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voir. Les talens de l'un ne font utiles au Public que parce que le Public même peut être utile à fes deffeins: les fervices de l'autre font dégagés de tout défir de récompenfe, & payés par la fatisfaction intérieure de faire le bien. De fecrettes inquiétudes, des ménagemens incommodes, des attentions continuelles, fouvent inutiles, troublent toute la vie de l'un; l'autre voit couler fes jours dans une heureuse paix, & ne craint que ce qui pourroit donner atteinte à fa vertu. Après l'accompliffement de fes plus ardens projets, l'un voit fon bonheur lui échapper dans le fein de la poffeffion même ; il forme de nouveaux vœux pour ce qu'il n'a pas encore; il fe dégoûte de ce qu'il a eu tant de peine à obtenir, & pour tout fruit de fes travaux, il me fent fouvent que le poids accablant des remords: l'autre toujours heureux, toujours content de fon état,fe renferme dans fa vertu, & fait à fa Patrie le facrifice d'une fortune à laquelle il auroit pû afpirer. Enfin l'un eft confumé par l'ennui d'un tumultueux efclavage qui avilit la nobleffe de fa profef fion : l'autre goûte le plaifir d'une noble & vertueufe indépendance qui l'éleve au deffus de fa dignité même.

La fimplicité des Moeurs fait encore igno rer au Magiftrat ces timides ménagemens qui rendent les intérêts des Grands fi re

commandables, & ceux des Petits fi négligés. Peut-on foupçonner que ces retours fecrets de l'amour propre, que ces vûës de fortune pour foi ou pour fa famille, qui portent l'ame à défirer que la caufe la plus accréditée foit la plus jufte, & qui la féduisent quelquefois jufqu'à lui faire croire ce qu'elle défire, puiffent entrer dans un cœur qui ne connoît d'autre prix que fon devoir, qui ne regarde les plus illuftres Cliens qu'avec les yeux de la Juftice, devant qui toutes les conditions difparoiffent, & qui dans l'obéiffance parfaite qu'il rend & qu'il fait rendre au Souverain, fuit une loi fupérieure, aux Souverains mêmes, & ne reconnoît d'autre empire que celui de la raison & de la vérité qui l'affujettiffent aux Puiffances légitimes?

Nous ne parlons point de cette indigne corruption qui n'ose pénétrer dans les Tribunaux fupérieurs ; elle feroit regardée dans ces lieux facrés comme ces monftres hideux de la Nature, que l'on prend foin d'étouffer dès leur naiffance; mais il eft des vûës d'intérêt plus cachées, fur lefquelles la fimplicité des Moeurs nous éclaire & nous détrompe.

Telle eft cette difpofition fecrette à voir fans peine les incidens qui éloignent le jugement d'une conteftation, & en rendent la décifion plus ruineufe on s'oppofe avec

moins de fermeté à l'envie immoderée de multiplier les écritures, fous prétexte de mettre dans un nouveau jour des raifons déja trop redites: on ménage avec attention ces inftans fi précieux aux Parties, où leur fort est toujours malheureux dès qu'on décide avec lenteur: on regarde comme une poffeffion ou comme une efpece de patrimoine un Procès confidérable, & l'on fe plaint, comme d'une perte domeftique,de cette fage infpiration qui porte quelquefois les Parties, ou à terminer à l'amiable des conteftations qui n'ont déja que trop duré, ou à recourir à un Tribunal moins augufte, mais plus liant, qui par des voyes de conciliation & de douceur les engagent à diminuer de la rigueur de leurs prétentions, & terminent les différends en rapprochant & les interêts & les

cœurs.

C'est le fafte & le luxe qui multipliant les befoins, inspirent à l'ame ces indignes foibleffes: on ne les doit point craindre d'un Magiftrat qui fe renferme dans les bornes que lui prefcrit une fage fimplicité : content de ce que la Fortune lui a libéralement départi, ou fi elle le traite en mere injuste riche au moins par fa modération, il eft poffeffeur d'un bien toujours fuffifant à fes befoins, & fupérieur à fes défirs: heureux fi laiffant à fes defcendans le patrimoine de fes

Peres, accru feulement de fa réputation, il peut leur tranfmettre le mépris du luxe & du fafte, & leur apprendre par fon exemple, encore plus que par fes difcours, combien la fimplicité des Moeurs eft utile à la confervation des vertus de fon état.

Offrons encore à ce fage Magiftrat des motifs auffi intéreffans pour lui que fon propre bonheur, le bien de l'Etat même: le Magiftrat doit au Public non feulement la difpenfation de la juftice, mais encore l'exemple de la vertu. Le Peuple devient aifément imitateur de ceux qu'il refpecte: les foibleffes des Perfonnes que leur élevation expofe au grand jour, font plus dangereufes que les vices de ceux que leur fort cache dans Pobfcurité : plus le pouvoir s'accroît, plus Pattention à füir l'erreur doit fe redoubler, & les Peuples font véritablement heureux, lorfque des vertus fans nombre accompagnent une Puiffance fans bornes.

Après l'exemple des Souverains, il n'en eft point qui faffe plus d'impreffion fur l'efprit du Peuple que celui des Magiftrats: le Miniftre de la Juftice eft par fon état l'ennemi des vices qui peuvent troubler la Societé civile, l'interprête des Loix, & en même tems le cenfeur des défordres qu'elles condamnent or de tous les vices que le Magiftrat peut profcrire, il n'en eft point de

plus pernicieux que le fafte & la fauffe gran deur: l'efprit de fimplicité prévient tous les maux que ces paffions entraînent avec elles, & arrête ce poifon fubtil qui fe communique peu à peu à toutes les parties du corps de l'Etat, & qui par un feu fecret le mine & le détruit. Il n'en faut point douter: ces jaloufies odieufes entre les Perfonnes qui ne cherchent à s'élever les unes au-deffus des autres que par un vain éclat extérieur ; ces efforts redoublés pour foutenir un appareil faftueux que fouvent la Fortune ne permet pas, & que la raifon condamne toujours: ces chagrins cachés dans le fecret du domeftique, mais vifs & cuifans, qu'infpire l'impuillance de briller au gré de fa vanité: cét oubli criminel du bien public toujours facrifié à des vûës particulieres: cét afferviffement indigne à chercher les routes de la Fortune, quelquefois aux dépens de fon innocence: Tous ces vices, la ruine des familles, la perte des vertus, & par une fuite nécessaire, Ï'affoibliffement de l'Etat, doivent leur naiffance à l'amour du fafte, & ne peuvent être réprimés que par les Perfonnes publiques & par la fimplicité de leurs Mours.

On regarde l'éclat extérieur comme frivole, dès qu'il eft négligé par les fages: on ceffe de l'admirer quand on ne le voit point dans ceux que l'on respecte; le défir du bien

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