que Lucillius raconte de Craffus

grand pere de Marc Antoine, qu'il ne rit qu'une feule fois en toute fa vie, & cela à l'occafion d'un âne qui mangeoit des chardons, me paroît fort extraordinaire. Car fi un fpectacle auffi indifferent put le tirer de fa gravité, quelle apparence qu'elle ait tenu contre tant d'autres objets plus rifibles fans comparaifon? car le ris n'eft pas toujours en notre puiffance; il peut être forcé quelquefois, & des perfonnes mourantes entendant des faceties fingulieres, de ces faceties qui peuvent remuer les ames les plus infenfibles, n'y ont pas refifté. Les hommes alors devoient être moins difpofés à la joye que nous ne le fommes aujourd'hui, pufqu'ils pouvoient conferver des dehors fi aufteres, lors même que l'on s'efforcoit de les égayer. Pluton que Lucien fait rire des chofes humaines condamneroit ces hommes taciturnes, & tourneroit en ridicule le fameux Heraclite

qui pleuroit mal à propos de tout, & faisoit un enfer de la vie humaine, en rejettant toutes les confolations, & paffant fes jours dans les larmes.'

2o On dit auffi du Sauveur qu'il n'a jamais ri, & l'on fe fonde fur le filence des livres faints à cet égard, au lieu qu'on y lit qu'il a pleuré quelquefois. Mais il est difficile de concevoir qu'il n'ait jamais fouri même dans fon enfance, fi pour cacher fa nature divine au démon, & convaincre les hommes de fon humanité, il paffa ces premieres années dans les mêmes occupations que les autres enfans, & continua d'agir comme un homme jufqu'au tems de fon miniftere qu'il commença à donner des preuves de fa divinité : & je ne croi pas qu'il y ait de la témerité à lui attribuer l'acte d'une paffion qui eft indifferente. L'écriture même ne dit-elle pas du pere qu'il fe rira des méchans ; car il y a un ris d'indignation comme un ris de joye; & les theologiens conviennent que le Sauveur fut fufceptible de colere, mais d'une colere jufte & dirigée par la raifon; car outre l'exemple qu'il en donna en chaffant les vendeurs de l'enceinte du temple, S. Jean nous en affure lorfqu'il lui applique ces paroles de David: Zelus domus tua comedit me

3o Les fouverains pontifes font dans l'ufage de changer de nom à leur avenement;

& l'on dit que c'eft le Pape Bocca di porco, qui perfuadé qu'un pareil nom deshonoroit la chaire de S. Pierre, prit celui de Sergius II. & introduifit cette coutume. Mais fi nous en devons croire Montaigu & quelques autres, rien n'eft plus mal fondé que la tradition reçue fur cet article. Masson qui a écrit les vies des papes, reconnoît que Sergius n'eft pas le premier qui ait changé de nom à fon exaltation; & ce même ufage, comme l'affure Platine, n'a pas été fuivi par tous fes fucceffeurs; car Adrien VI. & Marcelle II. conferverent le nom qui leur avoit été impofé au baptême. J'ajoute qu'il n'eft ni prouvé, ni probable que Sergius ait quitté fon nom de Bocca di porco, puifque c'étoit le furnom de fa famille, & non pas fon nom de baptême.

4° C'eft une opinion génerale que Tamerlan fut d'abord un pafteur scythe; mais cette même opinion eft détruite par les témoignages de M. Knolls, & d'Alhazen fçavant arabe qui a écrit la vie de ce prince. Sa naiffance même ne peut guere s'accorder avec cette tradition, car il étoit du fang des empereurs tartares, & fon pere Og avoit en proprieté la province de Sagathi qui comprenoit la Bactriane, la Sogdiane, la Margiane, & les Maffagetes. Sa capitale étoit Samarcan qui fut autrefois une ville très confiderable, bien qu'elle foit déchue

aujourd'hui de fon ancienne fplendeut. Mais ce qui rend cette tradition absolument fufpecte, c'eft qu'il fut couronné à l'âge de 15 ans par la démission volontaire de -fon pere, qui étoit alors fort avancé en âge; & qu'il reçut une éducation excellente, puifqu'il fut inftruit dans les fciences des arabes, & qu'il s'y diftingua. Or les arabes excelloient alors dans prefque toutes les fciences, furtout dans les mathematiques, & dans la philofophie naturelle; & l'Arabie, quand il monta fur le thrône n'avoit perdu que depuis peu les Avicennes, les Averroes, les Avenzoar, les Gehers, les Almanzors, & cet Alhazen qui étoit contemporain d'Avicenne, & qui a laiffé feize livres d'optique fort eftimés autrefois, & que l'on cite encore aujourd'hui.

On trouve dans une hiftoire turque l'origine de cette erreur; quelques-uns de nos hiftoriens, dit l'auteur, veulent absolument que Tarmerlan fut fils d'un pafteur; mais ils peuvent s'être expliqués de la forte, parce qu'ils ignoroient l'ufage du pays où il avoit pris naiffance. Là le principal revenu confifte en troupeaux; & les princes méprifant l'or & l'argent s'attachent uniquement à en avoir de fort nombreux; & voilà fans doute pourquoi quelques écrivains les appellent pafteurs, & foutiennent qu'ils en étoient iffus.

« AnteriorContinuar »