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Son esprit fécond en sornettes,
Il fait mauvais se prendre aux poëtes.
Toutesfois je suis de ces gens,
De toutes choses négligens,
Qui, vivant au jour la journée,
Ne controllent leur destinée,
Oubliant, pour se mettre en paix,
Les injures et les bien-faits,
Et s'arment de philosophie.
Il est pourtant fou qui s'y fie;
Car la dame Indignation
Est une forte passion.

Estant donc en mon lit malade,
Les yeux creux et la bouche fade,
Le teint jaune comme un espy,
Et non pas l'esprit assoupy,
Qui dans ces caprices s'égaye,
Et souvent se donne la baye
Se feignant, pour passer le temps,
Avoir cent mille escus contans,
Avec cela large campagne,
Je fais des châteaux en Espagne;
J'entreprens partis sur partis.
Toutesfois je vous avertis,

Pour le sel, que je m'en deporte,
Que je n'en suis en nulle sorte,
Non plus que du droit annuel :
Je n'aime point le casuel.
J'ay bien un avis d'autre estoffe,
Dont du Luat le philosophe
Désigne rendre au consulat
Le nez fait comme un cervelat
Si le Conseil ne s'y oppose,
Vous verrez une belle chose.
Mais laissant là tous ces projets,

Je ne manque d'autres sujets, Pour entretenir mon caprice En un fantastique exercice; Je discours des neiges d'antan, Je prends au nid le vent d'autan, Je pète contre le tonnerre, Aux papillons je fais la guerre, Je compose Almanachs nouveaux, De rien je fais brides à veaux ; A la Saint-Jean je tends aux grues, Je plante des pois par les rues, D'un baston je fais un cheval, Je voy courir la Seine à val, Et beaucoup de choses, beau sire, Que je ne veux et n'ose dire, Après cela, je peinds en l'air, J'apprens aux asnes à voler, Du bordel je fais la chronique, Aux chiens j'apprens la rhetorique; Car, enfin, ou Plutarque ment, Ou bien ils ont au jugement. Ce n'est pas tout, je dis sornettes, Je dégoise des chansonnettes, Et vous dis qu'avec grand effort, La nature pâtit très-fort : Je suis si plein que je regorge. Si une fois je rends ma gorge, Esclatant ainsi qu'un petard, On dira: Le diable y ait part. Voilà comme le temps je passe. Si je suis las, je me délasse, J'écris, je lis, je mange et boy, Plus heureux cent fois que le Roy (Je ne dis pas le roy de France), Si je n'estois court de finance.

Et

En

sagesse

Or, pour finir, voilà comment
Je m'entretiens bisarrement.
prenez-moy les plus extremes
ils vivent de mesmes,
N'estant l'humain entendement
Qu'une grotesque seulement.
Vuidant les bouteilles cassées,
Je m'embarasse en mes pensées;
Et quand j'y suis bien embrouillé,
Je me couvre d'un sac mouillé.
Faute de papier, bona sere,
Qui a de l'argent si le serre.
Votre serviteur à jamais,
Maistre Janin du Pont-Alais.

ELEGIE

L'HOMME
'HOMME s'oppose en vain contre la destinée:
Tel a domté sur mer la tempeste obstinée,
Qui, deceu dans le port, esprouve en un instant
Des accidens humains le revers inconstant,
Qui le jette au danger lors que moins il y pense.
Öres à mes depens j'en fais l'experience :
Moy qui, tremblant encor du naufrage passé,
Du bris de mon navire au rivage amassé
Bastissois un autel aux dieux legers des ondes,
Jurant mesme la mer et ses vagues profondes,
Instruit à mes dépens et prudent au danger,
Que je me garderois de croire de leger,
Sçachant qu'injustement il se plaint de l'orage,
Qui, remontant sur mer, fait un second naufrage;
Cependant ay-je à peine essuyé mes cheveux
Et payé dans le port l'offrande de mes vœux,
Que d'un nouveau desir le courant me transporte,
Et n'ay pour l'arrester la raison assez forte.
Par un destin secret mon cœur s'y voit contraint,
Et par un si doux nœud si doucement estreint,
Que, me trouvant espris d'une ardeur si parfaite,
Trop heureux en mon mal, je benis ma defaite,
Et me sens glorieux, en un si beau tourment,
De voir que ma grandeur serve si dignement.
Changement bien étrange en une amour si belle!
Moy, qui rangeois au joug la terre universelle;

Dont le nom glorieux, aux astres eslevé,
Dans le cœur des mortels par vertu s'est gravé,
Qui fis de ma valeur le hazard tributaire,
A qui rien, fors l'amour, ne put estre contraire,
Qui commande par tout, indomptable en pouvoir,
Qui sçay donner des loix, et non les recevoir,
Je me voy prisonnier aux fers d'un jeune maistre,
Où je languis esclave et fais gloire de l'estre,
Et sont à le servir tous mes vœux obligez;
Mes palmes, mes lauriers en myrthes sont changez,
Qui, servant de trophée aux beautez que j'adore,
Font en si beau sujet que ma perte m'honore.

Vous qui dès le berceau de bon œil me voyez,
Qui du troisième ciel mes destins envoyez,
Belle et sainte planète, astre de ma naissance,
Mon bonheur plus parfait, mon heureuse influence,
Dont la douceur preside aux douces passions,
Venus, prenez pitié de mes affections;
Soyez-moy favorable, et faites à cette heure,
Plustost que découvrir mon amour, que je meure:
Et que ma fin témoigne, en mon tourment secret,
Qu'il ne vescut jamais un amant si discret;
Et qu'amoureux constant, en un si beau martyre
Mon trépas seulement mon amour puisse dire.

Ha! que la passion me fait bien discourir ! Non, non, un mal qui plaist ne fait jamais mourir. Dieux! que puis-je donc faire au mal qui me tourLa patience est foible et l'amour violente; [mente? Et, me voulant contraindre en si grande rigueur, Ma plainte se dérobe et m'échape du cœur. Semblable à cet enfant que la mère en colère Après un châtiment veut forcer à se taire : Il s'efforce de crainte à ne point soupirer, A grand peine ose-t-il son haleine tirer : Mais nonobstant l'effort, dolent en son courage,

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