Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Or fi l'on peut donner le nom de pafteurs à de grands hommes dont les principales richeffes confiftoient en leurs troupeaux, & s'il eft permis de les avilir à ce titre, on pourra dire également qu'Abra ham fut un pafteur, quoiqu'il eût des forces fuperieures à celles de quatre rois que Job étoit un pafteur, qui outre un nombre prodigieux de bœufs & de chameaux avoit fept mille brebis, & qui dans fon hiftoire eft nommé le plus puiffant de l'orient; & que Mefa étoit auffi un pafteur, parce qu'il payoit chaque année au rois d'Ifrael un tribut de cent mille agneaux, & d'autant de beliers. Au refte cette profeffion ne devoit pas être deshonorante, puifque Moyfe & Jacob l'avoient embraffée. Elle étoit la plus naturelle pour s'enrichir; & quoique les égyptiens l'ayent méprifée, elle étoit en eftime chés les hebreux dont les facrifices demandoient beaucoup de brebis & d'agneaux. Il falloit bien qu'ils en euffent un grand nombre, puisqu'à la confécration du temple, le roi Salomon, outre 22000 bœufs fit offrir 12000 brebis, & que pour la dépense journaliere de fa maifon il lui falloit dix boeufs gras, vingt bœufs d'une autre efpece, cent brebis, outre les cerfs, les chevreuils, & la volaille. En quoi pourtant, s'il faut en croire une relation moderne, le grand feigneur l'emporte fur

Dd iiij

[ocr errors]

Salomon; car fous l'empereur Achmet la provifion journaliere du Serrail étoit de 200 moutons, 100 agneaux, dix veaux, cinquante oyes, 200 poulardes, 100 pou lets, & 100 paires de pigeons fans compter les bœufs.

Ainfi l'erreur qui regarde la naiffance de Tamerlan, eft de la même nature que l'erreur qui regarde celle de Demofthene. On prétendoit qu'il étoit fils d'un maréchal, comme il paroît par ces vers du poete Satyrique.:

Quem pater ardentis massa fuligine lippus
A carbone & forcipibus, gladiofque parante
Incude, & luteo vulcano ad rhetora mifit.

Mais Plutarque dans la vie qu'il a écrite de ce grand orateur, diffipe ce doute. Il y dit en termes formels que Demofthene étoit d'une famille noble, & que l'erreur fur fa naiffance étoit fondée fur ce que fon pere ayant un grand nombre d'esclaves, il les faifoit travailler à des forges qui lui rapportoient un revenu confiderable.

CHAPITRE XVII.

10

Q

De quelques autres traditions.

Ui pourroit ne pas s'attendrir en
lifant que Belifaire
pour prix des

victoires qu'il avoit remportées fur les goths, fur les vandales, fur les perfes, eut les yeux crevés par l'ordre de l'empereur Juftinien à qui il avoit rendu des fervices fi éclatans, & qu'il fut réduit à demander l'aumône en ces termes : Date obolum Beli Jario. C'eft du moins ce que l'on débite dans les converfations, & qui fe trouve dans les ouvrages de Crinitus, de Volaterranus, & de plufieurs auteurs graves.

Mais, ce qui foit dit pour la confolation de ceux qui honorent la vertu, on ne lit cette hiftoire tragique ni dans les auteur's contemporains de Belifaire, ni dans les auteurs anciens. Suidas n'en dit rien; Cedrenus & Zonare, auteurs d'une exactitude reconnue ne parlent uniquement que de la confifcation de fes biens. Paul diacre, loin de parler de cette extrême mendicité, assure que fes biens lui furent rendus avec les honneurs dont il avoit joui. Agathias fon contemporain, dit feulement qu'il eut beaucoup à fouffrir de l'envie; mais peut-on conclurre de cette expreffion qu'il ait été jamais réduit à la mifere dont on fait une fi touchante peinture? Procope ennemi déclaré de Juftinien & de Belifaire, & qui a écrit un libelle contre eux garde un profond filence fur cet article. André Alciat ce fameux jurifconfulte & François de Cordoue ont refuté cette fable, auffi-bien

que Nicolas Alemannus dans fes notes fuf les anecdoctes de Procope. Il eft à préfumer que cette fable doit fon origine à une méprife qui a fait attribuer à Belifaire les malheurs qui étoient arrivés à un autre. Telle fut la deftinée de Jean Cappadocien qui vivoit au même tems que Belifaire, & qui poffedoit la faveur de Juftinien. Il fut enfuite exilé en Egypte, & réduit à mendier fur les grands chemins.

2

On defapprouvera peut-être que nous refufions de regarder avec les anciens chaque dixième onde comme plus groffe & plus dangereufe que les autres; autres; Ovide s'exprime ainfi fur cet article:

Qui venit hic fluctus, fluctus fupereminet omnes i

Pofterior nono eft, undecimoque prior.

Mais ce fait eft abfolument faux, comme je m'en fuis convaincu moi-même, en l'ob fervant avec attention. Et l'on fe flatteroit en vain de trouver dans les mouvemens particuliers de la mer, cette régularité que l'on remarque dans fes reciprocations gé nerales, parce qu'elles ont des caufes conftantes L'agitation des flots est un mouvement violent que les vents, les côtes, les bancs de fable, & tous les corps qui interviennent varient à chaque inftant. On pourroit de même efperer de la régularité

dans les vents; il y en a bien à la verité qui font réglés dans les mouffons, d'autres qui font annuels, d'autres encore qui fervent à marquer les points du ciel; mais s'enfuit-il que les corps qu'ils agitent retiennent des mouvemens réglés: & les pilotes pourroient-ils s'y arrêter?

Je dis le même de l'ovum decumanum, ou de chaque dixiéme œuf que Feftus affure être plus gros que les autres. Decumana ova dicuntur, quia ovum decimum majus nafcitur. Nous fouhaiterions que ce fait fût veritable; mais il n'eft pas mieux appuyé que l'autre; & je croi que peu de gens foumis comme les difciples de Pythagore admettront ces idées qui n'ont d'autre fondement que cettains nombres. Car ces idées font certainement numeriques; elles ont rapport au nombre 10, fuivant la démonftration de Sylvius. Le nombre 1 o étant le plus grand des nombres fimples, on a par cette raifon affecté de donner une forte de preéminence à chaque dixiéme chofe. Et parce qu'on a donné au figuré le nom de decumanus à tout ce qui étoit excellent, on a été jusqu'à en revêtir au fens litteral beaucoup d'autres chofes ; & de là on a transporté au nombre 10 tout ce qui à caufe de fon excellence particuliere avoit été nommé decumanus

Les grecs pour fignifier un flot de la premiere groffeur fe fervoient du mot τρικυμία

« AnteriorContinuar »