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A prendre malgré luy tout ce qu'on luy ordonne,
Qui, pour ne mourir point, de crainte se pardonne,
De mesme les esprits debonnaires et doux
Se façonnent prudens par l'exemple des foux,
Et le blasme d'autruy leur fait ces bons offices,
Qu'il leur aprend que c'est de vertus et de vices.
Or, quoy que j'aye fait, si m'en sont-ils restez,
Qui me pourroient par l'âge à la fin estre ostez,
Ou bien de mes amis avec la remonstrance,
Ou de mon bon demon suivant l'intelligence.
Car, quoy qu'on puisse faire, estant homme, on ne peut
Ny vivre comme on doit ny vivre comme on veut.
En la terre icy bas il n'habite point d'anges :
Or les moins vicieux meritent des louanges,
Qui, sans prendre l'autruy, vivent en bon chrestien,
Et sont ceux qu'on peut dire et saincts et gens de bien.
Quand je suis à par moy, souvent je m'estudie
(Tant que faire se peut) après la maladie
Dont chacun est blessé : je pense à mon devoir,
J'ouvre les yeux de l'âme, et m'efforce de voir
Au travers d'un chacun; de l'esprit je m'escrime,
Puis dessus le papier mes caprices je rime
Dedans une satyre, où, d'un œil doux-amer,
Tout le monde s'y voit et ne s'y sent nommer.
Voyla l'un des pechez où mon âme est encline.
On dit que pardonner est une œuvre divine.
Celuy m'obligera qui voudra m'excuser;
A son goust toutesfois chacun en peut user.
Quant à ceux du mestier, ils ont dequoy s'ébatre :
Sans aller sur le pré nous nous pouvons combatre,
Nous monstrant seulement de la plume ennemis.
En ce cas là, du Roy les duels sont permis;
Et faudra que bien forte ils facent la partie,
Si les plus fins d'entr'eux s'en vont sans repartie.
Mais c'est un satvrique, il le faut laisser là.

Pour moi j'en suis d'avis, et cognois à cela
Qu'ils ont un bon esprit. Corsaires à corsaires,
L'un l'autre s'attaquant, ne font pas leurs affaires.

FIN.

MACETTE

SATYRE XIII

La fameuse Macette, à la cour si connue,
Qui s'est aux lieux d'honneur en credit maintenue,
Et qui depuis dix ans jusqu'en ses derniers jours
A soustenu le prix en l'escrime d'amours,
Lasse en fin de servir au peuple de quintaine,
N'estant passe-volant, soldat ny capitaine,
Depuis les plus chetifs jusques aux plus fendans,
Qu'elle n'ait desconfit et mis dessus les dents;
Lasse, di-je, et non soule, en fin s'est retirée
Et n'a plus autre objet que la voute etherée.
Elle qui n'eust, avant que plorer son delict,
Autre ciel pour objet que le ciel de son lict
A changé de courage, et, confitte en detresse,
Imite avec ses pleurs la saincte pecheresse;
Donnant des sainctes loix à son affection,
Elle a mis son amour à la devotion.

Sans art elle s'habille, et, simple en contenance,
Son teint mortifié presche la continence.
Clergesse, elle fait jà la leçon aux prescheurs :
Elle lit sainct Bernard, la Guide des Pecheurs,
Les Meditations de la mère Therèse,

Sçait que c'est qu'hypostase avecque synderese;
Jour et nuict elle va de convent en convent,
Visite les saincts lieux, se confesse souvent,
A des cas reservez grandes intelligences,
Sçait du nom de Jésus toutes les Indulgences,

Que valent chapelets, grains benits enfilez,
Et l'ordre du cordon des peres Recollez.
Loin du monde elle fait sa demeure et son giste;
Son œil tout penitent ne pleure qu'eau beniste;
En fin c'est un exemple, en ce siècle tortu,
D'amour, de charité, d'honneur et de vertu.
Pour beate par tout le peuple la renomme,
Et la Gazette mesme a des-jà dit à Rome,
La voyant aymer Dieu et la chair maistriser,
Qu'on n'attend que sa mort pour la canoniser.
Moy mesme, qui ne croy de leger aux merveilles,
Qui reproche souvent mes yeux et mes oreilles,
La voyant si changée en un temps si subit,
Je creu qu'elle l'estoit d'ame comme d'habit;
Que Dieu la retiroit d'une faute si grande,
Et disois à par moy : mal vit qui ne s'amende.
Ja dès-jà tout devot, contrit et penitent,
J'estois, à son exemple, esmeu d'en faire autant :
Quand, par arrest du Ciel, qui hait l'hypocrisie,
Au logis d'une fille où j'ay ma fantasie
Ceste vieille chouette, à pas lents et posez,
La parole modeste et les yeux composez,
Entra par reverence, et resserrant la bouche,
Timide en son respect, sembloit saincte Nitouchc;
D'un Ave Maria luy donnant le bon-jour,
Et de propos communs, bien esloignez d'amour,
Entretenoit la belle en qui j'ay la pensée
D'un doux imaginer si doucement blessée,
Qu'aymans et bien aymez, en nos doux passe-temps,
Nous rendons en amour jaloux les plus contans.
Enfin, comme en caquet ce vieux sexe fourmille,
De propos en propos et de fil en esguille
Se laissant emporter au flus de ses discours,
Je pensé qu'il falloit que le mal eust son cours.
Feignant de m'en aller, d'aguet je me recule

Pour voir à quelle fin tendoit son preambule,
Moy qui, voyant son port si plein de saincteté,
Pour mourir d'aucun mal ne me feusse doubté.
Enfin, me tapissant au recoin d'une porte,
J'entendy son propos, qui fut de ceste sorte :

<< Ma fille, Dieu vous garde et vous vueille benir
Si je vous veux du mal, qu'il me puisse advenir;
Qu'eussiez vous tout le bien dont le ciel vous est chi-
L'ayant, je n'en seroy plus pauvre ny plus riche: [che!
Car, n'estant plus du monde, au bien je ne pretens,
Ou bien, si j'en desire, en l'autre je l'attens;
D'autre chose icy bas le bon Dieu je ne prie.
A propos, sçavez vous? On dit qu'on vous marie.
Je sçay bien vostre cas : un homme grand, adroit,
Riche, et Dieu sçait s'il a tout ce qu'il vous faudroit.
Il vous ayme si fort! aussi pourquoy, ma fille,
Ne vous aimeroit-il ? vous estes si gentille,
Si mignonne et si belle, et d'un regard si doux,
Que la beauté plus grande est laide auprès de vous.
Mais tout ne respond pas au traict de ce visage
Plus vermeil qu'une rose et plus beau qu'un rivage.
Vous devriez, estant belle, avoir de beaux habits,
Esclater de satin, de perles, de rubis.

Le grand regret que j'ay! non pas, à Dieu ne plaise,
Que j'en ay' de vous voir belle et bien à vostre aise
Mais,pour moy, je voudroy que vous eussiez au moins
Ce qui peut en amour satisfaire à vos soins ;
Que cecy fust de soye et non pas d'estamine.
Ma foy, les beaux habits servent bien à la mine.
On a beau s'ageancer et faire les doux yeux,
Quand on est bien paré on en est tousjours mieux :
Mais, sans avoir du bien, que sert la renommée ?
C'est une vanité confusément semée
Dans l'esprit des humains, un mal d'opinion,
Un faux germe avorté dans nostre affection.

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