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Mais, SIRE, c'est un vol bien eslevé
pour ceux
Qui, foibles d'exercice et d'esprit paresseux,
Enorgueillis d'audace en leur barbe première,
Chantèrent ta valeur d'une façon grossière,
Trahissant tes honneurs avecqu' la vanité
D'attenter par ta gloire à l'immortalité.
Pour moy, plus retenu, la raison m'a faict craindre;
N'osant suivre un suject où l'on ne peut atteindre,
J'imite les Romains encore jeunes d'ans,

A qui l'on permettoit d'accuser, impudans,
Les plus vieux de l'estat, de reprendre, et de dirè
Ce qu'ils pensoient servir pour le bien de l'empire.
Et comme la jeunesse est vive et sans repɔs,
Sans peur, sans fiction et libre en ses propos,
Il semble qu'on luy doit permettre davantage;
Aussi que les vertus fleurissent en cet âge,
Qu'on doit laisser meurir sans beaucoup de rigueur,
Afin que tout à l'aise elles prennent vigueur.

C'est ce qui m'a contrainct de librement escrire,
Et, sans picquer au vif, me mettre à la Satyre,
Où, poussé du caprice ainsi que d'un grand vent,
Je vais haut dedans l'air quelque fois m'eslevant;
Et quelque fois aussi, quand la fougue me quite,
Du plus haut au plus bas mon vers se precipite,
Selon que, du subject touché diversement,
Les vers à mon discours s'offrent facilement.
Aussi que la satyre est comme une prairie,
Qui n'est belle sinon en sa bisarrerie;
Et, comme un pot pourry des frères mandians,
Elle forme son goust de cent ingredians.

Or, grand Roy, dont la gloire en la terre espandue Dans un dessein si haut rend ma muse esperdue, Ainsi que l'œil humain le soleil ne peut voir, L'esclat de tes vertus offusque tout sçavoir; Si bien que je ne sçav cui me rend plus coulpable,

Ou de dire si peu d'un suject si capable,
Ou la honte que j'ay d'estre si mal apris,
Ou la temerité de l'avoir entrepris.

Mais quoy! par ta bonté, qui tout autre surpasse,
J'espère du pardon, avecque ceste grace
Que tu liras ces vers, où, jeune, je m'esbas
Pour esgayer ma force, ainsi qu'en ces combas
De fleurets on s'exerce, et dans une barriere
Aux pages l'on reveille une adresse guerriere,
Follement courageuse, afin qu'en passe-temps
Un labeur vertueux anime leur printemps,
Que leur corps se desnoue et se desengourdisse,
Pour estre plus adroits à te faire service.'
Aussi je fais de mesme en ces caprices fous:
Je sonde ma portée et me taste le pous,

Afin que s'il advient, comme un jour je l'espère,
Que Parnasse m'adopte et se dise mon père,
Emporté de ta gloire et de tes faits guerriers,
Je plante mon lierre au pied de tes lauriers.

FIN.

A MONSIEUR

LE COMTE DE CARAMAIN

SATYRE II

COMTE, de qui l'esprit penètre l'univers,

Soigneux de ma fortune et facile à mes vers,
Cher soucy de la muse et sa gloire future,
Dont l'aimable genie et la douce nature
Fait voir, inaccessible aux efforts medisans,
Que vertu n'est pas morte en tous les courtisans
Bien que foible et debile et que, mal reconnue,
Son habit decousu la montre à demy nue;
Qu'elle ait sèche la chair, le corps amenuisé,
Et serve à contre-cœur le vice auctorisé,
Le vice qui, pompeux, tout merite repousse,
Et va comme un banquier en carrosse et en housse.
Mais c'est trop sermonné de vice et de vertu.
Il faut suivre un sentier qui soit moins rebatu,
Et, conduit d'Apollon, recognoistre la trace
Du libre Juvenal; trop discret est Horace
Pour un homme picqué, joint que la passion,
Comme sans jugement est sans discretion.
Cependant il vaut mieux sucrer nostre moutarde :
L'homme pour un caprice est sot qui se hazarde.
Ignorez donc l'autheur de ces vers incertains,
Et, comme enfans trouvez, qu'ils soient fils de putains
Exposez en la rue, à qui mesme la mère,
Pour ne se descouvrir, fait plus mauvaise chère.

