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L'églife de faint Urbain eft l'ouvrage du pape Urbain IV. qui étant né à Troye, la fit bâtir pour douze chanoines dans fa maifon paternelle. La mort de ce pape l'empêcha d'y faire tout le bien qu'il s'étoit propofé. Elle eft pourtant exempte de la jurifdiction épifcopale, & immediate au faint Siege. Monfieur Brayer qui en eft treforier nous montra un ancien martyrologe, où il n'y a chaque jour que deux ou trois Saints tout au plus, avec une petite leçon tirée de l'écriture ou des peres pour lire chaque jour à prime aprés la lecture du martyrologe avant celle du necrologe. On la lifoit autrefois au lieu du petit capitule que nous chantons aujourd'hui.

S. Urbain,

L'abbaye de faint Loup eft une des plus anciennes de s. Loup. Troye. Elle fut donnée dans le douzième fiecle aux chanoines reguliers qui la poffedent encore aujourd'hui. Nous y reçûmes toute forte d'honnêtetés du R. P. prieur & du Pere Martin qui en eft bibliothecaire. Il nous fit voir quelques manuscrits, entr'autres une fort belle bible en trois grands volumes d'environ 600 ans, un texte des Paralipomenes & des Machabées écrit en lettres lombardes il y a prés de mille ans, un tres-beau pontifical, un traité de faint Antonin archevêque de Florence pour l'inftruction des confeffeurs, dont le prologue commence par ces mots defecerunt scrutantes fcrutinio. Je doute que cet ouvrage foit imprimé. Dans un autre manufcrit qu'on nous fit voir,c'eft fi je ne me trompe une bible, nous trouvâmes ces vers qui meritent d'être icy rapportez.

Qualiter efuriens in campo quærit eodem

Semen avis, ftramen bos, leporemque canis ;

Ingeniis ita diverfis diverfa miniftrat

Pabula fiderei pagina facra patris.

Lac capit hic infans, panem robuftior atas,

Nec caret optato curva fenecta cibo,

Et tamen huic pauci invigilant, quæ pleraque turba
Aures non animum confuluiffe folet.

L'églife de cette abbaye eft tres-belle & d'une structure finguliere. Elle eft en forme de croix, tous les croifons font de même grandeur & de même forme. Le grand autel, lorfqu'on découvre les châffes de faint Loup, de faint Com.

Notte-Da

me aux

Nonains.

melien, de faint Winebaud &c. eft d'une magnificence achevée. Mais ce qui en fait le plus bel ornement, c'est le chef de faint Loup. Il eft d'une grandeur furprenante, d'une matiere tres riche, d'un travail immenfe. Les ornemens qui font deffus ne cedent rien au refte, & l'on eftime un feul rubis plus de vingt mille livres. Les émaux qui font autour font d'une beauté & d'un prix qui ne fe peuvent payer. On nous dit que monfieur le cardinal de Bouillon l'ayant vû, avoüa qu'il n'avoit rien vû de fi beau en Italie. On ajouta que deux cens mille livres ne le payeroient pas, & cependant c'est l'ouvrage de Nicolas Frejot abbé regulier de cette maison, qui n'étant que fils d'un fimple maréchal de village, s'éleva par fon propre merite à cette dignité. Pour y conferver l'humilité & avoir toûjours devant les yeux fa premiere condition, il prit dans fes armes trois fers de cheval, & pour que fon abbaye ne tombât point en commande, il la refigna à un religieux, & fe retira dans une cure de campagne, où il vécut encore fort long temps. Il est enterré à faint Loup, où l'on voit fur fon tombeau un cadavre à trois pieds de terre rongé par les vers, d'un travail ineftimable. L'autel de faint Auguftin où fon baptême par faint Ambroife eft representé, eft admirable, mais la figure de fainte Monique qu'on y voit, eft fi bien faite, qu'il ne luy manque que la parole. Nous vîmes encore dans la facriftie une petite table de porphyre fur laquelle on prétend que faint Loup a dit la meffe, fon étole, fon manipule, & quelques autres ornemens. Les premiers chanoines reguliers de S. Loup furent tirez de l'abbaye de faint Martin,qui eft auffi à Troye poffedée par les Peres de la congregation de fainte Geneviève. Nous n'y trouvâmes rien de confiderable, que les figures qui font dans l'églife.

