Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Se donnent l'un à l'autre autant de coups fourez.
C'est pourquoy je recherche une jeune fillette
Experte dès long-temps à courir l'eguillette,
Qui soit vive et ardente au combat amoureux,
Et pour un coup receu qui vous en rende deux.
La grandeur en amour est vice insupportable,
Et qui sert hautement est tousjours miserable :
Il n'est que d'estre libre, et en deniers contans
Dans le marché d'amour acheter du bon temps,
Et pour le prix commun choisir sa marchandise;
Ou si l'on n'en veut prendre, au moins on en devise,
L'on taste, l'on manie, et sans dire combien
On se peut retirer, l'objcct n'en couste rien.
Au savoureux traffic de ceste mercerie

J'ai consummé les jours les plus beaux de ma vie,
Marchant des plus ruscz, et qui le plus souvent
Payoit ses creanciers de promesse et de vent.
Et encore, n'estoit le hazard et la perte,

J'en voudrois pour jamais tenir boutique ouverte :
Mais la risque m'en fasche et si fort m'en deplaist,
Qu'au malheur que je crains je postpose l'acquest;
Si bien que, redoutant la verolle et la
goutte,
Je bannis ces plaisirs et leur fais banqueroutte,
Et resigne aux mignons aveuglez en ce jeu
Avecques les plaisirs tous les maux que j'ay eu,
Les boutons du printemps et les autres fleurettes
Que l'on cucille au jardin des douces amourettes.
Le mercure et l'eau fort me sont à contre-cœur ;
Je hay l'eau de gaiac et l'estouffante ardeur
Des fourneaux enfumez où l'on perd sa substance,
Et où l'on va tirant un homme en quintescence;
C'est pourquoi tout à coup je me suis retiré,
Voulant doresnavant demeurer asseuré;
Et comme un marinier eschappé de l'orage,
Du havre scurement contempler le naufrage.

Ou si parfois encer je me remets en mer,
Et qu'un œil enc..anteur me contraigne d'aymer,
Combattant mes esprits par une douce guerre,
'Je veux en seureté naviger terre à terre,
Ayant premierement visité le vaisseau,

S'il est bien calfeutré ou s'il ne prend point l'eau.
Ce n'est pas peu de cas de faire un long voyage;
Je tiens un homme fou qui quitte le rivage,
Qui s'abandonne aux vents, et pour trop presumer
Se commet aux hazards de l'amoureuse mer.
Expert en ses travaux, pour moy, je la deteste,
Et la fuy tout ainsi comme je fuy la peste.

Mais aussi, Forquevaus, comme il est malaisé
Que nostre esprit ne soit quelquesfois abusé
Des appas enchanteurs de cest enfant volage,
Il faut un peu baisser le col sous le servage,
Et donner quelque place aux plaisirs savoureux;
Car c'est honte de vivre et de n'estre amoureux.
Mais il faut, en aymant, s'aider de la finesse,
Et sçavoir rechercher une simple maistresse
Qui sans vous asservir vous laisse en liberté,
Et joigne le plaisir avecq la seureté;
Qui ne sçache que c'est que d'estre courtisée;
Qui n'ait de mainte amour la poitrine embrasée;
Qui soit douce et nicette, et qui ne sache pas,
Apprentive au mestier, que vallent les appas ;
Que son œil et son cœur parlent de mesme sorte;
Q'aucune affection hors de soy ne l'emporte;
Bref, qui soit toute à nous tant que la passion
Entretiendra nos sens en ceste affection.
Si parfois son esprit ou le nostre se lasse,
Pour moy, je suis d'avis que l'on change de place,
Qu'on se range autre part, et sans regret aucun
D'absence ou de mespris, que l'on ayme un chacun :
Car il ne faut jurer aux beautez d'une dame,

Ains changer, par le temps, et d'amour et de flame.
C'est le change qui rend l'homme plus vigoureux,
Et qui jusqu'au tombeau le faict estre amoureux.
Nature se maintient pour estre variable,

Et pour changer souvent son estat est durable.
Aussi l'affection dure eternellement,

Pourveu, sans se lasser, qu'on change à tout moment.
De la fin d'une amour l'autre naist plus parfaitte,
Comme on voit un grand feu naistre d'une bluet:c.

REGNIER.

FIN.

SATYRE XVII

Non, non, j'ay trop de cœur pour laschement me

rendre.

L'Amour n'est qu'un enfant dont l'on se peut def-
Et l'homme qui flechit sous sa jeune valleur [fendre;
Rend par ses laschetez coulpable son malheur.
Il se defait soy-mesme et soy-mesme s'outrage,
Et doibt son infortune à son peu de courage.
Or moy, pour tout l'effort qu'il fasse à me domter,
Rebelle à sa grandeur, je le veux effronter;
Et bien qu'avec les Dieux on ne doive debattre,
Comme un nouveau Titan si le veux-je combattre.
Avecq' le desespoir je me veux asseurer.

C'est salut aux vaincuz de ne rien esperer. [prises

Mais hélas! c'en est faict! quand les places sont Il n'est plus temps d'avoir recours aux entreprises, Et les nouveaux desseins d'un salut pretendu Ne servent plus de rien lors que tout est perdu. Ma raison est, captive, en triomphe menée; Mon ame, déconfite, au pillage est donnée, Tous mes sens m'ont laissé seul et mal adverty, Et chacun s'est rangé du contraire party; Et ne me reste plus de la fureur des armes Que des cris, des sanglots, des souspirs et des larmes, Dont je suis si troublé qu'encor ne sçay-je pas Où pour trouver secours je tourneray mes pas. Aussi pour mon salut que doi-je plus attendre,

Et quel sage conseil en mon mal puis-je prendre,
S'il n'est rien icy bas de doux et de clement
Qui ne tourne visage à mon contentement?
S'il n'est astre esclairant en la nuit solitaire,
Ennemy de mon bien, qui ne me soit contraire,
Qui ne ferme l'oreille à mes cris furieux?
Il n'est pour moy là haut ny clemence ny Dieux.
Au ciel comme en la terre il ne faut
que j'attende
Ny pitié ny faveur au mal qui me commande;
Car encor que la dame en qui seule je vy
M'ait avecque douceur sous ses loix asservy;
Que je ne puisse croire, en voyant son visage,
Que le Ciel l'ait formé si beau pour mon dommage,
Ny moins qu'il soit possible en si grande beauté
Qu'avecque la douceur loge la cruauté;

Pourtant toute esperance en mon esprit chancelle :
Il suffit, pour mon mal, que je la trouve belle.
Amour, qui pour object n'a que mes desplaisirs,
Rend tout ce que j'adore ingrat à mes desirs.
Toute chose en aymant est pour moy difficile,
Et comme mes souspirs ma peine est infertile.
D'autre part, sçachant bien qu'on n'y doit aspirer,
Aux cris j'ouvre la bouche, et n'ose souspirer;
Et ma peine estouffée avecque le silence,
Estant plus retenue, a plus de violence.
Trop heureux si j'avois en ce cruel tourment
Moins de discretion et moins de sentiment,
Ou, sans me relascher à l'effort du martyre,
Que mes yeux ou ma mort mon amour peussent dire !
Mais ce cruel enfant, insolent devenu,

Ne peut estre à mon mal plus long-temps retenu;
Il me contrainct aux pleurs, et par force m'arrache
Les cris qu'au fond du cœur la reverence cache.

Puis doncq' que mon respect peut moins que sa douJe lasche mon discours à l'effort du malheur, [leur,

« AnteriorContinuar »