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Si-tost que sa lumière à mes yeux se perdit, Elle est comme un esclair pour jamais disparue; Et quoy que j'aye fait, malheureux et maudit, Je n'ay peu descouvrir ce qu'elle est devenue.

Mais, Dieux! j'ay beau me plaindre, et tousjours souspirer,

J'ay beau de mes deux yeux deux fontaines tirer, J'ay beau mourir d'amour et de regret pour ello:

Chacun me la recelle.

O bois ! ô prez! ô monts! ô vous qui la cachez, Et qui contre mon gré l'avez tant retenue, Si jamais de pitié vous vous vistes touchez, Hélas! répondez-moi, qu'est-elle devenue?

Fut-il jamais mortel si malheureux que moy?
Je lis mon infortune en tout ce que je voy;
Tout figure ma perte, et le ciel et la terre
A l'envy me font guerre.

Le regret du passé cruellement me point, Et rend l'objet present ma douleur plus aigue: Mais las! mon plus grand mal est de ne sçavoir point, Entre tant de malheurs, ce qu'elle est devenue.

Ainsi de toutes parts je me sens assaillir;
Et, voyant que l'espoir commence à me faillir,
Ma douleur se rengrège, et mon cruel martyre
S'augmente et devient pire.

Et si quelque plaisir s'offre devant mes yeux
Qui pense consoler ma raison abbatue,
Il m'afflige, et le Ciel me serait odieux
Si là-haut j'ignorois ce qu'elle est devenue.

Gesné de tant d'ennuis, je m'étonne comment, Environné d'Amour et du fascheux tourment Qu'entre tant de regrets son absence me livre, Mon esprit a pu vivre.

Le bien que j'ay perdu me va tyrannisant, De mes plaisirs passez mon ame est combatue; Et ce qui rend mon mal plus aigre et plus cuisant, C'est qu'on ne peut sçavoir ce qu'elle est devenue.

Et ce cruel penser qui sans cesse me suit, Du trait de sa beauté me pique jour et nuit, Me gravant en l'esprit la miserable histoire D'une si courte gloire.

Et ces biens qu'en mes maux encor il me faut voir Rendroient d'un peu d'espoir mon âme entretenue, Et m'y consolerois, si je pouvois sçavoir

Ce qu'ils sont devenus, ce qu'elle est devenue.

Plaisirs si tost perdus, helas! où estes-vous? Et vous, chers entretiens qui me sembliez si doux, Où estes-vous allez? hé, où s'est retirée

Ma belle Cytherée ?

Ha! triste souvenir d'un bien si-tost passé! Las pourquoy ne la voy-je, ou pourquoy l'ay-je Ou pourquoy mon esprit, d'angoisses oppressé,[veue; Ne peut-il découvrir ce qu'elle est devenue?

En vain, hélas! en vain la vas-tu dépeignant Pour flatter ma douleur, si le regret poignant De m'en voir séparé d'autant plus me tourmente Qu'on me la représente.

Seulement au sommeil j'ai du contentement, Qui la fait voir présente à mes yeux toute nue, Et chatouille mon mal d'un faux ressentiment; Mais il ne me dit pas ce qu'elle est devenue.

Encor ce bien m'afflige, il n'y faut plus songer; C'est se paistre du vent, que la nuit s'alléger D'un mal qui tout le jour me poursuit et m'outrage D'une impiteuse rage.

Retenu dans des nœuds qu'on ne peut délier, Il faut, privé d'espoir, que mon cœur s'évertue Ou de mourir bien-tost, ou bien de l'oublier, Puisqu'on ne peut sçavoir ce qu'elle est devenue.

Comment, que je l'oublie! Ha! Dieux! je ne le puis. L'oubly n'efface point les amoureux ennuis Que ce cruel tyran a gravez dans mon ame En des lettres de flame.

Il me faut par la mort finir tant de douleurs. Ayons donc à ce point l'ame bien resolue, Et, finissant nos jours, finissons nos malheurs, Puisqu'on ne peut sçavoir ce qu'elle est devenue.

Adieu donc, clairs soleils, si divins et si beaux, Adieu l'honneur sacré des forests et des eaux, Adieu monts, adieu prez, adieu campagne verte, De vos beautez deserte.

Las! recevez mon ame en ce dernier adieu. Puisque de mon malheur ma fortune est vaincue, Miserable amoureux, je vay quitter ce lieu, Pour sçavoir aux enfers ce qu'elle est devenue.

Ainsi dit Amiante, alors que de sa voix Il entama les cœurs des rochers et des bois, Pleurant et soupirant la perte d'Yacée, L'object de sa pensée.

Afin de la trouver il s'encourt au trépas, Et, comme sa vigueur peu à

peu diminue,

Son ombre pleure et crie en descendant là-bas : Esprits, he! dites-moy, qu'est-elle devenue?»

STANCES

QUAND sur moy je jette les yeux,

A trente ans me voyant tout vieux,
Mon cœur de frayeur diminue:
Estant vieilli dans un moment,
Je ne puis dire seulement
Que ma jeunesse est devenue.

Du berceau courant au cercueil,

Le jour se dérobe à mon œil,
Mes sens troublez s'évanouissent.
Les hommes sont comme des fleurs,
Qui naissent et vivent en pleurs,
Et d'heure en heure se fanissent.

Leur age à l'instant écoulé,
Comme un trait qui s'est envolé,

Ne laisse après soy nulle marque;
Et leur nom si fameux icy,

Si-tost qu'ils sont morts meurt aussi,
Du pauvre autant que du monarque.

N'agueres, verd, sain et puissant,
Comme un aubespin florissant,
Mon printemps estoit délectable.
Les plaisirs logeoient en mon sein;
Et lors estoit tout mon dessein
Du jeu d'Amour et de la table.

Mais, las! mon sort est bien tourné; Mon age en un rien s'est borné, Foible languit mon esperance: En une nuit, à mon malheur, De la joye et de la douleur J'ay bien appris la difference!

La douleur aux traits veneneux, Comme d'un habit épineux Me ceint d'une horrible torture. Mes beaux jours sont changés en nuits; Et mon cœur tout flestri d'ennuis N'attend plus que la sepulture.

Enyvré de cent maux divers,
Je chancelle et vày de travers,
Tant mon âme en regorge pleine •
J'en ay l'esprit tout hebêté,
Et si peu qui m'en est resté,
Encor me fait-il de la peine.

La memoire du temps passé, "Que j'ay folement depencé,

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