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tant pleurer & fe tourmenter, lui dit Thalès, pour une perte qui ne peut être réparée par toutes les larmes du monde? Ah! répondit Solon, c'est cela même qui me fait pleurer; je plains un mal qui n'a point de remede. A la fin Thalès se prit à rire de toutes les differentes postures que faifoit Solon. O Solon, mon ami, lui dit-il, voilà ce qui m'a fait craindre le mariage ; j'en redoutois le joug, & je connois par la douleur du plus fage des hommes, que le cœur le plus ferme ne peut foutenir les afflictions qui naiffent de l'amour & du foin des enfans; ne t'inquiéte pas davantage, tout ce que l'on vient de te dire n'eft qu'une fable faite à plaisir.

Il y avoit eu pendant longtems une cruelle guerre entre les Athéniens & les Mégariens au fujet de l'Ile de Salamine. En

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fin après plusieurs carnages de part & d'autre, les Athéniens qui avoient eu du desavantage las de répandre tant de fang, ordonnerent une punition de mort contre le premier qui feroit affez hardi de propofer la guerre pour le recouvrement de Salamine, dont ceux de Mégare étoient en poffeffion. Solon craignit que s'il parloit, il ne fe fît se tort à lui-même, ou que s'il fe taifoit, fon filence ne fût defavantageux à fa patrie. Il prit le parti de contrefaire le fou, afin que fous ce prétexte il lui fût permis de dire & de faire impunément tout ce qu'il voudroit. Il fit courir le bruit par toute la ville qu'il avoit perdu l'efprit. Après avoir compofé quelques vers élegiaques qu'il apprit par cœur, il fortit de fa maison avec un vilain habit tout déchiré, une corde à fon col, un vieux

bonnet craffeux fur la tête : tout le peuple s'attroupa autour de lui. Solon monta fur la pierre d'où on avoit coutume de faire les proclamations publiques, & récita des vers contre fa coutu me: Plût aux Dieux, s'écria-t-il, que jamais Athénes n'eût été ma patrie; ah! je voudrois être né à Pholegandes ou à Sieine, ou dans quelque lieu encore plus affreux & plus barbare; au moins je n'aurois pas le chagrin de me voir montrer au doigt, & d'entendre dire: voilà un Athénien qui s'eft honteufement fauvé de Salamine. Vengeons promptement l'affront que nous avons reçû, & reprenons un séjour fi agréable, que nos ennemis nous retiennent fi injustement. Cela fit tant d'impreffion fur l'efprit des Athéniens qu'ils révoquerent auffi-tôt l'Edit qu'ils avoient fait; ils prirent les ar

mes & refolurent de faire la guerre aux Mégariens. Solon fut choifi pour commander les troupes, il s'embarqua avec fes gens fur plufieurs bateaux de Pêcheurs. Il étoit fuivi d'une Galere à trente-fix rames, & il mouilla affez près de Salamine. Les Mégariens qui étoient dans la ville s'apperçûrent de quelque chofe, coururent aux armes tout en defordre. Ils détacherent un de leurs vaiffeaux qu'ils envoyerent pour découvrir ce que c'étoit. Ce vaiffeau s'approcha de trop près, il fut pris par Solon qui fit auffi-tôt lier tous les Mégariens qui étoient dedans; il fit embarquer à leurs places les plus braves d'entre les Athéniens, & leur commanda de faire voile vers Salamine en fe- cachant le plus qu'ils pourroient. Solon prit avec lui le refte de ses gens & defcendit à

terre

terre par un autre endroit; il alla à la rencontre des Mégariens qui s'étoient mis en campagne, & pendant qu'il leur donna bataille, ceux qu'il avoit jenvoyés dans le vaiffeau arriverent & fe rendirent maîtres de la ville. Solon après avoir défait les Mégariens, renvoya fans rançon tous les Prifonniers qui avoient été faits dans le combat, & érigéa un temple à l'honneur du Dieu Mars dans le propre lieu où il avoit remporté la victoire. Quelque tems après, ceux de Mégare s'opiniâtrerent inutilement à vouloir recouvrer Salamine: Enfin on convint de part & d'autre qu'on prendroit les Lacedemoniens pour arbitres. Solon prouva devant les députés de Sparte, que Philus & Eurifaces, enfans d'Ajax Roi de Salamine, étoient venus demeurer à Athénes, & qu'ils donne

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