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S'est de mon jugement tousjours rendu le maistre ;
Et bien que, jeune enfant, mon père me tansast,
Et de verges souvent mes chansons menassast,
Me disant de despit, et bouffy de colère :
« Badin, quitte ces vers, et que penses-tu faire?
La muse est inutile; et si ton oncle a sceu
S'avancer par cet art, tu t'y verras deceu.

Un mesme astre toujours n'esclaire en ceste terre :
Mars tout ardent de feu nous menace de guerre ;
Tout le monde fremit, et ces grands mouvements
Couvent en leurs fureurs de piteux changements.
Pense-tu que le luth et la lyre des poëtes
S'accorde d'harmonie avecques les trompettes,
Les fiffres, les tambours, le canon et le fer,
Concert extravaguant des musiques d'enfer?
Toute chose a son regne, et dans quelques années
D'un autre œil nous verrons les fières destinées.

Les plus grands de ton temps, dans le sang aguerris, Comme en Trace seront brutalement nourris, Qui, rudes, n'aymeront la lyre de la Muse Non plus qu'une vièle ou qu'une cornemuse. Laisse donc ce mestier, et, sage, prens le soin De t'acquerir un art qui te serve au besoin. »

Je ne sçay, mon amy, par quelle prescience, Il eut de nos destins si claire connoissance; Mais, pour moy, je sçay bien que, sans en faire cas, Je mesprisois son dire et ne le croyois pas, Bien que mon bon demon souvent me dist le mesme. Mais quand la passion en nous est si extreme, Les advertissemens n'ont. ny force ny lieu, Et l'homme croit à peine aux parolles d'un Dieu. Ainsi me tançoit-il d'une parolle esmeue. Mais comme en se tournant je le perdoy de veue, Je perdy la memoire avecques ses discours, Et resveur m'esgaray tout seul par les destours

Des antres et des bois affreux ct solitaires,
Où la Muse, en dormant, m'enseignoit ses mistères,
M'apprenoit des secrets, et, m'eschauffant le sein,
De gloire et de renom relevoit mon dessein.
Inutile science, ingrate et mesprisée,

Qui sert de fable au peuple et aux grands de risée !
Encor' seroit-ce peu si sans estre avancé
L'on avoit en cet art son âge despensé

Après un vain honneur que le temps nous refuse;
Si moins qu'une putain l'on n'estimoit la Muse.
Eusse-tu plus de feu, plus de soin et plus d'art
Que Jodelle n'eut oncq', Desportes ny Ronsard,
L'on te fera la moue, et, pour fruict de ta peine;
« Ce n'est, ce dira t'on, qu'un poëte à la douzainc. >>
Car on n'a plus le goust comme on l'eut autrefois :
Apollon est gesné par de sauvages loix
Qui retiennent souz l'art sa nature offusquée,
Et de mainte figure est sa beauté masquée.
Si pour sçavoir former quatre vers empoullez,
Faire tonner des mots mal joincts et mal collez,
Amy, l'on estoit poëte, on verroit (cas estranges!)
Les poëtes plus espais que mouches en vendanges.
Or que dès ta jeunesse Apollon t'ait appris,
Que Calliope mesme ait tracé tes escris;
Que le neveu d'Atlas les ait mis sur la lyre;
Qu'en l'antre Thespéan on ait daigné les lire;
Qu'ils tiennent du sçavoir de l'antique leçon,
Et qu'ils soient imprimez des mains de Patisson,
Si quelqu'un les regarde et ne leur sert d'obstacle,
Estime, mon amy, que c'est un grand miracle.

L'on a beau faire bien, et semer ses escrits
De civette, bainjoin, de musc et d'ambre gris :
Qu'ils soyent pleins, relevez et graves à l'oreille,
Qu'ils fassent sourciller les doctes de merveille;
Ne pense pour cela estre estimé moins fol,

REGNIER.

3

Et, sans argent contant, qu'on te preste un licol,
Ny qu'on n'estime plus (humeur extravagante!)
Un gros asne pourveu de mille escus de rente.

Ce mal-heur est venu de quelques jeunes veaux
Qui mettent à l'encan l'honneur dans les bordeaux,
Et, ravalant Phoebus, les Muses et la grace,
Font un bouchon à vin du laurier de Parnasse;
A qui le mal de teste est commun et fatal,
Et vont bizarrement en poste en l'hospital,
Disant, s'on n'est hargneux et d'humeur difficile,
Que l'on est mesprisé de la troupe civile ;
Que pour estre bon poëte il faut tenir des fous,
Et desirent en eux ce qu'on mesprise en tous.
Et puis en leur chanson sottement importune
Ils accusent les grands, le Ciel et la fortune,
Qui, fustez de leurs vers, en sont si rebattus,
Qu'ils ont tiré cet art du nombre des vertus,
Tiennent à mal d'esprit leurs chansons indiscrettes,
Et les mettent au rang des plus vaines sornettes.
Encore quelques grands, afin de faire voir,
De Mœcene rivaux, qu'ils ayment le sçavoir,
Nous voyent de bon œil, et, tenant une gaule,
Ainsi qu'à leurs chevaux nous en flattent l'espaule
Avecque bonne mine, et d'un langage doux
Nous disent, souriant : « Et bien ! que faictes vous ?
Avez vous point sur vous quelque chanson nouvelle ?
J'en vy ces jours passez de vous une si belle
Que c'est pour en mourir : ah! ma foi, je voy bien,
Que vous ne m'aimez plus : vous ne me donnez rien.»
Mais on lit à leurs yeux et dans leur contenance
Que la bouche ne parle ainsi que l'âme pense,

Et

que c'est, mon amy, un grimoire et des mots Dont tous les courtisans endorment les plus sots. Mais je ne m'aperçoy que, trenchant du preud'homme,

Mon temps en cent caquets sottement je consomme :
Que, mal instruit, je porte en Brouage du scl,
Et mes coquilles vendre à ceux de Sainct Michel.
Doncques,sans mettre enchère aux sottises du monde
Ny gloser les humeurs de dame Fredegonde,
Je diray librement, pour finir en deux mots,
Que la plus part des gens sont habillez en sots.

FIN.

A MONSIEUR BERTAUT

EVESQUE DE SÉES.

SATYRE V

BERTAUT, c'est un grand cas! quoy que l'on puisse

faire,

Il n'est moyen qu'un homme à chacun puisse plaire, Et fust-il plus parfait que la perfection.

L'homme voit par les yeux de son affection. Chasqu'un fait à son sens, dont sa raison s'escrime, Et tel blasme en autruy ce de quoy je l'estime. Tout, suivant l'intellect, cnange d'ordre et de rang: Les Mores aujourd'huy peignent le diable blanc ; Le sel est doux aux uns, le sucre amer aux autres ; L'on reprend tes humeurs ainsi qu'on fait les nostres. Les critiques du temps m'appellent desbauché ; Que je suis jour et nuict aux plaisirs attaché; Que j'y perds mon esprit, mon ame et ma jeunesse. Les autres, au rebours, accusent ta sagesse, Et ce hautain desir qui te fait mespriser Plaisirs, tresors, grandeurs, pour t'immortaliser, Et disent, ô chetifs, que, mourant sur un livre, Pensez, seconds Phoenix, en vos cendres revivre ; Que vous estes trompez en vostre propre erreur, Car et vous et vos vers vivez par procureur.

Un livret tout moysi vit pour vous, et encore, Comme la mort vous fait, la taigne le devore.

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