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Cachent de ces brigands l'azile ténébreux:
Le Ciel trace à l'Apôtre une facile voye,
Ce moment vous présenté une nouvelle proye;
Ouvrez-lui votre féin, antres qui refferrez
De tout le fang humain des Tigres altérés !
Ou plutôt, admirez un miracle incroyable :
De vos hôtes cruels le chef impitoyable,
De l'abyme infernal par Saint Jean dégagé,
En docile mouton fera bien-tôt changé.

Le Saint, de ces brigands aborde la retraite :
Un Garde en ce moment l'apperçoit & l'arrête;
Faites-moi, dit le Saint, d'un ton noble,mais doux,
Parler au jeune Chef qui domine fur vous ?
Allez : je ne crains point que mon abord le bleffe...
A ces mots qu'accompagne une fainte noblesse,
Lé Sentinelle admire un Vieillard dont l'aspect
Le faifit à la fois de crainte & de respect.
Le Garde cependant femant partout l'allarme,
On s'étonne, on s'empreffe, on délibere,on s'arme,
Leur Chef eft à leur tête, il fe montre: Grand Dieu!
Quel prodige s'opere en ce profane lieu,
Le Chef entreprenant de ces hommes coupables
Que de mille forfaits l'Enfer rendit capables,
Le lâche déferteur de la Divine Loi,

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Qui répandoit partout ou la mort ou l'effroi,
Frappé, devant le Saint, d'une crainte imprévue
Ne peut en foutenir la trop puiffante vûë.
Ce mortel redoutable aux humains d'alentour,

A l'afpe&t d'un Vieillard, tremble & fuit à fon tour.
En voyant l'Epervier, la Colombe craintive
Se dérobe au trépas d'une aîle moins active
Que cét ingrat n'évite à pas précipités
Les reproches fanglans qu'il a trop mérités.
O pouvoir de l'Apôtre ! il n'a fait que paroître,
Et foudain le Disciple a reconnu fon Maître ;
Que fera-ce auffitôt qu'il entendra la voix,
Qui des Loix du Très-Haut l'inftruifit autrefois!
Pourquoi me fuyez vous (dit le Saint tout en
larmes

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''A ce cher criminel dont il voit les allarmes)
Suis-je un fier ennemi prêt à vous infulter?
Un Vieillard défarmé fe fait-il redouter?
Qu'offre-t-il à vos yeux qui puiffe vous abattre ?
Ce n'eft que par les pleurs qu'il prétend vous com-

battre,

Le Ciel n'a point fur vous épuifé ses bontés;
Efperez tout, mon fils, mon cher fils, arrêtez:

C'eft un pere empreffé, c'eft Dieu qui vous en prie.

En proférant ces mots où fon ame attendrie Peint dans les mouvemens dont il est agité D'un Apôtre zelé l'ardente charité,

Notre Saint oubliant le poids de fon grand âge, Joint les faits au difcours, pourfuit avec courage Ce jeune fugitif à qui mille forfaits

Du célefte couroux font craindre les effets.

Mais tandis que le Saint s'obstine à sa poursuite, Dans ce nouveau combat de recherche & de fuite, De crainte, de refpe&t & d'attendriffement, Chaque pas eft marqué par un faint mouvement Qui fait briller en l'un le zele qui l'enflâme, Et que l'autre reffent jufqu'au fond de l'ame. Le criminel enfin cede au zele vainqueur Excité par le Ciel pour lui toucher le cœur. Il s'arrête, il foupire, & fes yeux tout humides Ne jettent fur le Saint que des regards timides: Quelque tems vers le Ciel ils paroiffent fixés, Puis ils font tout-à-coup fur la terre abaiffés, Comme indignes qu'ils font, ayant vû tant de cri

mes,

De contempler encor ces demeures fublimes
Où dégagé des fers de toute indignité,
L'homme fe réunit à la Divinité.

Quel fpectacle! l'Apôtre eft pénétré de joye,
Par de nouvelles pleurs fon ame la déploye.

Le Disciple a jetté les armes que ses mains Guiderent fi fouvent à des coups inhumains; Dans les bras de l'Apôtre il s'élance, il l'embraffe: Mon pere, c'est donc vous! quoi, j'obtiendrois ma grace!

Quoi Dieu, par mes forfaits juftement irrité,

Me laifferoit encor espérer fa bonté !

Je pourrois le fléchir : non, non, mon cœur s'é

gare;

Je vois les châtimens que le Ciel me prépare,
J'en éprouve déja la trop juste rigueur....

Il dit, & fous le poids d'une affreufe langueur
'Abbatu, consterné, ce malheureux coupable
Paroît de tout espoir déformais incapable,
Mais quelle eft, ó grand Dieu, la conduite fur nous,
Jean voit fon pénitent tomber à fes genoux.
Des habits de la mort fon ame eft dépouillée,
Il cache aux yeux dú Saint sa main droite fouillée
De ces crimes connus de la terre & des Cieux
Où l'avoit engagé fon cœur audacieux.
L'Apôtre la faifit cette main criminelle,
Il la baife avec joye: ô faveur folemnelle,
Vrai figne de la paix qu'en cét heureux inftant
L'Etre fuprême accorde au pécheur pénitent!
L'Apôtre à fon Disciple en donne un nouveau
gage

Dans les traits confolans de ce divin langage;
Aux douceurs de l'efpoir pourquoi vous refuser ?
Dieu vous parle, mon fils, eh qui peut épuiser
Les immenses tréfors de fa miféricorde?

Ces
rayons bienfaifans qu'à nos chants il accorde
Font éclater fa gloire & briller fa grandeur
Autant que les éclairs annoncent fa fplendeur.
Oui, quel que foit l'horreur des crimes de la terre,
C'est toujours à regret qu'il lance le tonnerre:
Le Très-Haut Créateur de tout le Genre-humain

Sur fes fils. à regret appésantit sa main.

Ah! fi tous les pécheurs étoient frappés du foudre,

Quel mortel ne feroit foudain réduit en poudre ?
Mais le fang de Jefus eft une forte voix

Qui s'éleve pour nous de l'Arbre de la Croix;
La mort du fils fléchit la colere du

pere:
Si l'on redoute l'un, par l'autre l'on efpere.

Croyez donc, ô mon fils (ajoute avec transport L'Apôtre pénétré d'un zele encor plus fort) Que fi votre falut de mon fang peut dépendre, Croyez que votre pere eft prêt à le répandre : Oui, je le verferois pour toucher votre cœur, Pour l'arracher au crime & l'en rendre vainqueur, Souffrez que derechef à Dieu je vous enfante....

Quel zele! quel discours! la grace triomphante Sur ce couple attendri defcend du haut des Cieux. Le Disciple recouvre un repos précieux, Il voit füir loin de lui les images funebres. Le Dieu qui fe livroit à d'épaiffes ténebres, Faifant agir pour lui fon pouvoir fouverain, Fait luire fur la tête un jour pur & serain.

L'Apôtre de nouveau l'embraffe & le careffe
Le Disciple, à fon tour, vers l'Apôtre s'empreffe
Et tous deux fur la terre humblement profternés,
Béniffent le Très-Haut dont les coups fortunés,

En ouvrant dans nos cœurs une fource de larmes,
Tire notre repos du fein de nos allarmes.

L

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