à eux.

Ce n'est pas que je croye, en ces temps effrontez, Que mes vers soient sans père et ne soient adoptez, Et que ces rimasseurs, pour feindre une abondance, N'approuvent, impuissans, une fausse semence, Comme nos citoyens de race desireux, Qui bercent les enfans qui ne sont pas Ainsi, tirant profit d'une fausse doctrine, S'ils en sont accusez ils feront bonne mine, Et voudront, le niant, qu'on lise sur leur front, S'il se fait un bon vers, que c'est eux qui le font. Jaloux d'un sot honneur, d'une bastarde gloire, Comme gens entendus s'en veulent faire accroire : A faux titre insolens, et sans fruict hazardeux, Pissent au benestier afin qu'on parle d'eux. Or, avecq' tout cecy, le point qui me console, C'est que la pauvreté comme moi les affole, Et que, la grace à Dieu, Phœbus et son troupeau, Nous n'eusmes sur le dos jamais un bon manteau. Aussi, lors que l'on voit un homme par la rue Dont le rabat est sale et la chausse rompue, Ses grègues aux genoux, au coude son pourpoint, Qui soit de pauvre mine et qui soit mal en point, Sans demander son nom on le peut reconnoistre; Car si ce n'est un poëte au moins il le veut estre. Pour moy, si mon habit, par tout cicatricé, Ne me rendoit du peuple et des grands mesprisé, Je prendrois patience, et parmy la misère Je trouverois du goust; mais ce qui doit desplaire A l'homme de courage et d'esprit relevé, C'est qu'un chacun le fuit ainsi qu'un reprouvé; Car en quelque façon les malheurs sont propices. Puis les gueux en gueusant trouvent maintes delices, Un repos qui s'esgaye en quelque oysiveté. Mais je ne puis patir de me voir rejetté. [France, C'est donc pourquoy si jeune, abandonnant la

J'allay, vif de courage et tout chaud d'esperance,
En la cour d'un prélat qu'avec mille dangers
J'ay suivy, courtisan, aux païs estrangers.
J'ay changé mon humeur, alteré ma nature;
J'ay beu chaud, mangé froid, j'ay couché sur la dure;
Je l'ay, sans le quitter, à toute heure suivy;
Donnant ma liberté, je me suis asservy,

En public, à l'église, à la chambre, à la table,
Et pense avoir esté maintefois agréable.

Mais, instruit par le temps, à la fin j'ai connu Que la fidelité n'est pas grand revenu,

Et qu'à mon temps perdu, sans nulle autre esperance,
L'honneur d'estre sujet tient lieu de recompense,
N'ayant autre interest de dix ans jà passez,
Sinon que sans regret je les ay despensez.
Puis je sçay, quant à luy, qu'il a l'ame royalle,
Et qu'il est de nature et d'humeur liberalle.
Mais, ma foy, tout son bien enrichir ne me peut,
Ny domter mon malheur, si le ciel ne le veut.
C'est pourquoy, sans me plaindre en ma desconvenue,
Le malheur qui me suit ma foy ne diminue;
Et, rebuté du sort, je m'asservy pourtant,
Et sans estre advancé je demeure contant,
Sçachant bien que fortune est ainsi qu'une louve,
Qui sans choix s'abandonne au plus laid qu'elle trouve;
Qui releve un pedant de nouveau baptisé
Et qui par ses larcins se rend authorisé :
Qui le vice annoblit, et qui, tout au contraire,
Ravalant la vertu, la confine en misère.

Et puis je m'iray plaindre après ces gens icy?
Non, l'exemple du temps n'augmente mon soucy.
Et bien qu'elle ne m'ait sa faveur departie,
Je n'entend, quand à moy, de la prendre à partie,
Puis que, selon mon goust, son infidelité
Ne donne et n'oste rien à la felicité.

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