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c'en seroit même encore assez pour le nôtre, sans une sorte de curiosité que l'on a pour savoir qui étoit l'Auteur ou le poëte dont on lit et dont on admire les ouvrages. Ainsi ce que j'en vais dire est tiré des papiers journaux de sa famille, dont on m'a communiqué des extraits.

<< Mathurin Regnier naquit à Chartres le 21 décembre 1573, et fut baptisé dans l'église paroissiale de Saint-Saturnin'. Il étoit fils aîné de Jacques Regnier, bourgeois de la même ville, et de Simone Desportes, sœur de l'Abbé Desportes, fameux poëte, tous deux enfans de Philippe Desportes et de Marie Edeline. Jacques Regnier, dans son contrat de mariage passé le 5 de janvier 1573, fut qualifié honorable homme, titre qui dans ce temps là ne se donnoit qu'aux plus notables bourgeois 2.

« Il eut trois enfants de ce mariage: Maturin, qui est notre Poete; Antoine, qui épousa Anne Godier; et Marie Regnier, qui fut mariée à Abdenago de la Palme, officier de la Maison du Roy.

<< Antoine Regnier fut Conseiller élu dans l'élection de Chartres, et madame de Nemours (Anne d'Est), du

Levallois, M. Demogeot, M. Lucien Merlet. Je dois à M. Ed. Tricotel l'indication de quelques autres écrivains qui se sont occupés de Regnier : L'Estoile dans son Journal et dans ses notes, Du Lorens dans ses Satyres, Le Gorlier dans le Juvénal françois, Tallemant dans ses Historiettes.

1. Le lendemain du jour de sa naissance; il eut pour marraine sa grand'mère Marie-Edeline Desportes, mère du poëte Philippe Desportes.

2. On verra plus loin qu il était un des échevins de la ville. Il devait même jouir d'une certaine influence, car, s'étant jeté m prudemment dans le parti des Ligueurs chartrains, il fut mis en prison et frappé d'une contribution assez forte, seize cents écus, qu'il trouva, d'ailleurs, le moyen de ne pas payer. Ces faits se passaient en 1591. On en doit la connaissance à M. Lucien Merlet, archiviste du département d'Eure-et-Loir. Voy. Le Beauceron, année 1857.

chesse de Chartres, le gratifia de la remise du quart denier de sa charge.

Jacques Regnier leur père, qui étoit un hommè de plaisir, fit bâtir en 1573, dans la place des Halles, un jeu de paume des démolitions de la citadelle de Chartres, qui lui furent données par le crédit de l'abbé Desportes son beau-frère ; et comme ce Tripot a porté le nom de Tripot Regnier tant qu'il a subsisté, c'est apparemment ce qui a donné lieu de dire que Regnier le Satirique étoit fils d'un Tripotier.

Jacques Regnier et Simone Desportes moururent de la contagion, mais non pas en même temps ni en même lieu. Le mari mourut le 14 de février 1597 à Paris, où il avoit été député pour les intérêts de la ville de Chartres, dont il étoit actuellement échevin, et fut enterré dans l'église de Saint-Hilaire. Simone Desportes sa femme, morte le 28 de septembre 1629, fut enterrée au Cimetière de Saint-Saturnin, hors de la Ville de Chartres.

Maturin Regnier, leur fils aîné, fut tonsuré le 31 de mars 1582', par Nicolas de Thou, évêque de Chartres. Quelques années après, il obtint par dévolut un canonicat dans l'Eglise de Notre-Dame de la même Ville, ayant prouvé que le résignataire de ce Bénéfice, pour avoir le temps de faire admettre sa résignation à Rome, avoit caché pendant plus de quinze jours la mort du dernier Titulaire, dans le lit duquel on avoit mis une bûche, qui fut depuis portée en terre, à la place du corps, qu'on avoit fait enterrer secrettement. Regnier prit possession de ce Canonicat le 30 de juillet 16042.

1. Ou plutôt le 31 mars 1584, d'après les recherches de M. Lucien Merlet. Peut-être Brossette avait-il mal lu la date de l'année. On remarquera que celle du mois est la même des deux côtés.

2. D'après une pièce que M. Lucien Merlet a découverte dans le registre des professions de foi des chanoines de Chartres, Regnier n'aurait pris possession de son canonicat que le 30 juillet 1609. Probablement encore une date mal lue.

« Il eut encore d'autres Bénéfices', et une pension de deux mille livres sur l'Abbaye des Vaux-de-Cernay, après la mort de l'Abbé Desportes, qui en étoit revêtu".

<< La tradition à Chartres est que Regnier, dès sa première jeunesse, marqua son inclination à la satire. Les vers qu'il faisoit contre divers particuliers obligèrent son père à l'en châtier plus d'une fois, en lui recommandant de ne point écrire, ou du moins d'imiter son oncle, et de fuir la médisance.