L'abbaye de Notre Dame aux Nonnains est recommandable par plufieurs endroits, par fon antiquité dont on ne fçait point le commencement, par l'honneur qu'elle a d'avoir donné la regeneration au pape Urbain IV. qui y fut baptizé, & la fepulture à fon pere, dont on nous montra encore les os, qui font dans une caiffe au chapitre, & par le privilege qu'elle a de prefenter l'évêque à fon chapitre, lorfqu'il fait la premiere entrée à Troye. La veille de la ceremonie l'évêque doit venir à l'abbaye, monté fur une mule, qui refte à l'abbeffe, il y paffe la nuit, & le lit où il couche luy appartient Le lendemain il s'habille dans le chapitre du mo

naftere, l'abbeffe luy met la chape fur le dos, la mitre fur la tête, & la croce en la main, & le conduit elle même à fon clergé, qui vient le recevoir, & le prefente au doyen en luy difant : Voila votre évéque que je vous prefente. Cette ce. remonie s'eft pratiquée fort exactement jufqu'à monfieur François Bouthillier, qui eft encore en vie, & qui eft le premier qui s'en foit difpenfé.

Notre Da

Prez.

Nous ne dirons rien icy de l'abbaye de Notre Dame des Prez de l'ordre de Cîteaux, finon que la mere d'Urbain IV. me des y eft enterrée. Pendant que nous fejournâmes à Troye, nous fames bien aile de voir tout ce qui pouvoit fatisfaire des perfonnes de notre profeffion. Nous fumes pour cet effet aux Peres Jacobins, où nous fûmes charmez de la figure de faint Dominique qui eft à l'entrée de l'églife. Il y avoit autrefois à fes deux côtez deux autres figures de S. Pierre & faint Paul, qu'on a dérobées. Je n'ay point de termes capables d'exprimer la beauté & la délicateffe des chaires du chœur. On y voit des buftes admirables & des pieces de fculpture dans les embrazures inimitables. Je n'ay jamais rien vû de fi beau en ce genre. Le vaiffeau de la bibliotheque eft auffi tres-beau, mais fur tout les vitres font admirables. Il y a un assez bon nombre de livres, mais peu de manufcrits, parmi lesquels je vis une vie de fainte Catherine de Sienne, qui eft du temps de la Sainte. Le vaiffeau de la bibliotheque des Cordeliers eft plus beau & mieux fourni, elle eft publique, & trois fois la femaine on l'ouvre à tous ceux qui veulent profiter de la lecture des livres.

Une des plus belles chofes qu'on puiffe voir à Troye, c'est l'église de faint Pantaleon. Il n'y a point d'autel, ny de piliers, où il n'y ait des figures qui furpaffent l'art. Les pintures de la plupart des tableaux ne cedent en rien aux figu res. Enfin, les vitres font fi belles, que monfieur le cardinal de Richelieu offrit dix-huit mille livres de celles du fond feulement. Toutes les figures de cette églife, & toutes celles qu'on admire dans toute la ville, font des ouvrages de François Gentil le plus habile sculpteur qu'on ait vû depuis longtemps.

Nous ne voulûmes point partir de Troye fans voir l'église de faint Nicolas, où il y a un fepulcre de Notre-Seigneur, d'un tres-beau travail. Il eft fait fur la forme & avec toutes les dimensions de celuy de Jerufalem. On dit que l'ouvrier fut

Larivou.

exprés à Jerufalem pour les prendre, & qu'ayant par méprife oublié d'en prendre quelques-unes, il y retourna une feconde fois.

Comme nous nous dipofions à partir, on nous avertit que les Peres de l'Oratoire avoient autrefois herité de la bibliotheque de monfieur Pithou. La reputation de ce grand homme ne nous permit point de quitter Troye fans voir au moins fes manufcrits. Nous y fûmes le matin dans l'efperance de partir l'apréfdîné. Le Pere fuperieur nous reçut avec toute l'honnêteté poffible; il voulut même nous retenir à dîné, & nous regala parfaitement bien. Il nous fit voir les manufcrits qui font fort beaux & en grand nombre, & fur toutes fortes de matieres. Les principaux font un paftoral de faint Gregoire écrit il y a plus de mille ans, un volume de Tertullien qui comprend la plupart de fes ouvrages, les lettres de Pierre Abaillard, un Horace qui a prés de 800 ans, lés lettres du pape Clement IV.

