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DIALOGUE

CLORIS ET PHILIS

CLORIS..

PHILIS, œil de mon cœur et moitié de moy-mesme,
Mon amour, qui te rend le visage si blesme?
Quels sanglots, quels soupirs, quelles nouvelles pleurs,
Noyent de tes beautez les graces et les fleurs?

PHILIS.

Ma douleur est si grande, et si grand mon martyre, Qu'il ne se peut, Cloris, ny comprendre ny dire.

CLORIS.

Ces maintiens égarez, ces pensers esperdus,
Ces regrets et ces cris par ces bois espandus,
Ces regards languissans, en leurs flammes discrettes,
Me sont de ton amour les paroles secrettes.

PHILIS.

Ha! Dieu, qu'un divers mal diversement me point! J'ayme, hélas! Non, Cloris, non, non, je n'ayme point..

CLORIS.

La honte ainsi dément ce que l'amour décelle:
La flame de ton cœur par tes yeux estincelle,
Et ton silence mesme, en ce profond malheur,
N'est que trop éloquent à dire ta douleur.

Tout parle en ton visage ; ct, te voulant contraindre,
L'amour vient, malgré toi, sur ta lèvre se plaindre;
Pourquoy veux-tu, Philis, aymant comme tu fais,
Que l'amour se démente en ses propres effets?

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Ne sçais-tu que ces pleurs, que ces douces œillades,
Ces yeux, qui se mourant font les autres malades,
Sont théâtres du cœur, où l'amour vient jouer
Les pensers que la bouche a honte d'avouer?
N'en fais donc point la fine, et vainement ne cache
Ce qu'il faut, malgré toy, que tout le monde sçache,
Puisque le feu d'amour, dont tu veux triompher,
Se montre d'autant plus qu'on le pense étouffer.
L'Amour est un enfant nud, sans fard et sans crainte,
Qui se plaist qu'on le voye, et qui fuit la contrainte.
Force donc tout respect, ma chere fille, et croy
Que chacun est sujet à l'Amour comme toy.
En jeunesse j'aymay, ta mere fit de mesme,
Licandre aima Lisis, et Félisque Philesme;

Et si l'âge esteignit leur vie et leurs soupirs,

Par ces plaines encore on en sent les zéphirs.
Ces fleuves sont encor tout enflez de leurs larmes,
Et ces prez tout ravis de tant d'amoureux charmes
Encore oit-on l'Echo redire leurs chansons,

Et leurs noms sur ces bois gravez en cent façons.
Mesmes que penses-tu? Berenice la belle,
Qui semble contre Amour si fiere et si cruelle,
Me dit tout franchement en pleurant, l'autre jour,
Qu'elle estoit sans amant, mais non pas sans amour.
Telle encor qu'on me voit, j'ayme de telle sorte,
Que l'effet en est vif, si la cause en est morte.
Es cendres d'Alexis Amour nourrit le feu
Que jamais par mes pleurs éteindre je n'ay peu.
Mais comme d'un seul trait notre ame fut blessée,
S'il n'avoit qu'un desir, je n'eus qu'une pensée.

PHILIS.

Ha! n'en dis davantage,et, de grace, ne rends [grands.
Mes maux plus douloureux, ni mes ennuis plus

CLORIS.

D'où te vient le regret dont ton ame est saisie?
Est-ce infidelité, mépris ou jalousie ?

PHILIS.

Ce n'est ny l'un ny l'autre, et mon mal rigoureux Excède doublement le tourment amoureux.

CLORIS.

Mais ne peut-on savoir le mal qui te possède?

PHILIS.

A quoy serviroit-il, puisqu'il est sans remède?

CLORIS.

Volontiers les ennuis s'alégent au discours.

PHILIS.

Las! je ne veux aux miens ni pitié ni secours.

CLORIS.

La douleur que l'on cache est la plus inhumaine.

PHILIS.

Qui meurt en se taisant semble mourir sans peine

CLORIS.

Peut-estre en la disant te pourrois-je guerir.

PHILIS.

Tout remede est fâcheux alors qu'on veut mourir.

CLORIS.

·Au moins avant la mort dis où le mal te touche.

PHILIS.

Le secret de mon cœur ne va point en ma bouche.

CLORIS.

Si je ne me déçois, ce mal te vient d'aymer?

PHILIS.

Cloris, d'un double feu je me sens consumer.

CLORIS.

La douleur malgré toy la langue te dénoue.

PHILIS.

Mais faut-il, à ma honte, hélas, que je l'avoue,
Et que je die un mal pour qui jusques icy
J'eus la bouche fermée et le cœur si transy
Qu'étouffant mes souspirs, aux bois, aux prez, aux
Je ne pûs ny n'osay discourir de mes peines? [plaines,

CLORIS.

Avec toy mourront donc tes ennuis rigoureux!

PHILIS.

Mon cœur est un sépulcre honorable pour eux.

CLORIS.

Je croy lire en tes yeux quelle est ta maladie.

PHILIS.

Si tu la vois, pourquoi veux-tu que je la die?
Auray-je assez d'audace à dire ma langueur ?
Ha! perdons le respect où j'ay perdu le cœur.
J'ayme, j'ayme, Cloris, et cet enfant d'Eryce, [plice,
Qui croit que c'est pour moy trop peu que d'un su-
De deux traits qu'il tira des yeux de deux amans
Cause en moy ces douleurs et ces gemissemens:
Chose encor inouie, et toutesfois non feinte,
Et dont jamais bergère à ces bois ne s'est plainte!

CLORIS.

Seroit-il bien possible?

PHILIS.

A mon dam tu le vois.

CLORIS.

Comment! qu'on puisse aimer deux hommes à la fois!

PHILIS.

Mon malheur en ceci n'est que trop veritable;
Mais las! il est bien grand, puisqu'il n'est pas croyable.

CLORIS.

Qui sont ces deux bergers dont ton cœur est espoint?

PHILIS.

Amynte et Philémon; ne les connois-tu point?

CLORIS.

Ceux qui furent blessez lors que tu fus ravic?

PHILIS.

Ouy, ces deux dont je tiens et l'honneur et la vic.

CLORIS.

J'en sçay tout le discours; mais dy-moy seulement Comme amour par leurs yeux charma ton jugement.

PHILIS.

Amour, tout dépité de n'avoir point de flesche Assez forte pour faire en mon cœur une bresche, Voulant qu'il ne fût rien dont il ne fût vainqueur, Fit par les coups d'autruy cette playe en mon cœur: Quand ces bergers navrez, sans vigueur et sans armes, Tout moites de leur sang comme moy de mes larmes, Près du satyre mort et de moy, que l'ennuy

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