« Le déréglement dans lequel il vécut ne le laissa pas jouir d'une longue vie. Il mourut à Rouen, dans sa quarantième année, le 22 d'octobre 1613, en l'hotellerie de l'Ecu d'Orléans, où il étoit logé3. Ses entrailles furent portées en l'Eglise paroissiale de Sainte-Marie de Rouen, et son corps, ayant été mis dans un cercueil de plomb, fut transporté à l'abbaye de Royaumont, lieu qu'il aimoit beaucoup, et où il voulut être enterré. »

La biographie d'un grand homme ne consiste pas précisément dans le récit de sa naissance et de ses funérailles; mais deux choses doivent nous rendre indulgents pour Brossette : l'une, c'est que nous ne sommes guère en état nous-mêmes de combler la lacune qu'il a laissée dans la vie de Regnier; l'autre, c'est le parti

1. Ceci n'est pas certain. Tallemant (Historiettes, 1854, in-8, t. I, p. 95) parle d'une abbaye de 5000 livres de rente que lui aurait fait donner le maréchal d'Estrées; mais ce témoignage n'est pas d'un grand poids.

2. Philippe Desportes mourut le 5 octobre 1606.

3. M. Lucien Merlet donne à cette hôtellerie le nom de l'Ecu de France.

Voici le récit de Tallemant (t. I, p. 96) : « Regnier mourut à trente-neuf ans à Rouen, où il estoit allé pour se faire traitter de la verolle par un nommé Le Sonneur. Quand il fut guery, il voulut donner manger à ses medecins. Il y avoit du vin d'Éspagne nouveau. Ils luy en laisserent boire par complaisance; il en eut une pleuresie qui l'emporta en trois jours. »

que nous pouvons tirer du peu de renseignements qu'il nous a transmis.

Regnier appartenait à une famille considérable de la bourgeoisie. 11 était neveu de Philippe Desportes, le poëte le mieux renté du temps. Son père rêva dès le premier jour pour le jeune Mathurin la fortune de l'abbé de Tiron, et le fit tonsurer à l'âge de onze ans. Si plus tard il cherche à le détourner du culte des muses, c'est que l'homme de plaisir » veut la fin sans les moyens. Regnier, tout poëte qu'il était, fut plus conséquent. Comptant sur la protection de son oncle, il comprit qu'il devait suivre la même voie que lui, et s'adonna à la culture des lettres. Dans sa position, un homme vulgaire eût probablement bien fait son chemin. Regnier ne réussit pas. A vingt ans, affolé par la pauvreté, se voyant méprisé du peuple et des grands, il cherche un protecteur. Il part pour Rome à la suite du cardinal de Joyeuse; il y passe huit ans, puis, après un court séjour en France, il y retourne à la suite du duc de Béthune. Deux ans après, il était de retour à Paris, aussi pauvre, aussi mécontent qu'avant son départ. Le diplo mate n'avait pas mieux réussi que le poëte.

Rentré en France, Regnier s'attacha à son oncle Desportes, qui l'aimait beaucoup, assure-t-on, mais dont la tendresse, toutefois, ne paraît pas avoir été fort active. Il ne fit rien obtenir à son neveu, et ne lui laissa rien par son testament. Peut-être croyait-il, comme on l'a conjecturé, qu'un homme d'un tel mérite ne pouvait manquer d'être bientôt largement pourvu.

Dans la maison de son oncle, qui avait su « rimer une bonne table » et recevait beaucoup de monde, Regnier se lia plus ou moins avec les beaux-esprits du temps, de même qu'il y trouva, grâce à son humeur satirique et à son admiration un peu trop enthousiaste pour le talent et la brillante position de Desportes, l'occasion de se mettre quelques mauvaises affaires sur les bras. Tallemant en rapporte trois.

<< Desportes, dit-il1, estoit en si grande reputation, que tout le monde luy apportoit des ouvrages, pour en avoir son sentiment. Un advocat luy apporta un jour un gros poëme qu'il donna à lire à Regnier, afin de se deslivrer de cette fatigue; en un endroit, cet advocat disoit :

Je bride icy mon Apollon.
Regnier escrivit à la marge:

Faut avoir le cerveau bien vide
Pour brider des Muses le Roy;

Les Dieux ne portent point de bride,
Mais bien les asnes comme toy.

Cet advocat vint à quelque temps de là, et Des Fortes luy rendit son livre, après luy avoir dit qu'il y avoit de bien belles choses. L'advocat revint le lendemain, tout bouffy de colère, et, luy montrant ce quatrain, luy dit qu'on ne se mocquoit pas ainsy des gens. Des Portes reconnoist l'escriture de Regnier, et il fut contraint d'avouer à l'advocat comme la chose s'estoit passée, et le pria de ne luy point imputer l'extravagance de son nepveu.»

On a raconté bien des fois la querelle de Regnier avec Malherbe. Voici comment la rapporte Tallemant (I, 274) : « Sa conversation (de Malherbe) estoit brusque: il parloit peu, mais il ne disoit mot qui ne portast. Quelquefois mesme il estoit rustre et incivil, tesmoin ce qu'il fit à Desportes. Regnier l'avoit mené disner chez son oncle; ils trouvèrent qu'on avoit desjà servy. Desportes le receut avec toute la civilité imaginable, et luy dit qu'il luy vouloit donner un exemplaire de ses Pseaumes, qu'il venoit de faire imprimer. En disant cela, il se met en devoir de monter à son cabinet pour l'aller querir. Malherbe luy dit rustiquement qu'il les avoit desja

1. T. I, 95.

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