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veues, que cela ne meritoit pas qu'il prist la peine de remonter, et que son potage valloit mieux que sesPseaumes. Il ne laissa pas de disner, mais sans dire mot, et après disner ils se separerent et ne se sont pas veus depuis. Cela le brouilla avec tous les amys de Desportes, et Regnier, qui estoit son amy, et qu'il estimoit pour le genre satyrique à l'esgal des anciens, fit une satyre contre luy qui commence ainsi :

1

« Rapin, le favory, etc. 1»

M. James de Rothschild ne trouve pas dans cette grossièreté de Malherbe une explication suffisante de sa rupture avec Regnier. « S'il est vrai, dit-il avec raison 2, que cette malencontreuse boutade ait eu réellement quelque influence sur la rupture des deux poëtes, l'on conviendra du moins qu'elle en a été plutôt l'occasion que la cause. La véritable raison de la querelle, je la trouve, non pas dans une insulte particulière, mais dans l'opposition, je dirai même dans l'incompatibilité de nature et de talent des deux poëtes. Une amitié établie entre deux esprits si différents ne pouvait être ni solide ni durable. « Les qualités et les défauts de Regnier, dit << M. Sainte-Beuve, étaient tout l'opposé des défauts et « des qualités de Malherbe. » Rien de plus vrai. La richesse de l'expression, quelquefois même surabondante, la hardiesse des images et des prosopopées de Regnier, faisaient un étrange contraste avec cette froide et sèche correction, cette réserve exagérée qu'affectait Malherbe dans tout ce qu'il écrivait. Regnier, poëte joyeux, doué d'une facilité de composition surprenante,

1. Cette anecdote, comme la plupart de celles que Tallemant rapporte dans son Historiette sur Malherbe, est tirée presque mot pour mot des Mémoires pour la vie de Malherbe, attribués à Racan. M. Tenant de Latour, le dernier éditeur de Racan, s'est attaché à démontrer que ces Mémoires sont bien l'œuvre du poëte à qui on les attribue, et il me paraît y avoir réussi.

2. Essai sur les Satires de Mathurin Regnier. Paris, A. Aubry, 1863, in-8, p. 17.

mais profondément insouciant, livrant au public ses vers tels qu'ils sortaient de sa plume, sans les retoucher jamais, ressemblait peu à ce scrupuleux versificateur qui limait et relimait pendant trois ans la même pièce, pesant chaque substantif, étudiant chaque épithète; « ce tyran des mots et des syllabes, » comme l'appelle spirituellement le vieux Balzac, « qui traitait l'affaire << des participes et des gérondifs comme si c'était celle << de deux peuples voisins et jaloux de leurs fron<< tières; qui dogmatisait jusqu'au dernier moment « de l'usage et la vertu des particules, gourmandant sa « garde sur les solécismes qu'elle commettait, et que la << mort devait surprendre délibérant si erreur et doute « sont masculins ou féminins. » J'ajouterai que Regnier, disciple et admirateur de Ronsard et de Du Bellay, souffrait de voir ces dieux naguère adorés de tous, maintenant brisés et traînés dans la boue. Nourri de la lecture de ces maîtres, professant pour leurs théories un culte véritable, Mathurin Regnier s'emporta contre l'audacieux novateur qui voulait restreindre la littérature en des limites si étroites, et réduire la poésie, cet élan de l'âme vers l'idéal, à un simple jeu de patience; il écrivit la IX Satire. >>

C'est peut-être à cette querelle qu'il faut rattacher le duel de Regnier avec Maynard, le disciple aimé de Malherbe, raconté par Tallemant (VII, 409), dans les termes suivants : « ...Voicy un duel un peu moins sanglant: Regnier le satirique, mal satisfait de Maynard, le vient appeler en duel qu'il estoit encore au lit; Maynard en fut si surpris et si esperdu qu'il ne pouvoit trouver par où mettre son haut de chausses. Il a avoué depuis qu'il fut trois heures à s'habiller. Durant ce temps-là, Maynard avertit le comte de Clermont-Lodeve de les venir séparer quand ils seroient sur le pré. Les voylà au rendez-vous. Le comte s'estoit caché. Maynard allongeoit tant qu'il pouvoit; tantost il soustenoit qu'une espée estoit plus courte que l'autre; il fut une heure à

tirer ses bottes ; les chaussons estoient trop estroits. Le comte rioit comme un fou. Enfin le comte paroist. Maynard pourtant ne put dissimuler : il dit à Regnier qu'il luy demandoit pardon; mais au comte il luy fit des reproches, et luy dit que pour peu qu'ils eussent esté gens de cœur, ils eussent eu le loisir de se couper cent fois la gorge. >>

Ici tout l'avantage est du côté de Regnier. Il n'en est pas de même de son combat avec Berthelot, dont la relation, attribuée à Sigognes, se trouve à la fin de ce volume. Le sujet de la querelle des deux satiriques n'est pas connu. Ce qu'il y a de certain, c'est que cette pièce, intéressante en ce qu'elle donne sur la personne de Regnier des renseignements qu'on ne trouve pas ailleurs, est postérieure à la mort de Desportes, puisqu'elle reproche à Regnier la pension qu'il tient de la cour.

