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IMPUISSANCE

IMITATION D'OVIDE

QUOY!

voy! ne l'avois-je assez en mes vœuz desirée ? N'estoit-elle assez belle ou assez bien parée? Estoit-elle à mes yeux sans grace et sans appas ? Son sang estoit-il point issu d'un lieu trop bas? Sa race, sa maison, n'estoit-elle estimée ? Ne valoit-elle point la peine d'estre aymée? Inhabile au plaisir, n'avoit-elle dequoy? Estoit-elle trop laide ou trop belle pour moy? Ha! cruel souvenir! cependant je l'ay eue, Impuissant que je suis, en mes bras toute nue, Et n'ay peu, le voulans tous deux esgallement, Contenter nos desirs en ce contentement. Au surplus, à ma honte, Amour, que te diray-je? Elle mit en mon col ses bras plus blancs que neige, Et sa langue mon cœur par ma bouche embrasa, Bref, tout ce qu'ose Amour, ma deesse l'osa; Me suggerant la manne en sa levre amassée, Sa cuisse se tenait en la mienne enlassée, Les yeux luy petilloient d'un desir langoureux, Et son ame exilloit maint souspir amoureux, Sa langue, en begayant d'une façon mignarde, [de? Me disoit : « Mais, mon cœur, qu'est-ce qui vous retarN'aurois-je point en moy quelque chose qui peust Offencer vos desirs, ou bien qui vous depleust? Ma grace, ma façon, ha! Dieu, ne vous plaist-elle ? Quoy ! n'ay-je assez d'amour, ou ne suis-je assez belle ?»

Cependant, de la main animant ses discours,
Je trompois, impuissant, sa flamme et mes amours;
Et comme un tronc de bois, charge lourde et pesante,
Je n'avois rien en moy de personne vivante.
Mes membres languissans, perclus et refroidis,
Par ses attouchemens n'estoient moins engourdis.
Mais quoy! que deviendrai-je en l'extresme vieillesse,
Puisque je suis retif au fort de ma jeunesse?
Et si, las! je ne puis, et jeune et vigoureux,
Savourer la douceur du plaisir amoureux?
Ha! j'en rougis de honte, et depite mon âge,
Age de
peu de force et de peu de courage,

Qui ne me permet pas en cest accouplement
Donner ce qu'en amour peut donner un amant.
Car, Dieux! ceste beauté par mon deffaut trompée
Se leva le matin de ses larmes trempée,

Que l'amour de despit escouloit par ses yeux,
Ressemblant à l'Aurore, alors qu'ouvrant les Cieux
Elle sort de son lict, hargneuse et depitée
D'avoir sans un baiser consommé la nuictée;
Quand, baignant tendrement la terre de ses pleurs,
De chagrin et d'amour elle enjette ses fleurs.

Pour flater mon deffaut, mais que me sert la gloire,
De mon amour passée inutile mémoire,
Quand, aymant ardemment et ardemment aymé,
Tant plus je combatois, plus j'estois animé :
Guerrier infatigable en ce doux exercice,
Par dix ou douze fois je rentrois dans la lice,
Où, vaillant et adroit, après avoir brisé,
Des chevaliers d'amour j'étois le plus prisé?
Mais de cest accident je fais un mauvais conte,
Si mon honneur passé m'est ores une honte,
Et si le souvenir, trop prompt de m'outrager,
Par le plaisir receu ne me peut soulager.

O ciel! il falloit bien qu'ensorcelé je fusse,

Ou, trop ardent d'amour, que je ne m'apperceusse
Que l'œil d'un envieux nos desseins empeschoit,
Et sur mon corps perclus son venin espanchoit !
Mais qui pourroit atteindre au point de son merite
Veu que toute grandeur pour elle est trop petite?.
Si par l'égal ce charme a force contre nous,
Autre que Jupiter n'en peut estre jaloux.
Luy seul, comme envieux d'une chose si belle,
Par l'émulation seroit seul digne d'elle.
Hé quoy, là haut au ciel mets-tu les armes bas,
Amoureux Jupiter? Que ne viens-tu ça-bas
Jouir d'une beauté sur les autres aymable?
Assez de tes amours n'a caqueté la fable.
C'est ores que tu dois, en amour vif et pront,
Te mettre encore un coup les armes sur le front,
Cacher ta déité dessous un blanc plumage,
Prendre le feint semblant d'un Satyre sauvage,
D'un serpent, d'un cocu, et te rependre encor,
Alambiqué d'amour, en grosses gouttes d'or;
Et puisque sa faveur, à moy seul octroyée,
Indigne que je suis, fust si mal employée,
Faveur qui de mortel m'eust fait égal aux Dieux,
Si le Ciel n'eust esté sur mon bien envieux!

