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Et qu'il ait, sans espoir d'estre mieux à la Court,
A son long balandran changé son manteau court,
Bien que, depuis vingt ans, sa grimace importune
Ayt à sa desfaveur obstiné la fortune?

Il n'est pas le Cousin qui n'ait quelque raison. De peur de reparer il laisse sa maison ;

Que son lict ne defonce, il dort dessus la dure,
Et n'a, crainte du chaud, que l'air pour couverture.
Ne se pouvant munir encontre tant de maux
Dont l'air intemperé fait guerre aux animaux,
Comme le chaud, le froid, les frimas et la pluye,
Mil autres accidens, bourreaux de nostre vie,
Luy, selon sa raison, souz eux il s'est sousmis,
Et, forçant la Nature, il les a pour amis.
Il n'est point enreumé pour dormir sur la terre;
Son poulmon enflammé ne tousse le caterre;
Il ne craint ny les dents ny les defluctions,
Et son corps a, tout sain, libres ses fonctions.
En tout indifferent, tout est à son usage.
On dira qu'il est fou: je croy qu'il n'est pas sage.
Que Diogène aussi fust un fou de tout point,
C'est ce que le Cousin comme moy ne croit point.
Ainsi ceste raison est une estrange beste;
On l'a bonne selon qu'on a bonne la teste,
Qu'on imagine bien du sens comme de l'œil,
Pour grain ne prenant pailie, ou Paris pour

Corbeil.

Or, suivant ma raison et mon intelligence, Mettant tout en avant, et soin et diligence, Et criblant mes raisons pour en faire un bon chois, Vous estes, à mon gré, l'homme que je cherchois. Afin doncq' qu'en discours le temps je ne consomme Ou vous estes le mien, ou je ne veux point d'homme Qu'un chacun en ait un ainsi qu'il luy plaira; Rozete, nous verrons qui s'en repentira.

Un chacun en son sens selon son chois abonde.

Or, m'ayant mis en goust des hommes et du monde,
Reduisant brusquement le tout en son entier,
Encor faut-il finir par un tour du mestier.

On dit que Jupiter, roy des Dieux et des hommes, Se promenant un jour en la terre où nous sommes, Receut en amitié deux hommes apparens,

Tous deux d'âge pareils, mais de mœurs differens.
L'un avoit nom Minos, l'autre avoit nom Tantale:
Il les eslève au ciel, et d'abord leur estale,
Parmy les bons propos, les graces et les ris,
Tout ce que la faveur depart aux favoris:
Ils mangeoient à sa table, avaloient l'ambrosie,
Et des plaisirs du Ciel souloient leur fantasie,
Ils estoient comme chefs de son Conseil privé,
Et rien n'estoit bien fait qu'ils n'eussent aprouvé.
Minos eut bon esprit, prudent, accord et sage,
Et sçeut jusqu'à la fin jouer son personnage :
L'autre fut un langard, revelant les secrets

Du Ciel et de son maistre aux hommes indiscrets:
L'un avecque prudence au Ciel s'impatronise,

Et l'autre en fut chassé comme un peteux d'église.

SATYRE XV

Oux, j'escry rarement, et me plais de le faire;
Non pas que la paresse en moy soit ordinaire,
Mais si tost que je prens la plume à ce dessein,
Je croy prendre en galère une rame en la main;
Je sen, au second vers que la Muse me dicte,
Que contre sa fureur ma raison se despite.

Or si par fois j'escry suivant mon ascendant,
Je vous jure, encor est-ce à mon corps deffendant.
L'astre qui de naissance à la Muse me lie
Me fait rompre la teste après ceste folie,
Que je recongnois bien; mais pourtant, malgré moy,
Il faut que mon humeur fasse joug à sa loy;
Que je demande en moi ce que je me desnie,
De mon ame et du Ciel estrange tyrannie!
Et qui pis est, ce mal, qui m'afflige au mourir,
S'obstine aux recipez et ne se veut guarir;
Plus on drogue ce mal et tant plus il s'empire;
Il n'est point d'elebore assez en Anticire;
Revesche à mes raisons, il se rend plus mutin,
Et ma philosophie y perd tout son latin.
Or pour estre incurable, il n'est pas necessaire,
Patient en mon mal, que je m'y doive plaire;
Au contraire, il m'en fasche et m'en desplais si fort,
Que durant mon accez je voudrois estre mort :
Car lors qu'on me regarde et qu'on me juge un poëte,
Et qui par consequent a la teste mal-faite,
Confus en mon esprit, je suis plus desolé,

