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Et, poussé des ennuis dont mon ame est atteinte,
Par force je vous fais ceste piteuse plainte,
Qu'encore ne rendrois-je en ces derniers efforts,
Si mon dernier soupir ne la jettoit dehors.

Ce n'est pas, toutesfois, que pour m'escouter plaindre
Je tasche par ces vers à pitié vous contraindre,
Ou rendre par mes pleurs vostre oil moins rigoureux:
La plainte est inutile à l'homme malheureux. [meure,
Mais puis qu'il plaist au ciel par vos yeux que je
Vous direz que, mourant, je meurs à la bonne heure,
Et que d'aucun regret mon trespas n'est suivy,
Sinon de n'estre mort le jour que je vous vy
Si divine et si belle et d'attraits si pourveue.
Oui, je devois mourir des trais de vostre veue,
Avec mes tristes jours mes misères finir,

Et par feu, comme Hercule, immortel devenir.
J'eusse, bruslant là-haut en des flammes si claires,
Rendu de vos regards tous les dieux tributaires,
Qui, servant comme moy de trophée à vos yeux,
Pour vous aymer en terre eussent quitté les cieux.
Eternisant par tout ceste haute victoire,

J'eusse engravé là-haut leur honte et vostre gloire :
Et comme, en vous servant, aux pieds de vos autels
Ils voudroient, pour mourir, n'estre point immor-
Heureusement ainsi j'eusse peu rendre l'ame, [tels;
Après si bel effect d'une si belle flamme;

Aussi bien tout le temps que j'ay vescu depuis,
Mon cœur, gesné d'amour, n'a vescu qu'aux ennuis.
Depuis, de jour en jour s'est mon ame enflammée,
Qui n'est plus que d'ardeur et de peine animée.
Sur mes yeux esgarez ma tristesse se lit;

Mon âge avant le temps par mes maux s'envieillit;
Au gré des passions mes amours sont contraintes;
Mes vers bruslans d'amour ne resonnent que plaintes;
De mon cœur tout fletry l'allegresse s'enfuit,

Et mes tristes pensers, comme oyseaux de la nuict,
Volant dans mon esprit, à mes yeux se presentent,
Et comme ils font du vray, du faux ils m'espouvan-
Et tout ce qui repasse en mon entendement [tent,
M'apporte de la crainte et de l'estonnement.
Car, soit que je vous pense ingrate ou secourable,
La playe de vos yeux est tousjours incurable;
Tousjours faut-il, perdant la lumière et le jour,
Mourir dans les douleurs ou les plaisirs d'amour.

Mais tandis que ma mort est encore incertaine,
Attendant qui des deux mettra fin à ma peine,
Ou les douceurs d'amour ou bien vostre rigueur,
Je veux sans fin tirer les souspirs de mon cœur ;
Et, devant que mourir ou d'une ou d'autre sorte,
Rendre en ma passion si divine et si forte
Un vivant tesmoignage à la postérité

De mon amour extresme et de vostre beauté, [rent, Et, par mille beaux vers que vos beaux yeux m'inspiPour vostre gloire atteindre où les sçavans aspirent, Et rendre memorable aux siècles à venir

De vos rares vertus le noble souvenir.

ELEGIE ZELOTYPIQUE

BIEN

que je sçache au vray tes façons et tes ruses,
J'ai tant et si long temps excusé tes excuses;
Moi-mesme je me suis mille fois démenty,
Estimant que ton cœur, par douceur diverty,
Tiendroit ses laschetez à quelque conscience :
Mais enfin ton humeur force ma patience.
J'accuse ma foiblesse, et, sage à mes despens,
Si je t'aymay jadis, ores je m'en repens,

Et, brisant tous ces noeuds dont j'ay tant fait de conte,
Ce qui me fut honneur m'est ores une honte.
Pensant m'oster l'esprit, l'esprit tu m'as rendu ;
J'ay regagné sur moy ce que j'avois perdu.
Je tire un double gain d'un si petit dommage,
Si ce n'est que trop tard je suis devenu sage.
Toutesfois, le bonheur nous doit rendre contans,
Et,pourveu qu'il nous vienne,il vient tousjours à temps.
Mais j'ay donc supporté de si lourdes injures !
J'ay doncq' creu de ses yeux les lumieres parjures,
Qui, me navrant le cœur, me promettoient la paix,
Et donné de la foy à qui n'en eut jamais!

