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Que pour ce qu'il nous touche, il se perd si nos mères, Nos femmes et nos sœurs font leurs maris jaloux, Comme si leurs desirs dependissent de nous.

Je pense, quant à moi, que cet homme fut yvre,
Qui changea le premier l'usage de son vivre,
Et, rengeant souz des loix les hommes escartez,
Bastit premièrement et villes et citez,

De tours et de fossez renforça ses murailles,
Et r'enferma dedans cent sortes de quenailles.
De cest amas confus nasquirent à l'instant,
L'envie, le mespris, le discord inconstant
La peur, la trahison, le meurtre, la vengeance,
L'horrible desespoir et toute ceste engeance
De maux qu'on voit regner en l'enfer de la court,
Dont un pédant de diable en ses leçons discourt,
Quand par art il instruit ses escoliers, pour estre
(S'il se peut faire) en mal plus grands clercs que leur
Ainsi la Liberté du monde s'envola,
Et chacun se campant, qui deçà, qui delà,
De hayes, de buissons remarqua son partage,
Et la fraude fist lors la figue au premier âge.
Lors du Mien et du Tien nasquirent les procez,
A qui l'argent depart bon ou mauvais succez.
Le fort battit le foible et luy livra la guerre.
De là l'ambition fist envahir la terre,

[maistre.

Qui fut, avant le temps que survindrent ces maux, Un hospital commun à tous les animaux,

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Quand le mary de Rhée, au siècle d'innocence,
Gouvernoit doucement le monde en son enfance :
Que la terre de soy le froment rapportoit ;
Que le chesne de manne et de miel dégoutoit;
Que tout vivoit en paix ; qu'il n'estoit point d'usures;
Que rien ne se vendoit par poix ny par mesures;
Qu'on n'avoit point de peur qu'un procureur fiscal
Formast sur une éguille un long procès-verbal,

Et, se jettant d'aguet dessus vostre personne,
Qu'un barisel vous mist dedans la tour de Nonne.
Mais si tost que le fils le père dechassa,
Tout sans dessus dessous icy se renversa.

Les soucis, les ennuis, nous brouillèrent la teste,
L'on ne pria les saincts qu'au fort de la tempeste,
L'on trompa son prochain; la mesdisance eut lieu,
Et l'hipocrite fist barbe de paille à Dieu.
L'homme trahit sa foy, d'où vindrent les notaires
Pour attacher au joug les humeurs volontaires.
La faim et la cherté se mirent sur le rang;
La fiévre, les charbons, le maigre flux de sang,
Commencèrent d'esclorre, et tout ce que l'autonne
Par le vent de midy nous apporte et nous donne.
Les soldats, puis après, ennemis de la paix,
Qui de l'avoir d'autruy ne se saoulent jamais,
Troublèrent la campagne, et, saccageant nos villes,
Par force en nos maisons violèrent nos filles,
D'où nasquit le bourdeau, qui, s'eslevant debout.
A l'instant, comme un Dieu, s'estendit tout par tout,
Et rendit, Dieu mercy ces fièvres amoureuses,
Tant de galants pelez et de femmes galeuses,
Que les perruques sont, et les drogues encor,
(Tant on en a besoin) aussi chères que l'or.

Encore tous ces maux ne seroient que fleurettes, Sans ce maudit honneur, ce conteur de sornettes, Ce fier serpent, qui couve un venin sous des fleurs, Qui noye jour et nuict nos esprits en nos pleurs. Car, pour ces autres maux, c'estoient legères peines Que Dieu donna selon les foiblesses humaines.

Mais ce traistre cruel, excedant tout pouvoir, Nous fait suer le sang sous un pesant devoir, De chimères nous pipe, et nous veut faire accroire Qu'au travail seulement doit consister la gloire; Qu'il faut perdre et sommeil et repos et repas

