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esprit de la nature du leur. Il possédait à fond Marot, Rabelais, Villon, le Roman de la Rose. On s'en aperçoit à chaque instant en lisant ses œuvres.

N'exagérons pas, cependant on a voulu faire un crime à Regnier de ses emprunts. Cela n'est peut-être ni juste, ni bien entendu, ni prudent.

Cela peut n'être pas juste, car, au dix-septième siècle, il y avait des poètes fort estimables qui s'ingéniaient à faire entrer sournoisement dans leurs œuvres, ici un vers d'Horace, là un hémistiche de Virgile, pour donner à des critiques non moins estimables le plaisir de découvrir ces heureuses intercalations et de louer l'adresse merveilleuse de l'ouvrier qui en était l'auteur. C'étaient jeux d'honnêtes gens, et si Brossette a blâmé chez Regnier ce qu'il avait approuvé chez Boileau, je ne crois pas pour cela que Regnier ait songé à s'approprier le bien d'autrui.

Cela peut n'être pas bien entendu, car nous sommes naturellement les héritiers de ceux qui nous ont précédés: dès lors nous ne devons pas blâmer ceux qui nous transmettent, même après s'en être servis, mais surtout s'ils l'ont amélioré, ce qu'ils ont trouvé de bon dans l'héritage de leurs prédécesseurs. Emprunter à la manière de Virgile, de Regnier ou de Molière, c'est faire acte de bon père de famille. Molière, lorsqu'il écrivit le Tartuffe, connaissait la Lena des Amour d'Ovide; mais il ne connaissait peut-être ni le Roman de la Rose, ni le Discours de Charles de L'Espine1, sans parler des autres sources où Regnier peut avoir puisé, et le Tartuffe ne serait pas ce qu'il est si Molière n'avait eu la Macette sous les yeux.

1. Dans les Delices de la poesie françoise (recueil publié par F. de Rosset), Paris, Toussaint du Bray, 1615, in-8, p. 789. Il résulte de la lecture de cette pièce qu'elle fut composée du vivant de Desportes, et M. Tricotel indique un recueil de 1069 où elle figure. Regnier a donc la connaître. Mais qu'il y a loin de

cette œuvre à Macette!

Enfin, cela peut n'être pas prudent. Que Brossette se soit donné le plaisir de signaler les emprunts de Regnier, c'est bien; mais celui qui, maintenant, vient dénoncer ces emprunts, celui-là ne doit-il rien à personne? N'a-t-il pas un peu... imité Brossette?

Il est facile, d'ailleurs, de démontrer que ces emprunts qu'on reproche à Regnier n'ont pas la gravité qu'on leur prête. M. James de Rothschild, dans son Essai sur les Satires de Mathurin Regnier 1, l'a fait dans de trèsbons termes, et je ne puis mieux faire que de le citer.

« Selon moi, Regnier est parfaitement original, aussi original du moins que peut l'être un satırıque, l'homme qui s'attache à peindre des ridicules et des vices qui sont et demeureront les mêmes partout et toujours.

« Imbu fortement de la lecture d'Horace, de Juvénal et de Perse, avec cette facilité qu'ont les hommes de génie de s'assimiler les grandes idées, il a souvent transporté dans ses poésies quelques traits des satiriques latins; mais ces imitations, le poëte ne les a point faites à dessein. Quand Regnier écrivait :

Puis souvent la colère engendre de bons vers,

peut-être songeait-il au facit indignatio versum de Juvénal; mais certainement il ne cherchait pas à traduire les vers du satirique. L'on n'a pas seulement reproché à Regnier d'avoir emprunté aux Latins quelques idées générales, quelques pensées saillantes. Certains critiques l'accusent d'avoir pris aux Anciens des caractères. Que Regnier ait songé à l'importun d'Horace quand il a composé son Fâcheux, et que la Lena des Amours d'Ovide soit le prototype de sa Macette, cela me paraît incontestable. Mais ces caractères si vraiment, romains, comme il les a transformés, comme il les a rajeunis! C'étaient des Romains du temps d'Auguste; ce sont des Parisiens du xvi° siècle. « Il les a dépouillés,

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«< comme l'a très-bien dit M. Sainte-Beuve, des habi<< tudes antiques, et, pour ainsi dire, de la tunique << romaine, pour les revêtir des mœurs et du pourpoint << de son temps. »...

Regnier, en effet, n'était pas un de ces faiseurs de marqueteries dont j'ai parlé tout à l'heure. Ennemi du travail, un peu trop même, il n'aurait pu s'astreindre à la longue élaboration d'une de ces œuvres où la patience fait beaucoup plus que le génie. Il agissait, il vivait, il observait, et, lorsqu'un sujet était mûr, bien vivant dans son esprit, il le produisait d'un seul jet. Inspiration, observation, réminiscences, tout se mêlait, se fondait, et l'œuvre apparaissait belle et grande, même alors que des scories la voilaient par endroits.

