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La MercyDicu.

L'an mil quatre, & vingt de grace,
Monfieur de Prully GODEBERT,
Fils d'EFFROY fonda cette église
De faint Martin, comme il appert:
Regnant en France roy ROBERT,
Grand clerc renommé en tous lieux.
Paradis leur puisse être ouvert
Et à nous aui avec eux.

On voit dans le château de Prulli des reftes d'une ancienne églife deffervie autrefois par des chanoines. Elle fut détruite par une dame de Prulli qui fe fit Huguenote,à qui Dieu neanmoins ouvrit les yeux pour reconnoître & abjurer fes erreurs ; mais le mal qu'elle avoit fait dans l'herefie demeura irrepara

ble.

eft

J'entrai enfuite dans le diocese de Poitiers, & le famedi 16 Juin j'arrivai fur les huit heures du matin à l'abbaye de la Mercy-Dieu de l'étroite obfervance de l'ordre de Cîteaux fituée sur le bord de la rivière de Gartampe, & fondée l'an 1153 par les feigneurs de Prulli. Le prieur qui me reçut, un excellent religieux, homme d'efprit & de probité, & bon œconome. Il avoit été auparavant prieur de l'abbaye de Maizieres à trois lieuës de Châlons fur Saone, qu'il a renduë une des plus belles & des plus riches maifons de la reforme. La bibliotheque fur tout eft tres-bonne & remplie de livres choifis. Il me fit un bon accueil & me fit voir les manufcrits de fon monaftere, qui font en affez bon nombre & assez bien confervez, la plupart des faints peres. L'église eft affez belle; dans la croifée font les tombeaux du fondateur & de quelques autres feigneurs de Prulli, autour defquels font reprefentez des religieux avec l'ancien habit de Cîteaux, le capuchon attaché à la coule. Dans la nef eft enterré Loui fe dame de Tou. Je travaillai fans relâche jufqu'à trois heures aprés midy, que je montai à cheval pour me rendre à S. Savin, faint Savin, où je paffai le dimanche.

L'abbaye de faint Savin eft aujourd'hui affez peu confiderable; mais elle étoit autrefois une des plus illuftres du Poitou. Elle a efté au moins fondée dés le huitiéme fiecle. Elle a eu le bonheur d'avoir pour abbé le grand Benoist d'Aniane. Elle a nourri dans fon fein les premiers religieux de

Cluni. Elle a reformé les abbayes de faint Martin d'Autun, de Charroux & plufieurs autres fameufes. L'églife qu'on prétend être du temps de Charlemagne eft grande & fort belle. Les voutes en forme de berceau font ornées de peintures qui reprefentent l'hiftoire de la Genefe, les piliers font petits & ronds, la fleche toute de pierres & fort élevée paffe dans le Poitou pour un chef d'oeuvre. Tous les autels plutôt quarrez que longs n'excedent point quatre pieds en quarré ; leurs infcriptions gravées fur les tables nous apprennent les faints aufquels ils ont été confacrez, & ne nous permettent pas de douter qu'ils ne foient effectivement du temps de Charlemagne. J'en rapporterai feulement icy une.

HERMENS MILES: INORBE POTENS PROPRIO QV SANGUNE FVSOBAB TISA JOHS: INL VS MR MRIÑ: H1C REQVESET.

Sur l'autel de faint Pierre, qui eft proche de la facriftie, on voit un ancien fepulcre de pierre, qui eft affurément le tom. beau de quelque Saint dont les reliques font enterrées dans le monaftere, fi elles ne font pas dans le tombeau même,qui meriteroit bien d'être ouvert pour fçavoir ce qu'il renferme.

Dans les cryptes qui font fous le grand autel, & dont les peintures representent le martyre de faint Savin & de faint Cyprien, il n'y a qu'un feul autel confacré à fainte Savine, dont le-fepulcre joint l'autel avec cette infcription,

IIC REQVIES

CIT SCISSI

MĀ SAVNAVR.

La pierre de l'autel couvre le refte de l'infcription qui étoit comme l'on croit go & martyr. On fait à faint Savin la fête de cette fainte le is de Juillet.

