Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[ocr errors]

Promet que mon labeur ne doit estre inutile,
Et qu'il doit quelque jour, mal-gré le sort cuisant,
Mon service honorer d'un honneste presant,
Honneste et convenable à ma basse fortune,
Qui n'abaye et n'aspire, ainsi que la commune,
Après l'or du Pérou, ny ne tend aux honneurs
Que Rome departit aux vertus des seigneurs.
Que me sert de m'asseoir le premier à la table,
Si la faim d'en avoir me rend insatiable,
Et si le faix leger d'une double evesché,
Mercndant moins contant, me rend plus empesché?
Si la gloire et la charge, à la peine adonnéc,
Rend soubs l'ambition mon âme infortunće?
Et quand la servitude a pris l'homme au colet,
J'estime que le prince est moins que son valet.
C'est pourquoy je ne tends à fortune si grande :
Loin de l'ambition, la raison me commande,
Et ne pretends avoir autre chose sinon

Qu'un simple benefice et quelque peu de nom,
Afin de pouvoir vivre avec quelque asseurance,
Et de m'oster mon bien que l'on ait conscience.
Alors, vrayment heureux, les livres feuilletant,
Je rendrois mon desir et mon esprit contant;
Car sans le revenu l'estude nous abuse,
Et le corps ne se paist aux banquets de la Musc.
Ses mets sont de sçavoir discourir par raison
Comme l'âme se mcut un temps en sa prison,
Et comme, delivrée, elle monte, divine,
Au ciel, lieu de son estre et de son origine;
Comme le ciel mobile, eternel en son cours,
Fait les siècles, les ans, et les mois et les jours,
Comme aux quatre elemens les matières encloses
Donnent, comme la mort, la vie à toutes choses.
Comme premierement les hommes dispersez,
Furent par l'armonie en trouppes amassez,

sça

Et comme la malice en leur ame glissée
Troubla de nos ayeux l'innocente pensée,
D'où nasquirent les loix, les bourgs et les citez,
Pour servir de gourmette à leurs meschancetez;
Comme ils furent enfin reduicts sous un empire,
Et beaucoup d'autres plats qui seraient longs à dire ;
Et quand on en sçauroit ce que Platon en sçait,
Marquis, tu n'en serois plus gras ny plus refait;
Car c'est une viande en esprit consommée,
Legère à l'estomach ainsi que la fumée. [voir ?
Sçais tu, pour sçavoir bien, ce qu'il nous faut
C'est s'affiner le goust de cognoistre et de voir,
Apprendre dans le monde et lire dans la vie
D'autres secrets plus fins que de philosophie,
Et qu'avecq' la science il faut un bon esprit.
Or entends à ce point ce qu'un Grec en escrit :
Jadis un loup, dit-il, que la faim espoinçonne,
Sortant hors de son fort rencontre une lionne,
Rugissante à l'abort, et qui monstroit aux dents
L'insatiable faim qu'elle avoit au dedans.
Furieuse elle approche, et le loup, qui l'advise,
D'un langage flateur luy parle et la courtise:
Car ce fut de tout temps que, ployant sous l'effort,
Le petit cède au grand, et le foible au plus fort.
Luy, di-je, qui craignoit que faute d'autre proye
La beste l'attaquast, ses ruses il employe.
Mais enfin le hazard si bien le secourut,
Qu'un mulet gros et gras à leurs yeux apparut.
Ils cheminent dispos, croyant la table preste,
Et s'approchent tous deux assez près de la beste.
Le loup, qui la cognoist, malin et deffiant,
Luy regardant aux pieds, luy parloit, en riant:
« D'où es-tu, qui es-tu? quelle est ta nourriture,
Ta race, ta maison, ton maistre, ta nature? >>
Le mulet, estonné de ce nouveau discours,

De peur ingenieux, aux ruses eut recours;
Et, comme les Normans sans lui respondre voire :
« Compère, ce dit-il, je n'ay point de memoire;
Et comme sans esprit ma grand mère me vit,
Sans m'en dire autre chose au pied me l'escrivit, »
Lors il leve la jambe au jarret ramassée,
Et d'un œil innocent il couvroit sa pensée,
Se tenant suspendu sur les pieds en avant.
Le loup qui l'aperçoit se leve de devant,
S'excusant de ne lire avecq' ceste parolle,
Que les loups de son temps n'alloient point à l'écolle.
Quand la chaude lionne, à qui l'ardente faim
Alloit précipitant la rage et le dessein,
S'approche, plus savante, en volonté de lire.
Le mulet prend le temps, et du grand coup qu'il tire
Luy enfonce la teste, et d'une autre façon,
Qu'elle ne sçavoit point, lui aprit sa leçon.