Mais encor tout bouillant en mes flames premières,
De quels vouz redoublez et de quelles prières
Iray-je derechef les Dieux sollicitant,

Si d'un bien-fait nouveau j'en attendois autant;
Si mes deffauts passez leurs beautez mescontentent,
Et si de leurs bienfaicts je croy qu'ils se repentent?

Or quand je pense, ô Dieu ! quel bien m'est advenu,
Avoir veu dans un lit ses beaux membres à nu,
La tenir languissante entre mes bras couchée,
De mesme affection la voir estre touchée,
Me baiser haletant d'amour et de desir,
Par ses chatouillemens resveiller le plaisir,

Ha Dieux! ce sont des traicts si sensibles aux ames, Qu'ils pourroient l'Amour mesme eschauffer de leurs flames,

Si plus froid que la mort ils ne m'eussent trouvé,
Des mystères d'amour amant trop reprouvé ;
Je l'avois cependant, vive d'amour extresme;
Mais si je l'eus ainsi, elle ne m'eust de mesme,
O malheur ! et de moy elle n'eust seulement
Que des baisers d'un frère, et non pas d'un amant.
En vain cent et cent fois je m'efforce a luy plaire,
Non plus qu'à mon desir je n'y puis satisfaire;
Et la honte pour lors qui me saisit le cœur,
Pour m'achever de peindre, esteignit ma vigueur.
Comme elle recongnust, femme mal satisfaite,
Quelle perdoit son temps, du lict elle se jette,
Prend sa juppe, se lace, et puis en se mocquant,
D'un ris et de ces motz elle m'alla piquant :
«Non, si j'estois lascive, ou d'amour occupée,
Je me pourrois fascher d'avoir esté trompée;
Mais puisque mon desir n'est si vif ne si chaud,
Mon tiède naturel m'oblige à ton defaut.
Mon amour satisfaicte ayme ton impuissance,
Et tire de ta faute assez de recompence,
Qui, tousjours dilayant, m'a faict par le desir,
Esbatre plus long-temps à l'ombre du plaisir. »
Mais estant la douceur par l'effort divertic,
La fureur à la fin rompit sa modestie;
Et dit en esclatant : « Pourquoy me trompes-tu ?
Ton impudence à tort a vanté ta vertu.
Si en d'autres amours ta vigueur s'est usée,
Quel honneur reçois-tu de m'avoir abusée ? »
Assez d'autres propos le despit luy dictoit
Le feu de son desdain par sa bouche sortoit.
Enfin, voulant cacher ma honte et sa colère,
Elle couvrit son front d'une meilleure chère ;

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conseille au miroir, ses femmes appella, E, se lavant les mains, le faict dissimula.

Belle, dont la beauté si digne d'estre aymée Eust rendu des plus mortz la froideur enflamée, Je confesse ma honte, et, de regret touché, Par les pleurs que j'espands j'accuse mon peché : Peché d'autant plus grand que grande est ma jeuSi, homme, j'ay failly, pardonnez-moy,Déesse.[nesse. J'avoue estre fort grand le crime que j'ai fait, Pourtant jusqu'à la mort si n'avoy-je forfait, Si ce n'est qu'à present; qu'à vos pieds je me jette; Que ma confession vous rende satisfaicte. Je suis digne des maux que vous me prescrirez. J'ay meurtry, j'ay volé, j'ay des vouz parjurez, Trahy les Dieux benins. Inventez à ces vices, Comme estranges forfaicts, des estranges supplices, O beauté, faictes en tout ainsi qu'il vous plaist. Si vous me comdamnez à mourir, je suis prest. La mort me sera douce, et d'autant plus encore Si je meurs de la main de celle que j'adore. Avant qu'en venir là, au moins souvenez-vous Que mes armes, non moy, causent votre courrouz, Que, champion d'Amour entré dedans la lice, Je n'eus assez d'haleine à si grand exercice; Que je ne suis chasseur jadis tant approuvé, pouvant redresser un deffaut retrouvé. Mais d'où viendroit cecy? seroit ce point, maistresse, Que mon esprit du corps precedast la paresse? Ou que, par le desir trop prompt et vehement, J'allasse avec le temps le plaisir consommant? Pour moy, je n'en sçay rien : en ce fait tout m'abuse; Mais enfin, ô beauté, recevez pour excuse,

Ne

S'il vous plaist derechef que je rentre en l'assaut, J'espère avec usure amender mon deffaut.

FIN.

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