Le lendemain le R. P. Prieur m'accompagna à l'abbaye de

L'Etoile, l'Etoile de l'ordre de Cîteaux. Elle a un abbé regulier qui commande à dix ou douze religieux de l'étroite observance. Leur folitude eft grande, leur filence exact, leur nourriture ordinaire des legumes & des œufs; ils mangent rarement du poiffon. On dit même qu'il y a un religieux qui ne fait jamais qu'un repas à cinq heures du foir avec un potage, des fruits, du pain noir & de l'eau. Cette abbaye eft redevable du rétabliffement de ses édifices & de fa regularité au Reverend Pere Dom Jerofme Petit, qui ayant été nommé abbé par le roy, la rebâtit prefqu'entierement, & y fit revivre le premier efprit de faint Bernard. On me fit voir la vie manuscrite compofée par quelqu'un de fes difciples, qui eft fort édifiante. Ce bon abbé mourut l'an 1635 âgé d'environ cinquante ans. Il étoit digne d'une plus longue vie : mais il avoit affez vécu pour meriter le ciel.

Poitiers.

J'arrivai à Poitiers le 18 Juillet, où je fus favorablement reçu de monseigneur l'évêque, qui me communiqua avec beaucoup de bonté fon cartulaire, qu'on appelle le Grand Gautier, du nom de l'évêque qui l'a fait écrire. Meffieurs les chanoines de la cathedrale m'ouvrirent leurs archives avec la même facilité, & la plupart des communautez de la ville me firent la même grace. Dans les archives de faint Pierre je trouvai quelques manufcrits, dont le plus beau & le plus ancien, eft un texte des évangiles écrit il y a prés de neuf cens ans par le commandement de l'évêque Sigebrand, comme nous l'apprenons de ces mots qui fe lifent à la fin, anno DCCCXVIII ab Incarnatione Domini noftri Jefu Chrifti v Calendas Aprilis Pafcha. Sigibrandus donum Dei epifcopus fieri juffit. L'églife de faint Pierre qui eft la cathedrale eft tres-belle, grande, fpacieufe & d'une largeur qui n'a point de pareille. Et affûrément fi fon élevation répondoit à la longueur & à la largeur, elle ne pafferoit pas feulement pour une des belles églifes du royaume; mais je ne fçai fi elle cederoit à aucune. Elle ne conferve plus de reliques qu'un offement de S. Hilaire d'Arles dans un tres-beau bufte, & quelques autres petits offemens dans un autre reliquaire, toutes celles qu'elle poffedoit autrefois ayant été brûlées par les heretiques. On montre encore dans l'églife le lieu où ces impies commirent ce facrilege. Ce qui peut plus fatisfaire la curiofité des antiquaires, c'est un ancien marbre blanc long de fix à fept pieds, d'un pied & demi ou environ en quarré, fur lequel on lit cette inf

cription

cription que le Pere Mabillon a fait graver dans le fupplément de fa Diplomatique.

Cluarenille Cluareni Cof. filiæ civitas Pictoñum funus, locum ftatuam, monument. public. M. Cenfor Pavius Leg. Aug. pr. Pr. provinc. Aquitan. Cof. defig. maritus honore contentus fuaque C ponend. curavit. que quelques-uns expliquent en cette forte.

Cluarenilla Cluareni confulis filiæ civitas Piltonum funus, locum ftatuam, monumentum publicum. M. Cenfor Pavius legionum Augufti primus Prætor, Provinciæ Aquitanica Conful defignatus,maritus honore contentus, fuaque caufa ponendum curavit.