On a souvent fait à Regnier un reproche qui paraît grave au premier abord. Tout le monde connaît les vers de Boileau et leur fameuse variante. Le législateur du Parnasse, averti à temps, évita l'écueil dans lequel il reprochait à Regnier d'être tombé. Mais un de ses devanciers, Du Lorens, avait été moins heureux. Dans la satire XXIII, édition de 1646, p. 180, il dit naïvement: Si mon siècle m'approuve habile cuisinier, J'ay rencontré son goût en suite de Renier, Qui coule aussi bourbeux que le père Lucile 1; Mais pour le reformer je ne suis pas concile. Prenant la chose au pis, quand il seroit parfait, Il ne me feroyt pas hayr ce que j'ay fait. Si parfois neantmoins je croyois mon courage, Par depit ou degoust je chirois sur l'ouvrage.

Cette façon de critiquer les licences de Regnier, trente ans après sa mort, n'est-elle pas suffisante pour le justifier? Regnier écrivait comme on écrivait de son temps. Mais si son expression n'est pas toujours chaste,

1. C. Lucilius, poëte sa tirique latin.

il peint le vice de couleurs qui ne sont assurément pas faites pour le rendre attrayant.

Les œuvres de Regnier ont été imprimées un grand nombre de fois. Les éditions. les plus importantes

sont :

1o Les quatre éditions originales faites à Paris par Anthoine du Brueil, 1608, in-4o, 1609, 1612 et 1613, in-8. La première contient la Dédicace au Roi, l'Ode de Motin, dix satires (les neuf premières et la douzième, et le Discours au Roy. Dans la seconde, on trouve deux satires de plus, la dixième et la onzième; la troisième édition contient en outre la treizième satire, Macette, lechef-d'œuvre de l'auteur. Dans la quatrième, on trouve toutes les pièces qui forment la première partie de mon édition, de la page 1 à la page 1641.

2o Les satyres et autres œuvres folastres du sieur Regnier. Derniere edition, revue, corrigée et augmentée de plusieurs pièces de pareille estoffe, tant des sieurs de Sigogne, Motin, Touvent et Bertelot, qu'autres des plus beaux esprits de ce temps. Paris, Samuel Thiboust, 1616, in-8.

Volume de 198 feuillets chiffrés, plus quatre ff. liminaires et un pour le privilége, accordé à Anthoine Du Brueil le 23 septembre 1616. Il a été réimprimé page pour page sous la date de 1617, avec une suite de 20 feuillets chiffrés très-irrégulièrement, et dont le dernier est coté 233. Le volume se termine par le privilége de 1616. J'ai sous les yeux un exemplaire de 1617 au nom d'Anthoine Estoc, et un autre au nom de Pierre Chevalier. Il doit en exister sous les deux dates avec le nom d'Anthoine Du Brueil.

Dans ces éditions de 1616-1617, les œuvres de Regnier comprises dans l'édition de 1613 finissent au

1. J'indique ici pour mémoire une édition de Paris, Anthoine du Brueil, 1614, in-8, qui reproduit l'édition de 1613. A la suite on trouve quinze pièces qui ne sont pas de Regnier.

fol. 100 r. Les pièces ajoutées commencent au verso du même feuillet, par ce titre : DIVERS ÉPIGRAMMES. Sauf l'Adieu de Bertelot et l'Escume des œuvres poétiques du sieur de B., toutes les pièces de cette suite sont anonymes. Regnier est-il l'auteur d'un plus ou moins grand nombre d'entre elles? Ses éditeurs ont pu le croire, et ils en ont joint plusieurs à ses œuvres.

3o Les satyres et autres œuvres du sieur Regnier· Selon la copie imprimée à Paris (Leyde, Elsevier), 1642, petit in-12.

Cette édition contient deux pièces de plus que celle de 1613.

4° Les satyres... augmentées de diverses pièces cy-devant non imprimées. Leiden, J. et D. Elsevier, 1652, petit in 12.

Cette édition contient onze pièces tirées du Cabinet satyrique qu'on n'avait pas encore jointes aux œuvres de Regnier.

5o Satyres et autres œuvres de Regnier, accompagnées de remarques historiques (de Cl. Brossette), nouvelle édition considerablement augmentée. Londres, Tonson, 1733, in-4.

Cette édition est augmentée de diverses pièces tirées presque toutes du Cabinet satyrique, où elles sont attribuées à Regnier. On y a joint un choix de poésies de Motin, Berthelot, etc.

6° Euvres de Regnier, avec les Commentaires revus et corrigés, etc., par M. Viollet le Duc. Paris, Desoer, 1822, in-18.

Cette édition, qui a été reproduite en 1853 dans la Bibliothèque elzevirienne, contient trois pièceș du Cabinet satyrique, réunies pour la première fois aux œuvres de Regnier.

7° Euvres complètes de Regnier, avec le Commentaire de Brossette, des notes littéraires, etc., par M. Prosper Poitevin. Paris, Delahays, 1860, in-16.

M. P. Poitevin a fait entrer dans son édition sept épi

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