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LETTRE

J

A MADAME DU**.

E ne vous écrirois pas de huit jours, Madame, peut-être de quinze, fi ce n'étoit le commencement de l'année. Vous ne m'aimez donc, me direz vous, que par maniere d'acquit? pardonnez-moi, plus que mes yeux, comme s'exprime Catulle; c'eft même trop peu que plus que mes yeux; plus que ma vie. Mais, fi je laiffois échaper cette faifon écrivante & refcrivante, fans faire mine de rien, vous me reprocheriez que dans ces féries, où les plus indifférens fendent la glace, je demeure froid & muet comme une Sole, & que cette conduite eft mal reglée. Je puis appliquer à la plus grande partie de mes Lettres, ce que Madame de Langeron difoit des vifites. Celles que je fais me fatiguent, celles que je ne fais pas m'inquiétent. Je ne puis me difpenfer d'écrire à tels & à tels. Je n'ai rien à leur dire, & il faut pourtant que je leur dife quelque chofe; & qui pis eft, que je change mon compliment à chaque Lettre. Les monta

gnes ne fe rencontrent pas, mais les hommes fe trouvent à tout bout de champ. Or file hazard affembloit deux ou trois de ceux à qui j'écris le premier de l'an, & qu'ils fe fiffent part de mes Lettres; quel crêve-cour pour quelqu'un qui jargonne le bel efprit au dire du monde, que cette miffive circulaire ? mais fi j'écris à nombre de perfonnes par formalité ou par devoir; quand je vous écris, c'est par goût, par plaifir, par fenfualité.....

Portez-vous beniffimò, Madame; voilà tout ce que je vous fouhaite. La fortune a fuffifamment pourvû au refte. Ce n'eft pas comme pour moi, dont la bonne femme a fait un galopin de landes. Prenez garde de lire un Lapin. Ils ne font point à plaindre ces Meffieurs les Lapins, à qui la Nature a donné des fourures fi commodes. Tous les hommes n'ont pas le moyen de s'habiller comme eux en hyver. Le mal que j'y trouve c'eft qu'ils ne puiffent pas mettre la fourrure en dedans comme les hommes, pour se tenir encore plus chaudement. En vérité la digreffion eft jolie. Vous fouvenez-vous, Madame, qu'amateur du Caffé, je n'en pouvois prendre, qu'il ne me mît le fang dans une extrême agitation. Aujourd'hui je fais rôtir, moudre & bouillir du feigle; je le prends enfuite, comme un Monieur,

à caufe de la reffemblance de couleur & d'un petit rapport de goût. Que ne puis-je abufer de la forte mon idée fur votre reffemblance. Mais vous êtes unique pour la beauté & pour l'efprit. Je tâche envain de m'y méprendre. Je ne puis être dupe de moimême, quoique je faffe. Vous avez tout ce que les autres ont de charmant, & perfonne n'a rien de vous. Ah! quand vous reverrai-je?

Ahi laffo! che poffo più che mirere

La Rocra lungè, ove il mio ben m'è chiuso?
Come la volpe, che'l figlio gridare

Nel nido oda de l'Aquila di ginfo,
S'aggira intorno, e non fà che fi fare,
Poiche l'ali non hà da gir là suso.
Exto è quel falfo si; tale è'l caftello,
Che non vi può falir, chi non è angello.

Del fur. d'Ar. c. 2. St. 44.

Je vous envoye, Madame, pour vos Etrennes un Sonnet & deux Epigrammes. Ce n'eft point de l'argent comptant, mais c'eft la monnoye de mon cœur.

Je fuis avec refpect, &c.

Des-Forges Maillard.

Bas-Poitou, aux Sables d'Olonne, ce 8

Janvier 1743.

S SONNET

A Madame ****. dont un des yeux eft privé de la vue par la petite Vérole, fans en être défiguré.

L'ER

'EFROI de la Beauté, le mal contagieux,
Monftre né de l'Enfer & de la jaloufie,
N'a pu défigurer les attraits d'Aspasie,
De la clarté du jour privant un de fes yeux.

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C'est toujours cét Objet, pour qui la main des

Dieux

Dans le corps le plus beau mit une ame choisie,
Sous un crêpe fatal fa prunelle obscurcie
Laiffe encor échapper mille traits gracieux.

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Largiliére, Rigaut, grands Peintres de notre âge,

Imitez à l'envi de fon charmant visage

L'un & l'autre côté, de profil, tour à tour..

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*

Faites-en deux Tableaux; & que votre Art fi deile

Par fes éforts vainqueurs des Chef-d'œuvre d'A

pelle,

Dans l'un peigne Vénus, & dans l'autre l'A

mour.

SEPIGRAMMES

Sur le même fujet, par le même.

Q

UOIQU'A l'un de vos yeux la clarté foit ravie,

Malgré la cruauté du fort;

L'un brille du feu de la vie,
Et l'autre parle après la mort.

I I.

Les Dieux qui vous ont fait la guerre, En vous privant d'un de vos yeux, Jaloux de leur éclat ont voulu la Terre que

N'eut qu'un Soleil comme les Cieux.

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