Pour tascher d'acquerir un suject qui n'est pas,
Ou, s'il est, qui jamais aux yeux ne se descouvre,
Et, perdu pour un coup, jamais ne se recouvre;
Qui nous gonfle le cœur de vapeur et de vent,
Et d'excez par luy-mesme il se perd bien souvent.
Puis on adorera ceste menteuse idole!
Pour oracle on tiendra ceste croyance folle
Qu'il n'est rien de si beau que tomber bataillant;
Qu'aux despens de son sang il faut estre vaillant,
Mourir d'un coup de lance ou du choc d'une picque,
Comme les paladins de la saison antique,
Et, respandant l'esprit, blessé par quelque endroit,
Que nostre ame s'envolle en paradis tout droit!
Ha! que c'est chose belle et fort bien ordonnée,
Dormir dedans un lict la grasse matinée,
En dame de Paris, s'habiller chaudement,
A la table s'asseoir, manger humainement,
Se reposer un peu, puis monter en carrosse,
Aller à Gentilly caresser une rosse

Pour escroquer sa fille, et, venant à effect,
Luy monstrer comme Jean à sa mère le faict!
Ha!Dieu,pourquoy faut-il que mon esprit ne vaille
Autant que cil qui mist les souris en bataille,
Qui sceut à la grenouille apprendre son caquet,
Ou
que l'autre qui fist en vers un sopiquet!
Je ferois, esloigné de toute raillerie,

Un poëme grand et beau de la poltronnerie,
En despit de l'honneur, et des femmes qui l'ont,
D'effect souz la chemise, ou d'apparence au front;
Et m'asseure, pour moy, qu'en ayant leu l'histoire,
Elles ne seroient plus si sottes que d'y croire.

Mais quand je considère où l'ingrat nous reduit,
Comme il nous ensorcelle et comme il nous seduit ;
Qu'il assemble en festin au renard la cigoigne,
Et que son plus beau jeu ne gist rien qu'en sa troigne;

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Celui le peut bien dire, à qui dès le berceau
Ce malheureux honneur a tins le bec en l'eau ;
Qui le traine à tastons, quelque part qu'il puisse estre,
Ainsi que fait un chien un aveugle son maistre,
Qui s'en va doucement après luy pas à pas,
Et librement se fie à ce qu'il ne voit pas.

S'il veut que plus long-temps à ces discours je croye, Qu'il m'offre à tout le moins quelque chose qu'on voye Et qu'on savoure, afin qu'il se puisse sçavoir

Si le goust desment point ce que l'œil en peut voir.
Autrement, quant à moy, je lui fay banqueroute.
Estant imperceptible, il est comme la goutte,
Et le mal qui caché nous oste l'embonpoint,
Qui nous tue à veu d'œil et que l'on ne voit point,
On a beau se charger de telle marchandise :
A peine en auroit-on un catrin à Venise,
Encor qu'on voye après courir certains cerveaux,
Comme après les raisins courent les estourneaux,

Que font tous ces vaillans de leur valeur guerriere,
Qui touchent du penser l'estoile poussiniere,
Morguent la destinée et gourmandent la mort,
Contre qui rien ne dure et rien n'est assez fort
Et qui, tout transparents de claire renommée,
Dressent cent fois le jour en discours une armée,
Donnent quelque bataille, et tuant un chacun,
Font que mourir et vivre à leur dire n'est qu'un ?
Relevez, emplumez, braves comme sainct George,
Et Dieu sçait cependant s'ils mentent par la gorge :
Et bien que de l'honneur ils facent des leçons,
Enfin au fond de sac ce ne sont que chansons.

Mais, mon Dieu! que ce traistre est d'une estrange Tandis qu'à le blasmer la raison me transporte, [sorte! Que de luy je mesdis, il me flatte, et me dit Que je veux par ces vers acquerir son credit; Que c'est ce que ma Muse en travaillant pourchasse,

Et mon intention qu'estre en sa bonne grace;
Qu'en mesdisant de luy je le veux requerir,
Et tout ce que je fay, que c'est pour l'acquerir.

Si ce n'est qu'on diroit qu'il me l'auroit fait faire, Je l'irois appeler comme mon adversaire, Aussi que le duel est icy deffendu,

Et que, d'une autre part, j'ayme l'individu.

Mais tandis qu'en colère à parler je m'arreste,. Je ne m'aperçoy pas que la viande est preste, Qu'icy, non plus qu'en France, on ne s'amuse pas A discourir d'honneur quand on prend son repas. Le sommelier en haste est sorty de la cave :

Desja monsieur le maistre et son monde se lave. Trefves avecq' l'honneur. Je m'en vais tout courant Decider au Tinel un autre different.

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