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EPITRE

A LA PARESSE.

Par Mademoiselle Du Lu.

Avril 1717.

Sur du repos, nonchalante Déeffe,

Plaifir parfait, féduifante Pareffe,
Divinité, dont les charmes puiffans
N'ont plus d'Autels, acceptez mon encens.
Puiffe Apollon affranchir mes pensées,
De tours gênés, d'expreffions forcées.
Dans un Ouvrage à vous-même adreffé,
Sens, Rime, il faut que tout foit enchaffé
Sans aucun Art; il faut que rien ne sente
Les dures Loix de la Rime gênante.
Je veux bannir tout ce vain attirail
De mots guindés qu'enfante le travail.
Sur tout, je hais ces nombreuses paroles,
Qui, décorant des Sentences frivoles
Par le fecours de leurs fons enchanteurs,
Sçavent charmer les ftupides Lecteurs.
Je ne veux point que l'auftére manie
Tome I. Partie II,

P

De la Cefure, arrête mon génie

Ni que jamais on puiffe fupputer

Combien d'efforts mes Vers m'ont pû coûter.
Si fous mes Loix, la rime obéiffante,
A mon esprit d'abord ne se présente,
Je laiffe l'œuvre, & par de vains détours,
Je ne vais point implorer fon secours.
J'aime à rimer, mais je fuis paresseuse,
Et vos plaifirs fçavent me rendre heureuse:
Or, commençons, Pareffe à qui mon cœur
Doit tous les biens dont il eft poffeffeur,
O que ne peut revenir chez les hommes,
Pour le bonheur de tous tant que nous fommes,
Ce tems heureux où l'on ne connoiffoit
D'autres plaifirs que ceux qu'on vous devoit !
Lorfque jadis, foigneux de fuir la peine,
L'homme fuivant une route incertaine,
Vivoit des fruits qu'il trouvoit fous fes pas,
Du lendemain ne s'embaraffoit pas ;
Et n'admettant ni bornes, ni partage,
Du monde entier faifoit fon héritage,
Sans fe laiffer folement agiter
D'un avenir qu'on ne peut éviter.
Telle de l'Homme étoit alors la vie,
Digne en effet de donner de l'envie
A tous les Dieux : auffi, bien-tôt jaloux
De fe trouver moins fortunés que nous,
Et connoiffant, ô divine Pareffe!

Que vous étiez la fource enchantereffe
De nos plaifirs, ils conclurent entr'eux
De vous ôter aux Mortels trop

heureux.

Il leur fembloit cependant impoffible,
Qu'on pût jamais de votre joug paifible
Les dégager; quel bien leur proposer
Qui les féduife? iront-ils s'abufer
Jufqu'à ce point, & fur notre parole,
Courir après une trompeuse Idole

De faux plaifirs; quand du matin au foir
Pour être heureux, ils n'ont qu'à le vouloir?
L'affaire fut avec poids agitée;

Mainte raison fut dite & rejettée ;
Ils difputoient dans le Confeil Divin,
Sans aucun fruit, quand Jupiter foudain
Imagina d'envoyer fur la Terre

Les Paffions vous déclarer la Guerre.
On applaudit, & pour notre malheur,
Ce fage avis fut trouvé le meilleur.
Au même inftant l'Avarice entourée
Des noirs foucis, dont elle eft déchirée,
Vint parmi nous, & fon aspect hideux
Chaffa la Paix, la Concorde & les Jeux.
Son front d'abord ofa, de la Prudence,
Prendre le mafque, & fous cette apparence,
Pour les corrompre, aux mortels étonnés
Elle prêchoit ces Dogmes erronés.
Pauvres humains, ef éce infortunée,

Pouvez-vous bien vivre au jour la journée,

Ne rien avoir, & ne rien réserver?
Si par malheur il alloit arriver
Que de l'Hiver l'extrême violence
De vos moiffons confondit l'espérance,
Ou que l'Eté, par fon aridité,

Séchât vos fruits presqu'en maturité.
Que feriez-vous? la mifere effroyable,
Avec fa fœur la Faim infatiable,
Se hâteroit bien-tôt de vous punir
D'avoir ofé négliger l'Avenir;
Il vient à vous, & le Préfent frivole,
Comme un éclair, difparoît & s'envole.
Tels étoient donc les difcours féducteurs,
Dont l'Avarice empoifonna les cœurs,
Chacun la crut; &, de trésors avide,
L'homme devint ingrat, dur & perfide;
N'étant jamais affez riche à fon gré,
De foins cuifans fans ceffe dévoré,
Pour amaffer, l'Injustice, le Crime,
Tout en un mot lui parut légitime.
Trop aveuglé de fa coupable Erreur,
De votre Culte il eut bien-tôt horreur;
Et vainement la fage expérience
Lui promettoit la Paix & l'Innocence:
Sous votre Empire, il perdit pour jamais,
En vous quittant, l'Innocence & la Paix ;
Mais cependant, malgré l'horrible Guerre

Que vous livroit ce monftre fur la Terre,
Il vous reftoit des aziles heureux :

Et quelques cœurs, lents à brifer vos nœuds,
Suivoient vos Loix; lorfque pour les détruire,
On vit les Dieux d'autres Monftres produire :
L'Ambition aux Défirs effrénés,

Et la Colère aux projets forcenés;
La Volupté, de remors poursuivie,
La Vanité, la Vangeance, l'Envie,
La Trahison, l'Orgueil, la Cruauté,
L'Amour, la Haine & l'Infidélité,
Vinrent en foule établir leurs Maximes.
L'une enfeignoit l'utilité des Crimes;
L'autre, l'oubli des Devoirs les plus faints;
Une autre enfin, forma les Afsaffins ;
Et pour jamais, fous le joug redoutable
Des Paffions, plia l'Homme coupable:
De leurs transports, Efclave infortuné,
A les fervir il fe vit condamné.

Ce fut alors qu'avec pleine puiffance
On vit régner le Trouble & la Licence:
On renverfa vos tranquiles Autels,
On vous bannit, & parmi les Mortels
On vous nomma Vice d'Esprit, Moleffe,
Foibleffe d'Ame, écueil de la Sageffe,
Poifon des cœurs. Il eft bien vrai qu'on vit
Depuis ce tems, votre Culte en crédit;
Que chez les Grecs, de fameux perfonnages

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