Alors le loup s'enfuit, voyant la beste morte,
Et de son ignorance ainsi se reconforte :

<< N'en desplaise aux docteurs, Cordeliers, Jacobins, Pardieu,les plus grands clercs ne sont pas les plus fins.>

A MONSIEUR MOTIN

SATYRE IV

MOTIN, la Muse est morte, ou la faveur pour elle.
En vain dessus Parnasse Apollon on appelle,
En vain par le veiller on acquiert du sçavoir,
Si fortune s'en mocque, et s'on ne peut avoir
Ny honneur ny credit, non plus que si nos peines
Estoient fables du peuple inutiles et vaines.

Or va, romps-toi la teste, et de jour et de nuict
Pallis dessus un livre à l'appetit d'un bruict
Qui nous honore après que nous sommes souz terrs,
Et de te voir paré de trois brins de lierre,
Comme s'il importoit, estans ombres là bas,
Que nostre nom vescust ou qu'il ne vescust pas.
Honneur hors de saison, inutile merite,

Qui, vivants, nous trahit, et qui, morts, ne profite.
Sans soin de l'avenir, je te laisse le bien
Qui vient à contre-poil alors qu'on ne sent rien,
Puis que vivant icy de nous on ne fait conte,
Et que nostre vertu engendre nostre honte.

Doncq' par d'autres moyens à la court familiers,
Par vice ou par vertu, acquerons des lauriers,
Puis qu'en ce monde icy on n'en fait difference,
Et
l'un l'autre a sa recompense.
que souvent par
Aprenons à mentir, mais d'une autre façon
Que ne fait Calliope ombrageant sa chanson
Du voile d'une fable, afin que son mystère
Ne soit ouvert à tous ny cogneu du vulgaire.

Apprenons à mentir, nos propos desguiser, A trahir nos amis, nos ennemys baiser,

Faire la cour aux grands, et dans leurs antichambres,
Le chapeau dans la main, nous tenir sur nos membres,
Sans oser ny cracher, ny toussir, ny s'asseoir,
Et, nous couchant au jour, leur donner le bon-soir.
Car puis que la fortune aveuglément dispose
De tout, peut estre en fin aurons nous quelque chose
Qui pourra destourner l'ingratte adversité

Par un bien incertain à tastons debité :

Comme ces courtisants qui, s'en faisant accroire, N'ont point d'autre vertu sinon de dire voire.

Or laissons doncq' la Muse, Apollon et ses vers, Laissons le luth, la lyre, et ces outils divers, Dont Apollon nous flatte : ingrate frenesie! Puis que pauvre et quaymande on voit la poësie, Où j'ai par tant de nuicts mon travail occupé. Mais quoy! je te pardonne, et si tu m'as trompé, La honte en soit au siècle, où, vivant d'âge en âge, Mon exemple rendra quelqu'autre esprit plus sage. Mais pour moy, mon amy, je suis fort mal payé D'avoir suivy cet art. Si j'eusse estudié, Jeune, laborieux, sur un banc, à l'ecolle, Galien, Hipocrate, ou Jason ou Bartolle, Une cornette au col, debout dans un parquet, A tort et à travers je vendrois mon caquet: Ou bien, tastant le poulx, le ventre et la poictrine, J'aurois un beau teston pour juger d'une urine, Et, me prenant au nez, loûcher dans un bassin, Des ragousts qu'un malade offre à son médecin, En dire mon advis, former une ordonnance D'un réchape s'il peut, puis d'une reverence Contre-faire l'honneste, et quand viendroit au point, Dire,en scrrant la main, « Dame! il n'en falloit point.>> Il est vray que le ciel, qui me regarda naistre,

« AnteriorContinuar »