Ce marbre qui fut tiré il n'y a pas long-temps de l'église de S. Jean, qui eft affez proche de la cathedrale, a fait juger que cette églife étoit autrefois un temple d'idoles, on y montre même un petit trou rond d'environ un pied de diametre, dans lequel on prétend qu'on répandoit le fang des victimes immolées aux dieux; mais la figure de croix qui fe remarque dans la forme de l'église, balance bien ce fentiment, fi elle ne le détruit pas entierement. Cette églife étoit autrefois le baptiftaire de toute la ville de Poitiers, dans lequel on defcendoit par des degrez dans les fonts baptifmaux; il n'y a pas encore quatre vingt ans, qu'on ne baptifoit point dans les paroiffes. Il paroît par l'ancien ceremonial dont l'écriture est d'environ cinq cens ans, que le famedy faint l'évêque y baptifoit deux garçons & une fille. Ce même ceremonial nous apprend qu'aux rogations tout le clergé de la ville fe joignoit enfemble pour ne faire qu'une proceffion, & que tous ceux qui y portoient des reliques marchoient nuds pieds. Aujourd'hui il n'y a que les deux derniers chanoines de sainte Radegonde qui portent la fainte Croix qui fut envoyée à cette augufte reine, qui aillent nuds pieds, & l'abbeffe de fainte Croix leur doit donner fix blancs pour leur peine.

Aprés la cathedrale, l'église de faint Hilaire eft la plus confiderable de Poitiers; c'étoit autrefois une fameuse abbaye de l'ordre de faint Benoist, qui comme plufieurs autres a été fecularifée. Elle eft immediate au faint Siege, & joüit de plufieurs privileges, le treforier, qui eft la premiere dignité, a droit de porter la mitre. Gilbert de la Porrée qui avoit été treforier de faint Hilaire, avant que d'être évêque de Poitiers, y voulut être enterré, on voit encore les reftes de fon tombeau, que les Huguenots briferent, pour en tirer fon corps & le jetter au feu. L'abbaye de la Celle de l'or

I. Partie.

B

dre des chanoines reguliers de S. Auguftin, fe glorifie d'avoir été le lieu de la fepulture de faint Hilaire, & montre encore fon tombeau, qui eft dans un caveau au milieu de la nef.

Il y a à Poitiers quatre abbayes de l'ordre de faint Benoift, deux d'hommes & deux de filles, toutes quatre illuftres. Celle de faint Cyprien hors de la ville eft tres ancienne. Elle a eu pour abbé le bienheureux Bernard, qui défendit si bien les droits de fon monaftere contre faint Hugues, qui vouloit l'affujettir à Cluni. Il alla exprés à Rome, & voyant que le Pape, qui avoit été religieux de faint Hugues, panchoit de fon côté, il appella de fon jugement à celuy de Dieu, & luy parla avec tant de fermeté, que le faint Pere touché d'une conftance qui ne pouvoit être que le fruit d'une vertu tres heroïque, luy donna non feulement gain de cause, mais encore voulut le faire cardinal. Il refufa cette dignité, & aprés avoir gouverné faintement quelques années l'abbaye de faint Cyprien, il alla fonder celle de Tyron, où il fut le pere de cinq cens moines.

L'abbaye de Moutier neuf qui eft dans la ville, reconnoît pour fondateur Guillaume Comte de Poitiers,qui fut auffi appellé Geoffroy. Il la foumit à celle de Cluni, dont il tira dixhuit religieux pour y établir la regularité, fe propofant d'en augmenter le nombre jufqu'à cent. Les quatre premiers abbez furent nommez par faint Hugues. Un des plus illuftres fut le fameux Imarus que le pape Innocent crea cardinal. Cette abbaye autrefois fort illuftre, fe reffent de la décadence de la regularité; car excepté l'églife, elle eft prefque rui

née.

Celle de fainte Croix eft un illuftre monument de la pieté de fainte Radegonde reine de France, qui y affembla un grand nombre de faintes Vierges, & qui y enfevelit toute la gloire de la pourpre & de la dignité royale fous le voile d'une fimple religieufe. On y montre les lieux qu'elle a fanctifiez par fa prefence & par fes prieres, la fainte Croix qui luy fut envoyée par l'empereur Juftin, enchâffée dans un petit reliquaire d'or, enfermée dans un coffre couvert auffi d'or; une autre portion du bois de la vraye croix, que la Sainte avoit coûtume de porter fur elle; fa coupe qui eft fort grande & fort haute, & fon chef magnifiquement enchâffe. L'églife d'aujourd'huy faite en forme de croix, est, à ce que l'on prétend, du temps de l'empereur Charlema

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