En fortant de Troye nous allâmes à l'abbaye de Larivou, fondée du temps de faint Bernard. Ce Saint y établit pour premier abbé Alain, qui peu aprés fut élu évêque d'Auxerre, & aprés avoir gouverné faintement fon diocefe durant quelques années, il renonça à l'épifcopat, reprit les exercices de fon premier état, & voulut être enterré à Clairvaux lieu de fa profeffion. Quoyque nous fuffions dans l'été & qu'il fit affez chaud, nous prîmes cependant un guide à caufe des mauvais chemins qu'il faut paffer, capables d'arrêter des chevaux qui n'ont pas coûtume d'y paffer.

Lorfque nous y arrivâmes, le prieur étoit allé à la pefche, & nous regala à fouper du bon poiffon qu'il avoit pris. Nous vîmes cependant la maifon, & l'églife toute bâtie de briques & affez belle. Le retable de l'autel eft quelque chofe d'admirable. Il eft fait d'un jafpe de Venife; on y voit la vie de la Vierge en bas relief, d'un travail qui femble furpaffer l'art. Toutes les figures font admirables; y en a, fi l'on en croit monfieur Girardon le plus habile fculpteur de nos jours, qu'on ne payeroit pas leur pefant d'or. Le balluftre de la chapelle de S. Bernard & de la chapelle fuivante, eft d'un travail prefque femblable. On voit dans une autre chapelle un tableau de Michel-Ange, ou de Raphaël: c'est une defcente de la croix, où la fainte Vierge paroît auffi morte que fon fils, & trois autres femmes avec

il

des attitudes differentes. Les chaires du choeur reffentent la fimplicité du temps de faint Bernard, auffi-bien que l'ancien dortoir. Nous vîmes enfuite les manufcrits qui ne font pas en grand nombre, mais qui font affez bons.

Moutier

Le lendemain aprés dîné nous partîmes pour aller au monaftere de Moutier Ramé: & quoi qu'il ne foit qu'à une lieuë ramé, de là, les religieux nous donnerent un guide pour nous conduire, parce que les chemins font fi mauvais, qu'à moins d'en fçavoir tous les détours, il feroit difficile de s'en tirer. Tout le monde fçait que c'eft de Moutier-Ramé qu'étoit profés le fameux Nicolas de Clairvaux, qu'il en fortit pour le faire religieux à Clairvaux, qu'il fçût fi bien captiver l'amitié de S. Bernard, que ce faint abbé le fit fon fecretaire ; & qu'enfin abutant de la confiance qu'avoit en lui un fi bon maître, il tomba dans les derniers defordres, & même dans l'apoftafie. Aprés une chûte fi déplorable, il ne fit qu'errer jus qu'aprés la mort de S. Bernard, qu'il se retira en fon premier monaftere de Moutier Ramé, où par fon addreffe & la fubtilité de fon efprit, il fçut gagner l'amitié des grands du fiecle: heureux, fi par fa penitence, il avoit fçu gagner celle de Dieu. Lorfque nous arrivâmes dans ce monaftere, le R. P. Prieur vint nous recevoir, & pour nous faire honneur, il fit venir toute fa communauté pour nous faluer. On ne peut rien ajouter à toutes les honnêtetez qu'on nous fit & à Moutier. Ramé & dans tous les autres monafteres de la congregation de faint Vanne. Comme nous étions là, on nous dit une chose tout-à-fait furprenante, qu'il y avoit un enfant de cinq ans qui avoit paffé toute la rigueur effroyable de l'hyver tout nud, avec une feule chemife fur fon corps, qui n'avoit jamais voulu fouffrir que fes parens luy donnaffent

des habits. On voulut nous le faire voir; mais comme il étoit à un quart de lieuë & qu'il pleuvoit, nous ne pûmes pas y aller. Au reste nous n'avons rien vû de confiderable dans ce monaftere, finon que l'églife eft affez belle, & qu'on y conferve avec beaucoup de veneration le corps de faint Victor, duquel faint Bernard à compofé l'office, que nous avons encore dans fes. ouvrages.

Aprés deux jours de fejour à Moutier-Ramé le R. P. Prieur nous donna un religieux pour nous conduire à l'abbaye de Beau-lieu, d'où nous fumes à celle de Bafle-fontaine toutes deux de l'ordre des Prémontrez. Celle-cy eft fituée fur le bord

Baffe-fontaine.

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