Imágenes de páginas
PDF
EPUB

AU ROY

SIRE,

Je m'estois jusques icy résolu de tesmoigner par le silence le respect que je doy à Vostre Majesté. Mais ce que l'on eust tenu pour reverence le seroit maintenant pour ingratitude, qu'il lui a pleu, me faisant du bien, m'inspirer, avec un desir de vertu, celuy de me rendre digne de l'aspect du plus parfaict et du plus victorieux Monarque du monde. On lit qu'en Etyopie il y avoit une statue qui rendoit un son armonieux toutes les fois que le Soleil levant la regardoit. Ce mesme miracle (SIRE) avez vous faict en moy, qui, touché de l'astre de V.M.,ay receu la voix et la parole. On ne trouvera donc estrange sı, me ressentant de cet honneur, ma Muse prend la bardiesse de se mettre à l'abry de vos palmes, et si temerairement elle ose vous offrir ce qui par droict est desjà vostre, puisque vous l'avez fait naistre dans un sujet qui n'est animé que de vous, et qui aura éternellement le cœur et la bouche ouverte à vos louanges, faisant des

vœux et des prières continuelles à Dieu qu'il vous rende là haut dans le Ciel autant de biens que vous en faites çà bas en terre.

Vostre très-bumble et très-obeïssant et très-obligé sujet et serviteur,

REGNIER.

ODE A REGNIER

SUR SFS SATYRES

Qui de nous se pourroit vanter

UI

De n'estre point en servitude,
Si l'heur, le courage et l'estude
Ne nous en sçauroient exempter?
Si chacun languit abbatu,
Serf de l'espoir qui l'importune,
Et si mesme on voit la vertu

Estre esclave de la fortune?

L'un aux plus grands se rend suject, Les grands le sont à la contrainte, L'autre aux douleurs, l'autre à la crainte,

Et l'autre à l'amoureux object.

Le monde est en captivité;

Nous sommes tous serfs de nature,

Ou, vifs, de notre volupté,

Ou, morts, de notre sepulture.

Mais en ce temps de fiction,
Et que ses humeurs on desguise,
Temps où la servile feintise
Se fait nommer discretion,
Chacun faisant le reservé,
Et de son plaisir son idole,
REGNIER, tu t'es bien conservé
La liberté de la parole.

Ta libre et veritable voix

Monstre si bien l'erreur des hommes,
Le vice du temps où nous sommes
Et le mespris qu'on fait des loix,
Que ceux qu'il te plaist de toucher
Des poignans traicts de ta satyre,
S'ils n'avoient honte de pecher,
En auroient de te l'ouyr dire.

Pleust à Dieu que tes vers si doux, Contraires à ceux de Tyrtée, Fleschissent l'audace indomptée Qui met nos guerriers en courroux, Alors que la jeune chaleur

Ardents au duel les fait estre,

Exposant leur forte valeur

Dont ils devroient servir leur maistre

Flatte leurs cœurs trop valeureux, Et d'autres desseins leurs imprimes; Laisses là les faiseurs de rimes.

Qui ne sont jamais mal heureux
Sinon quand leur témérité
Se feint un merite si rare,
Que leur espoir precipité
A la fin devient un Icare.

Si l'un d'eux te vouloit blasmer,
Par coustume ou par ignorance,
Ce ne seroit qu'en esperance
De s'en faire plus estimer;
Mais alors, d'un vers menassant,
Tu lui ferois voir que ta plume
Est celle d'un aigle puissant,
Qui celles des autres consume.

Romprois-tu pour eux l'union
De la muse et de ton genie,
Asservy sous la tyrannie
De leur commune opinion?
Croy plustost que jamais les Cieux
Ne regardèrent, favorables,
L'envie, et que les envieux

Sont tousjours les plus miserables.

« AnteriorContinuar »