DIALOGUE CLORIS ET PHILIS CLORIS.. PHILIS, œil de mon cœur et moitié de moy-mesme, PHILIS. Ma douleur est si grande, et si grand mon martyre, Qu'il ne se peut, Cloris, ny comprendre ny dire. CLORIS. Ces maintiens égarez, ces pensers esperdus, PHILIS. Ha! Dieu, qu'un divers mal diversement me point! J'ayme, hélas! Non, Cloris, non, non, je n'ayme point.. CLORIS. La honte ainsi dément ce que l'amour décelle: Tout parle en ton visage ; ct, te voulant contraindre, Ne sçais-tu que ces pleurs, que ces douces œillades, Et si l'âge esteignit leur vie et leurs soupirs, Par ces plaines encore on en sent les zéphirs. Et leurs noms sur ces bois gravez en cent façons. PHILIS. Ha! n'en dis davantage,et, de grace, ne rends [grands. CLORIS. D'où te vient le regret dont ton ame est saisie? PHILIS. Ce n'est ny l'un ny l'autre, et mon mal rigoureux Excède doublement le tourment amoureux. CLORIS. Mais ne peut-on savoir le mal qui te possède? PHILIS. A quoy serviroit-il, puisqu'il est sans remède? CLORIS. Volontiers les ennuis s'alégent au discours. PHILIS. Las! je ne veux aux miens ni pitié ni secours. CLORIS. La douleur que l'on cache est la plus inhumaine. PHILIS. Qui meurt en se taisant semble mourir sans peine CLORIS. Peut-estre en la disant te pourrois-je guerir. PHILIS. Tout remede est fâcheux alors qu'on veut mourir. CLORIS. ·Au moins avant la mort dis où le mal te touche. PHILIS. Le secret de mon cœur ne va point en ma bouche. CLORIS. Si je ne me déçois, ce mal te vient d'aymer? PHILIS. Cloris, d'un double feu je me sens consumer. CLORIS. La douleur malgré toy la langue te dénoue. PHILIS. Mais faut-il, à ma honte, hélas, que je l'avoue, CLORIS. Avec toy mourront donc tes ennuis rigoureux! PHILIS. Mon cœur est un sépulcre honorable pour eux. CLORIS. Je croy lire en tes yeux quelle est ta maladie. PHILIS. Si tu la vois, pourquoi veux-tu que je la die? CLORIS. Seroit-il bien possible? PHILIS. A mon dam tu le vois. CLORIS. Comment! qu'on puisse aimer deux hommes à la fois! PHILIS. Mon malheur en ceci n'est que trop veritable; CLORIS. Qui sont ces deux bergers dont ton cœur est espoint? PHILIS. Amynte et Philémon; ne les connois-tu point? CLORIS. Ceux qui furent blessez lors que tu fus ravic? PHILIS. Ouy, ces deux dont je tiens et l'honneur et la vic. CLORIS. J'en sçay tout le discours; mais dy-moy seulement Comme amour par leurs yeux charma ton jugement. PHILIS. Amour, tout dépité de n'avoir point de flesche Assez forte pour faire en mon cœur une bresche, Voulant qu'il ne fût rien dont il ne fût vainqueur, Fit par les coups d'autruy cette playe en mon cœur: Quand ces bergers navrez, sans vigueur et sans armes, Tout moites de leur sang comme moy de mes larmes, Près du satyre mort et de moy, que l'ennuy |