J'ay doncq' leu d'autre main ses lettres contrefaites;
J'ai doncq' sçeu ses façons, recogneu ses deffaites,
Et comment elle endort de douceur sa maison,
Et trouve à s'excuser quelque fauce raison :
Un procés, un accord, quelque achat, quelques ventes,
Visites de cousins, de frères et de tantes ;

Pendant qu'en autre lieu, sans femmes et sans bruict,
Sous pretexte d'affaire elle passe la nuict.
Et cependant, aveugle en ma peine enflammée,
Ayant sceu tout cecy, je l'ay tousjours aymée.
Pauvre sot que je suis! ne devoy-je à l'instant
Laisser là ceste ingrate et son cœur inconstant ?
Encor' serait-ce peu, si d'amour emportée,
Je n'avois à son teint et sa mine affettée
Leu de sa passion les signes evidans,

Que l'amour imprimoit en ses yeux trop ardans.
Mais qu'est-il de besoin d'en dire davantage ?
Iray-je rafraichir sa honte et mon dommage ?
A quoy de ses discours diray-je le deffaut :
Comme pour me piper elle parle un peu haut,
Et comme bassement, à secretes volées,
Elle ouvre de son cœur les flames recelées ;
Puis, sa voix rehaussant en quelques mots joyeux,
Elle pense charmer les jaloux curieux,

Fait un conte du Roy, de la Reine et du Louvre ;
Quand, malgré que j'en aye, Amour me le découvre,
Me dechifre aussi-tost son discours indiscret,
(Hélas! rien aux jaloux ne peut estre secret ! )
Me fait veoir de ses traits l'amoureux artifice,
Et qu'aux soupçons d'amour trop simple est sa malice?
Ces heurtemens de pieds en feignant de s'asseoir,
Faire sentir ses gands, ses cheveux, son mouchoir,
Ces rencontres de mains, et mille autres caresses
Qu'usent à leurs amans les plus douces maistresses,
Que je tais par honneur, craignant qu'avecq' le sien
En un discours plus grand j'engageasse le mien ?
Cherche doncq'quelque sot,au tourment insensible,
Qui souffre ce qu'il m'est de souffrir impossible;
Car
pour moy j'en suis las (ingrate) et je ne puis
Durer plus longuement en la peine où je suis.
Ma bouche incessamment aux plaintes est ouverte.

Tout ce que j'aperçoy semble jurer ma perte; Mes yeux tousjours pleurans, de tourment éveillez, . Depuis d'un bon sommeil ne se sont veuz sillez. Mon esprit agité fait guerre à mes pensées ; Sans avoir reposé vingt nuicts se sont passées; Je vais comme un lutin deça, delà courant, Et ainsi que mon corps mon esprit est errant. Mais tandis qu'en parlant du feu qui me surmonte Je despeins en mes vers ma douleur et ta honte, Amour dedans le cœur m'assaut si vivement, Qu'avecque tout desdain je perds tout jugement. Vous autres, que j'emploie à l'espier sans cesse, Au logis, en visite, au sermon, à la messe, Cognoissant que je suis amoureux et jaloux, Pour flatter ma douleur que ne me mentez-vous ? Ha! pourquoy m'estes vous à mon dam si fidelles? Le porteur est fascheux de fascheuses nouvelles. Defferez à l'ardeur de mon mal furieux, Feignez de n'en rien voir, et vous fermez les yeux. Si dans quelque maison sans femme elle s'arreste, S'on luy fait au Palais quelque signe de teste, S'elle rit à quelqu'un, s'elle appelle un valet, S'elle baille en cachette ou reçoit un poullet; Si dans quelque recoin quelque vieille incogneue, Marmotant un Pater, luy parle et la salue, Déguisez-en le fait, parlez-m'en autrement : Trompant ma jalousie et vostre jugement, Dites moy qu'elle est chaste et qu'elle en a la gloire, Car bien qu'il ne soit vray, si ne le puis-je croire. De contraires efforts mon esprit agité,

Douteux, s'en court de l'une à l'autre extremité.

La

rage de la hayne et l'amour me transporte; Mais j'ay grand peur enfin que l'amour soit plus forte. Surmontons par mespris ce desir indiscret; Au moins, s'il ne se peut, l'aymeray-je à regret.

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