Cette pièce présente notre poëte comme un homme de grande taille et fortement constitué. Regnier luimême parle en plus d'un endroit de la fougue de son tempérament. S'il nous dit quelque part qu'il est mélancolique, que sa façon est rustique, qu'il n'a même pas l'esprit d'être méchant, il ne faut pas le prendre au mot. 11 n'était pas ennemi de l'élégance; il portait volontiers satin, velours et taffetas1, et il ne laissait pas d'être un joyeux compagnon 2. Ce qui lui manqua pour réussir dans le monde, c'est la souplesse, et peut-être

1. Voy. p. 236.

2. Dans la Satyre XV, p. 120, il dit à Philippe Hurault de Chiverny qu'il veut aller à Royaumont

D'un bon mot faire rire, en si belle saison,

Lui, ses chiens et ses chats et toute la maison.

Un sixain gravé sous le portrait de Gros-Guillaume dit que

Son minois et sa rhetorique

Valent les bons mots de Regnier
Contre l'humeur mélancolique.

un peu d'hypocrisie, à défaut d'une conduite régu

lière.

Regnier mourut trop tôt. Il mourut au moment où sa pension de deux mille livres, son canonicat de Chartres et trois ou quatre éditions de ses satyres avaient plus que réalisé son modeste rêve :

Un simple bénéfice et quélque peu de nom1.

Il mourut au moment où l'avenir lui souriait, où le roi le pensionnait, où le comte de Cramail et le marquis de Cœuvres le protégeaient, où l'abbé de Royaumont l'accueillait familièrement; au moment où les passions qu'expliquent, sans les justifier, sa puissante constitution, son tempérament ardent, commençaient

se calmer; au moment où ce feu qu'il n'avait pas toujours su maîtriser allait passer tout entier dans ses œuvres ; il mourut au moment où son talent venait

1. Au seizième siècle et au dix-septième, un écrivain pouvait avoir de la réputation avant d'avoir rien publié. Les œuvres nouvelles circulaient en manuscrit. Elles étaient lues à la cour et chez les grands seigneurs ; un public lettré les recherchait et les jugeait. Ce fut le cas pour Regnier, qui était connu et convenablement apprécié avant l'impression de ses œuvres. On lit dans le Registre-journal de Henri IV, par l'Estoile, édition Champollion, t. II, p. 494, sous la date du 15 janvier 1609:

« Le jeudi 15, M. D. P. (Du Puy) m'a presté deux satyres de Reynier, plaisantes et bien faites, comme aussi ce poete excelle en ceste maniere d'escrire, mais que je me suis contenté de lire, pour ce qu'il est après à les faire imprimer. >>

Et plus loin:

« Le lundi 26, j'achetai les Satyres du sieur Renier, dont chacun fait cas comme d'un des bons livres de ce temps, avec une autre bagatelle intitulée: le Meurtre de la Fidelité, espagnol et françois. Elles m'ont cousté les deux, reliées en parchemin, un quart d'escu. >>

Il s'agit là, ou de la première édition, qui, bien que datée de 1608, n'aurait paru que dans les premiers jours de 1609, ou de la seconde, qui contient deux Satires de plus que la première, les deux Satires que Du Puy aurait montrées à l'Estoile en manuscrit. Dans tous les cas, on voit que la réputation de Regnier était faite.

d'atteindre son complet développement. Lisez les premières satyres de Regnier, puis lisez Macette, et comparez:

Regnier mourut en 1613: Macette est de 1612!

Il serait intéressant de ranger les œuvres de Regnier dans l'ordre chronologique, pour se rendre un compte exact de ses progrès. Je l'ai tenté sans grand succès 1.

J'ai dit que Regnier avait été attiré vers le culte de la poésie par l'exemple de la fortune de son oncle. Mais quelque chose de plus puissant décida de sa vocation. C'est ce qu'il appelle son ver-coquin. Regnier était certainement né poëte; mais il n'atteignit pas à la perfection du premier coup. Il commença de bonne heure à faire des vers, et la première de ses pièces qui lui ait paru digne de voir le jour fut composée lorsqu'il avait près de trente ans. C'est la satire VI, qui est loin d'être un chef-d'œuvre. Elle est mal conçue et mal conduite, et ce qu'on y trouve de bien est imité des Capitoli du Mauro. Ce n'est que dans les pièces composées après son retour à Paris qu'on voit sa personnalité se dégager peu à peu, son plan se dessiner, sa marche s'assurer, son vers s'éclairer et s'affermir.

Ce que voulait Regnier, c'était faire de la satire à la façon antique. Il se proposait pour modèles Horace et surtout Juvénal. Mais il n'avait pas lu les anciens seulement: outre les poètes italiens, outre Ronsard et la pléïade, il avait lu quelques vieux auteurs français qui devaient faire une vive impression sur son esprit, un

1. Ses premiers essais n'ont pas été conservés. La Satire VI fut composée à Rome. Les Satires II, III, IV, VIII et IX ont été écrites après le retour de Rome et avant la mort de Desportes. Il est plus difficile d'assigner une date aux Satires V, VII, X et XI. Bien que ces deux dernières n'aient paru qu'en 1609, je serais tenté de croire qu'elles sont plus anciennes que la Satire IX. Toutes les autres Satires ont dû être composées après 1606. J'aimerais à regarder Macette comme la dernière en date.

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