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SATYRE

N'AVOIR crainte de rien et ne rien espérer,
Amy, c'est ce qui peut les hommes bien-heurer.
J'ayme les gens hardis, dont l'ame non commune,
Morgant les accidens, fait teste à la fortune,
Et, voyant le soleil de flammes reluisant,
La nuit au manteau noir les astres conduisant,
La lune se masquant de formes differentes,
Faire naître les mois en ses courses errantes
Et les cieux se mouvoir par ressorts discordans
Les uns chauds, temperez, et les autres ardens,
Qui, ne s'émouvant point, de rien n'ont l'ame at-
Et n'ont en les voyant esperance ni crainte; [teinte,
Mesme si pesle mesle avec les Elemens

Le ciel d'airain tomboit jusques aux fondemens
Et
que
tout se froissast d'une étrange tempeste,
Les esclats sans frayeur leur frapperoyent la teste.
Combien moins les assauts de quelque passion,
Dont le bien et le mal n'est qu'une opinion?
Ni les honneurs perdus ni la richesse acquise
N'auront sur son esprit ny puissance ny prise. [mer,
Dy-moy, qu'est-ce qu'on doit plus cherement ay-
De tout ce que nous donne ou la terre ou la mer:
Ou ces grands diamans si brillans à la veue,
Dont la France se voit à mon gré trop pourveue,
Ou ces honneurs cuisans que la faveur depart,
Souvent moins par raison que non pas par hazard,

Ou toutes ces grandeurs après qui l'on abbaye,
Qui font qu'un president dans les procez s'égaye?
De quel œil, trouble, ou clair, dy-moy, les doit-on
Et de quel appetit au cœur les recevoir ? [voir,
Je trouve, quant à moy, bien peu de difference
Entre la froide peur et la chaude esperance :
D'autant que mesme doute également assaut
Nostre esprit, qui ne sçait au vray ce qu'il lui faut.
Car estant la Fortune en ces fins incertaine,
L'accident non prévu nous donne de la peine.
Le bien inesperé nous saisit tellement,

Qu'il nous gèle le sang, l'ame et le jugement,
Nous fait fremir le cœur, nous tire de nous mesmes.
Ainsi diversement saisis des deux extremes,
Quand le succez du bien au desir n'est égal,
Nous nous sentons troublez du bien comme du mal;
Et trouvant mesme effet en un sujet contraire,
Le bien fait dedans nous ce que le mal peut faire.
Or donc, que gagne-t'on de rire ou de pleurer,
Craindre confusément, bien ou mal esperer,
Puisque mesme le bien, excedant nostre attente,
Nous saisissant le cœur, nous trouble et nous tour-
mente,

Et, nous desobligeant nous mesme en ce bonheur,
La joie et le plaisir nous tient lieu de douleur ?

Selon son rolle on doit jouer son personnage.
Le bon sera méchant, insensé l'homme sage,
Et le prudent sera de raison devestu,

S'il se monstre trop chaud à suivre la vertu.
Combien plus celuy-là dont l'ardeur non commune
Elève ses desseins jusqu'au ciel de la lune,
Et, se privant l'esprit de ses plus doux plaisirs,
A plus qu'il ne se doit laisse aller ses desirs! [Change,
Va donc, et d'un cœur sain voyant le Pont-au-
Desire l'or brillant sous mainte pierre estrange;

Cesgros lingots d'argent qu'à grands coups de marteaux
L'art forme en cent façons de plats et de vaisseaux;
Et devant que le jour aux gardes se découvre,
Va d'un pas diligent à l'Arsenac, au Louvre,
Talonne un president, suy-le comme un valet ;
Mesme, s'il est besoin, estrille son mulet.

:

Suy jusques au Conseil les Maistres des Requestes ;
Ne t'enquiers, curieux, s'ils sont hommes ou bestes,
Et les distingue bien les uns ont le pouvoir
De juger finement un procez sans le voir;
Les autres comme Dieux près le soleil résident,
Et, demons de Plutus, aux finances president;
Car leurs seules faveurs peuvent en moins d'un an
Te faire devenir Chalange ou Montauban.
Je veux encore plus : démembrant ta province,
Je veux, de partisan, que tu deviennes prince:
Tu seras des badauts en passant adoré,
Et sera jusqu'au cuir ton carosse doré;
Chacun en ta faveur mettra son esperance;
Mille valets sous toy desoleront la France;
Tes logis, tapissez en magnifique arroy,
D'éclat aveugleront ceux-là mesmes du roy.
Mais si faut-il enfin que tout vienne à son conte,
Et, soit avec l'honneur ou soit avec la honte,
Il faut, perdant le jour, esprit, sens et vigueur,[Cœur,
Mourir comme Enguerrand ou comme Jacques-
Et descendre là-bas, où, sans choix de personnes,
Les escuelles de bois s'égalent aux couronnes. [temps,

En courtisant pourquoy perdrois-je tout mon
Si de bien et d'honneur mes esprits sont contens?
Pourquoi d'ame et de corps faut-il que je me peine,
Et qu'estant hors du sens aussi bien que d'haleine,
Je suive un financier, soir, matin, froid et chaud,
Si j'ai du bien pour vivre autant comme il m'en faut ?
Qui n'a point de procès au Palais n'a que faire.

Un President pour moy n'est non plus qu'un notaire.
Je fais autant d'état du long comme du court,
Et mets en la vertu ma faveur et ma Court.

Voilà le vray chemin, franc de crainte et d'envie,
Qui doucement nous meine à cette heureuse vie
Que parmi les rochers et les bois desertez,
Jeusne, veille, oraison et tant d'austeritez,
Ces hermites jadis, ayant l'Esprit pour guide,
Cherchèrent si longtemps dedans la Thebaïde.
Adorant la vertu, de cœur, d'ame et de foy,
Sans la chercher si loin chacun l'a dedans soy,

Et peut, comme il lui plaist, lui donner la teinture, Artisan de sa bonne ou mauvaise aventure.

SATYRE

PERCLUS d'une jambe et des bras,
Tout de mon long entre deux dras,
Il ne me reste que la langue
Pour vous faire cette harangue.
Vous sçavés que j'ay pension,
Et que l'on a pretention,
Soit par sotise ou par malice,
Embarrassant le benefice,

Me rendre, en me torchant le bec,
Le ventre creux comme un rebec.
On m'en baille en discours de belles,
Mais de l'argent point de nouvelles ;
Encore, au lieu de payement,
On parle d'un retranchement,
Me faisant au nez grise mine:
Que l'abbaye est en ruine,

Et ne vaut pas, beaucoup s'en faut,
Les deux mille francs qu'il me faut;
Si bien que je juge, à son dire,
Malgré le feu Roy nostre sire,
Qu'il desireroit volontiers
Lachement me reduire au tiers.
Je laisse à part ce fascheux conte:
la bile monte

Au printemps que

Par les veines dans le cerveau,
Et que l'on sent au renouveau

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