Que si j'estois maraut, ou ladre ou verollé.
Encor si le transport dont mon ame est saisie
Avoit quelque respect durant ma frenaisie;
Qu'il se reglast selon les lieux moins importans,
Ou qu'il fist choix des jours, des hommes ou du temps,
Et que lors que l'hyver me renferme en la chambre,
Aux jours les plus glacez de l'engourdy novembre,
Apollon m'obsedast, j'aurois en mon malheur
Quelque contentement à flater ma douleur.

Mais aux jours les plus beaux de la saison nouvelle,
Que Zephire en ses rets surprend Fiore la belle;
Que dans l'air les oyseaux, les poissons en la mer,
Se pleignent doucement du mal qui vient d'aymer;
Ou bien lors que Cérès de fourment se couronne,
Ou que Bacchus souspire, amoureux de Pomone;
Ou lors que le saffran, la dernière des fleurs,
Dore le scorpion de ses belles couleurs,
C'est alors que la verve insolemment m'outrage,
Que la raison forcée obeyt à la rage,

Et que, sans nul respect des hommes ou du lieu,
Il faut que j'obeisse aux fureurs de ce Dieu :
Comme en ces derniers jours, les plus beaux de l'année,
Que Cibelle est par-tout de fruicts environnée,
Que le paysant recueille, emplissant à milliers
Greniers, granges, chartis, et caves et celiers,
Et que Junon, riant d'une douce influance,
Rend son œil favorable aux champs qu'on ensemence;
Que je me resoudois, loing du bruit de Paris
Et du soing de la Cour ou de ses favoris,
M'esgayer au repos que la campagne donne,
Et sans parler curé, doyen, chantre ou Sorbonne,
D'un bon mot faire rire, en si belle saison,
Vous, vos chiens et vos chats et toute la maison,
Et là, dedans ces champs que la riviere d'Oyse
Sur des arènes d'or en ses bors se degoyse,

(Séjour jadis si doux à ce Roy qui deux fois
Donna Sydon en proye à ses peuples françois)
Faire meint soubre-saut, libre de corps et d'ame,
Et, froid aux appetis d'une amoureuse flamme,
Estre vuide d'amour comme d'ambition,
Des gallands de ce temps horrible passion.

Mais à d'autres revers ma fortune est tournée. Dès le jour que Phoebus nous monstre la journée, Comme un hiboux qui fuit la lumière et le jour Je me lève, et m'en vay dans le plus creux, sejour Que Royaumont recelle en ses forests secrettes, Des renards et des loups les ombreuses retraittes, Et là, malgré mes dents rongeant et ravassant, Polissant les nouveaux, les vieux rapetassant, Je fay des vers, qu'encor qu'Apollon les advoue, Dedans la Cour, peut-estre, on leur fera la moue; Ou s'ils sont, à leur gré, bien faits et bien polis, J'auray pour recompense : « Ils sont vrayment jolis. >> Mais moy,qui ne me reigle aux jugemens des hommes: Qui dedans et dehors cognoy ce que nous sommes; Comme, le plus souvent, ceux qui sçavent le moings Sont temerairement et juges et tesmoings, Pour blasme ou pour louange ou pour froide parole Je ne fay de leger banqueroute à l'escolle [prend Du bon homme Empedocle, où son discours m'apQu'en ce monde il n'est rien d'admirable et de grand Que l'esprit desdaignant une chose bien grande, Et qui, Roy de soy-mesme, à soy-mesme commande. Pour ceux qui n'ont l'esprit si fort ny si trempé, Afin de n'estre point de soy-mesme trompé, Chacun se doibt cognoistre, et par un exercice, Cultivant sa vertu, desraciner son vice; Et, censeur de soy-mesme, avec soin corriger Le mal qui croist en nous, et non le negliger; Esveiller son esprit troublé de resverie.

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