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public fuccede infenfiblement à la recherche de ce faux bien : le fervice de l'Etat devient alors l'affaire de toutes les conditions: il n'eft perfonne qui ne mette fon bonheur à travailler de fa profeffion à la grandeur du Prince & à la gloire de fa Patrie : le Public devenu alors le jufte difpenfateur de l'eftime, proportionne l'honneur qu'il fait, aux fervices qu'on s'empreffe de lui rendre. C'est ainfi que s'eft accrue cette puiffance fi redoutable des Romains: la fimplicité des Mœurs de leurs premiers Citoyens les a rendus plus recommandables encore que leurs victoires, ou plutôt elle produifoit en même tems, & leur grandeur, & leur fuccès; la magnificence & le fafte ont préparé leur ruine, & la décadence de leur Empire a été préfagée par l'éloignement des Moeurs anciennes.

Sans chercher des exemples étrangers, nos anciens Héros qui ont chaffé de l'intérieur du Royaume les fiers Ennemis de l'Etat, & porté le nom Français jufqu'aux extrêmités du monde, n'ont-ils pas puifé leur valeur & cét amour éclatant pour leur Patrie, dans le fein de la vie fimple & frugale: après avoir rempli l'Univers de leurs exploits, ils venoient jouir de leur gloire dans ces mêmes retraites qui leur avoient donné la naiffance, & dont la fimplicité bleffe peutêtre aujourd'hui les yeux de leurs fuperbes Defcendans.

Les Chefs illuftres des Compagnies fouveraines, les Sénateurs refpectables qui les fecondoient fi dignement, choifis quelquefois par des Souverains étrangers pour être arbitres de leurs différends: ces grands Magiftrats, l'honneur de ce Tribunal, qui par des décisions refpectées dans tous les fiécles, ont tranfmis jufqu'à nous le dépôt inviolable de ces fages maximes adoptées par les Ordonnances de nos Rois & confacrées par l'ufage & la pratique de tous les tems, ontils du leur gloire au luxe & au fafte; & notre délicateffe au contraire ne feroit-elle pas offenfée de ce que les Hiftoriens nous apprennent de la fimplicité de leurs Moeurs?

Jufques à nous la Magiftrature s'étoit préfervée de la corruption générale: elle a été l'unique azile où la fimplicité des Mours fembloit s'être retirée, & avec elle toutes les vertus qui l'accompagnent: des prétextes frivoles ont enfin alteré cette innocence digne des premiers tems, & balancé dans les efprits, les puiffans motifs de l'interêt du Magiftrat, de l'utilité publique & de l'e-xemple de tous les fiécles.

Plufieurs de ceux qui fortent de la vie privée pour être admis dans le fanctuaire de la Juftice, croyent que le fafte commence à leur être permis, s'imaginent être entrés dans un nouveau monde où tout doit fléchir

devant eux; ils ignorent furtout les vrayes prérogatives de leur état destiné à l'amour du Peuple & à l'utilité publique : ils affectent dans toutes les occafions d'en faire fentir la fupériorité: tout, jufqu'à leur propre accueil, leur paroît devoir changer : ils croyent furtout que la fimplicité dans les Mœurs les aviliroit, que c'eft l'obscure vertu d'une condition médiocre ou privée, & que l'extérieur brillant eft l'appanage des dignités d'autres fe perfuadent que ces marques de grandeur fervent à faire respecter la Juftice & le Souverain qu'ils repréfen

tent.

Mais peut-on regarder comme un véritable refpect qui puiffe nous flater, ces apparences vaines de foumiffion qu'attirent des dehors faftueux, & que le befoin ou l'envie de réuffir arrachent de ceux qui viennent demander des graces: le cœur dément bien-tôt ces témoignages frivoles, il eft jaloux de fon indépendance; plus on affecte l'air de domination, plus fa liberté lui devient chere, & pour fe dédommager de l'effort qu'il fe fait en diffimulant, il fe livre au plaifir d'abaiffer en fecret ceux qui exigent ces vains honneurs.

Il n'en eft pas ainfi de l'hommage que l'on rend à la fimplicité des Mours: c'eft un tribut légitime dont perfonne ne veut fe dif

penfer moins on paroît empreffé à le prétendre, plus le Public s'efforce à le payer par un refpect intérieur, feul digne d'un Magiftrat & infiniment préférable au vain étonnement que laiffe la magnificence.

Loin d'ici ces ames timides dans la recherche du bien, qui fans entrer dans l'examen de la vérité, fe font des vertus au gré de leurs paffions, ou se représentent la fimplicité des Mœurs fous une image effrayante qui les en rebutte, perfuadés qu'elle est toujours accompagnée d'une févérité austere, qu'elle écarte tous les plaifirs; & que fe confacrer à cette vertu, c'eft fe dévouer à la trifteffe & à l'ennui.

Le Magiftrat, il eft vrai, évite les plaifirs qui peuvent donner atteinte au goût précieux qu'il veut conferver pour la fimplicité des Mours: s'il ne craint pas de voir fuccomber fa vertu, il veut au moins lui épargner la fatigue du combat & l'amertume de la victoire: il fçait que l'éclat bruyant de la vanité éblouit pendant quelque tems l'imagination; & que dans ces momens l'efprit féduit & incertain va jufqu'à douter fi la raifon, qui nous écarte des objets extérieurs, peut nous en dédommager. Un des plus grands Philofophes de l'Antiquité nous a dévoilé ce fentiment de la Nature: en quittant les lieux où regnoit la fimplicité, le

retour

retour à la vie fimple lui paroiffoit plus trifle, & il nous apprend lui-même que s'il n'en fortoit pas moins vertueux, il en fortoit moins content & moins tranquille.

Mais n'eft-il de plaifir que dans le fafe? Le Magiftrat fimple dans fes Mœurs fçait en trouver de plus doux & de moins fujets aux importuns revers du repentir. L'amitié des Gens vertueux, les douceurs d'une fociété convenable, les amusemens mêmes de la vie champêtre dans ces intervalles, où fans manquer à fon devoir il lui eft permis de les goûter, & de ceffer d'être homme public; les momens d'un précieux loifir qu'il reftitue aux Lettres & aux autres Sciences; momens qu'il fe reprocheroit comme autant d'infi- · delités faites à l'étude de fa profeffion; s'il ne les prenoit fur le tems de fon délaffement qui appartient à l'homme & non pas à l'Etat; enfin tout ce qui eft capable de diftraire une grande ame & de la rendre plus propre aux foins qu'exige le bien public, forme les plaifirs innocens de la vie fimple: une trop grande févérité lui eft étrangere; fi elle l'ac compagne quelquefois, ce n'eft pas la fimplicité des Moeurs, c'eft le caractere particulier d'un Magiftrat qu'il en faut accufer.

Que celui donc qui n'a que de femblables prétextes à oppofer ceffe de fe trahir luimême; que fes yeux deffillés s'ouvrent à la Tome I. Partie II.

Q

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