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Jean, du Verbe fait Chair, le Disciple chéri ;
Jean que la Galilée avoit long-tems nourri
Dans un état obfcur, & loin de l'Evangile,
Quand du fond d'une Barque indigente & fragile
L'Eternel s'éleva foudain avec éclat

Aux Loix de l'Evangile & de l'Apoftolat!
Ce fut lui que foutint une fublime étude
Dans l'horreur de l'éxil & de la fervitude
Nous devons ô Grand Saint à ta captivité
Ce Livre incomparable où la Divinité
Sous le voile facré d'emblêmes refpectables
Annonce au Genre Humain fes décrets redouta

bles,

Le Livre du Très-Haut à tes yeux

fut ouvert Dans fes divins décrets tu lus à découvert ; Mais d'un fi grand objet notre vue impuiffante Ne pourroit foutenir l'image éblouiffante;

Dans ces vers que je trace, offre donc à nos yeux, Des faits moins éclatans, qui nous inftruisent

mieux.

'Avant que d'un Tyran les fureurs meurtrieres Euffent condamné Jean à fouiller les carrieres, Ses mains qu'on employoit à d'indignes travaux, Avoient fait naître à Dieu mille Chrétiens nou

veaux.

Un d'entr'eux, jeune encore, éprouvoit plus qu'un autre

L'ardente charité de notre faint Apôtre :

Dans l'âge qui nous livre à de plus grands befoins
Ce tendre Profélite éxigeoit plus de foins.
C'étoit pour notre Saint une plante chérie,
Que d'un fuc tout divin la Grace avoit nourrie,

Et

que le Ciel encore faifoit fructifier,

Par le zele de Jean à la fortifier.

Aux emplois les plus faints, l'Apôtre le prépare:
Mais, que vois-je! le Ciel tout à coup les fépare:
A quel fort déformais feront-ils réservés !
Parmi quelques Chrétiens des troubles élevés
Appelle dans Ephese où regnent les allarmes
Le Saint que fon Disciple arrose de ses larmes.
Le Maître pénétré d'une fainte douleur,
Semble de ce jeune homme annoncer le malheur
Au nom de Jefus-Christ l'Apôtre le confie
A l'Evêque du lieu dont l'exemple édifie,
Mais qui fouffrant ailleurs ce qu'il condamne en
lui,

Sera pour ce jeune homme un inutile appui.
Notre Apôtre s'éloigne; & bien-tôt son absence
De fon cher Profélite altere l'innocence:
Ciel! que va devenir ce Dépôt précieux?
Un nuage s'éleve, il obscurcit les Cieux,
Je le vois, ce jeune homme affronter la tempête!
Des flots d'iniquité couvrent déja fa tête.
Infidele à fon Maître, oubliant fes devoirs,
Il monte par dégrés aux excès les plus noirs.
Flateurs pernicieux dont il eft la victime,

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Votre exemple applanit fa route vers le crime.
Jeuneffe, ainfi tu fuis le penchant criminel
D'une amitié fatale au falut éternel!

Le dirois-je ? & pourquoi prétendrois - je le taire ?

Le trait, quoiqu'odieux, peut être falutaire ;
Le Disciple de Jean, Citoyen détesté
Devient un meurtrier, un brigand redouté.
Le Lion échappé de son antre sauvage,
Dans les fombres forêts caufe moins de ravage
Que cét ingrat ne jette & de trouble & d'horreur
Partout où fa présence excite la terreur.

D'une feule crainte il eft faifi lui-même;
Non qu'il tremble à l'aspect de cét Etre suprême
Qui peut de fes forfaits vanger le genre humain ;
Mais il craint des boureaux l'impitoyable main.
De fes Concitoyens il fuit le voifinage,
Abreuvé de leur fang & nourri du carnage,
Il court dans un défert chercher l'impunité,
Les coupables mortels aiment l'obscurité.

Dans les fombres détours d'une aride montagne,
Sa troupe criminelle à l'instant l'accompagne,
De ces vils compagnons concurrens odieux
Il en eft devenu le chef audacieux.

Tandis que votre Eleve oubliant vos maximes, Compte honteufement fes momens par fes crimes: Que faites-vous, grand Saint, fur des bords étrangers

Votre cœur de l'ingrat ignore les dangers,
D'un funefte foupçon votre ame eft incapable,
Oui, vous l'eftimez trop pour le croire coupable,
Et cependant hélas ! qui pourroit en douter?
Vous feul l'aimez, partout il s'eft fait redouter.
Après avoir calmé dans Ephese allarmée
Les troubles d'une Eglife à fa perte animée,
Notre Saint fe hâtoit de revenir vainqueur :
Quel coup on va porter à son sensible cœur!
Un Difciple infidele a toute fa tendreffe;
Vers cét ingrat encore fa charité s'empreffe;
Qu'avez-vous fait, dit-il à l'Evêque effrayé
Du dépôt qu'en partant je vous ai confié?
Il eft mort; Ciel qu'entens-je? & par quelle dif-
grace:

Oui, réplique l'Evêque, il eft mort à la grace:
D'un nombre de brigands il a fuivi les pas,
Lui-même... quelle mort, & vous ne pleurez pas
(Dit l'Apôtre animé d'une fainte colere)
N'avez-vous pû fauver l'ame de notre frere?
En quels mains hélas! l'avois-je donc remis?
Le laifferois-je en butte à de tels ennemis :
Non, non, dès ce moment je cours brifer fa chaîne,
Je vais le dérober au torrent qui l'entraîne.
J'attends du haut des Cieux un fecours tout puif-

fant;

Tarder encore une heure à le rendre innocent, Ce feroit de plein gré se rendre fon complice,

Et voler fur fes pas au plus cruel fupplice.

Il dit, & pour remplir ce deffein important
Sur un Courfier agile il s'élance à l'instant.
Envain à l'arrêter l'Evêque ofe prétendre:

Laiffez-moi, dit le Saint, c'eft trop fe faire attendre,

Une ame eft en danger, Dieu compte les momens, Tout prêt à me punir de mes retardemens.

On voit après ces mots difparoître l'Apôtre, Dix-huit luftres complets accableroient tout autre; Mais de ces jours nombreux le pénible fardeau Semble lui redonner un courage nouveau.

Ainfi qu'un vieux Pasteur, à qui dans la prairie
Le loup venoit de ravir une brebis chérie,
De l'âge qui l'oppreffe oubliant tout le poids,
Pourfuit le raviffeur jufqu'au fond des bois,
Son zele l'enhardit à franchir les brouffailles,
Il force l'ennemi jufques dans fes murailles :
Et l'amour du troupeau ranimant sa valeur,
Il recouvre le vol & punit le voleur.

Tel eft le faint Apôtre emporté par fon zele,
Il va rendre à l'Eglife un Sujet infidele,
Des chaînes de l'Enfer il court le dégager.
O prodige! un Vieillard franchit d'un pas léger
Les ruiffeaux, les rochers, les fleuves, les cam-
pagnes,

Et fe fait jour enfin dans les fombres montagnes,
Qui dans les noirs replis de leurs détours affreux

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