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luy dans fon cabinet; & que même elles étoient d'ancienne Edition: je reffentis bien du plaifir d'avoir trouvé un Livre que je fouhaitois voir depuis long-tems, & que je croyois tres-rare & tresdifficile à trouver. Je ne tardai guéres auffi fans aller rendre vifite à ce Gentil-homme, qui me mit incontinent entre les mains fon Livre des Prophéties de Noftradamus.

Je m'étois d'abord figuré que ces fortes de Prophéties étoient à peu prés de la nature de ces Almanachs qu'on voit courir par la France; Que les perfonnes, les lieux, & fur-tout les temps des évenemens y étoient spécifiez & déterminez en un ftyle intelligible. Mais je me trouvai bien furpris à la premiere ouverture que j'en fis, de n'y voir aucun ordre pour le temps; Que tout y étoit dans une étrange confufion, &

encore la plupart enveloppé d'u ne profonde & prefqu'impénétrable obfcurité, fous des termes generaux & équivoques, qui me paroiffoient tres- propres à eftre appliquez à des fujets tout differens & contraires. Si bien que j'en jugeai d'abord, comme beaucoup de perfonnes de bon fens & d'efprit ont accoûtumé de faire que ce Livre n'étoit qu'un vain & inutile amufement d'efprit; ou que tout au plus il n'étoit propre qu'à ceux qui ne fçavoient à quoy paffer leur temps.

Dans cette penfée, & fuivant ce premier raifonnement, je remis aufli-toft ce Livre entre les mains du Gentilhomme qui me l'avoit prefenté; &, en le remerciant de fon honnefteté, je luy dis que je n'avois pas de temps à perdre, pour m'amufer à une lecture que je croyois n'eftre qu'une pure badinerie, fur-tout ayant

(comme j'avois alors fur les bras) d'autres études, que j'eftimois infiniment au-deffus de celle-là. Je laiffai donc là ce Livre où je l'avois trouvé, & je m'en revins chez moy, dans le deffein de n'y penfer jamais davantage.

Cependant comme les affaires de ce monde ne font pas toûjours dans une même fitüation, & qu'il arrive souvent du changement dans les hommes, auffi-bien que dans les autres chofes: la mort de mon pere qui arriva fur la fin de cette même année, me donna tant de chagrin, qu'elle m'ôta la liberté de mes études accoûtumées; jufques-là même, que pour adoucir & charmer en quelque façon mes déplaisirs, je crus que jene pouvois mieux faire que de redemander le Livre des Prophétie de Noftradamus; tandis que le temps, qui eft le fouverain Medecin des maladies de l'ame qui

naiffent de trifteffe, diffiperoit peu à peu tout mon chagrin, & me remettroit infenfiblement l'ef prit en état de reprendre mes études ordinaires; vu principa. lement que dans ma petite folitude je n'avois pas grande provifion de Livres à choisir.

Ayant donc pris cette refolution, je retournai en même tems chez mon Gentilhomme, pour le prier de me remettre encore une fois fon Livre entre les mains, C'est auffi ce qu'il fit au même inftant dans l'efperance que quand je l'aurois lû, je luy en dirois me petits fentimens.

En effet, m'étant retiré le foir aprés foupé dans ma chambre, afin de m'y bien prendre, & de le faire avec tout le fuccés poffible: je jugeai à propos de lire les Préfaces préalablement à tout le refte, pour tâcher de découvrir par là le but ou le dessein,

auffi.bien

que le génie de l'Auteur. Je commençai donc par l'Epiftre à fon fils Cefar, où je ne reconnus d'abord qu'un galimathias, femblable au difcours que feroit un extravagant, qui faute (comme on dit) du cocq à l'âne, fans qu'on y puiffe quafi trouver ni fonds ni rive. Je me fentis mê me choqué, & tout à fait fcandalifé de ce que presque dans toute cette Epiftre l'Auteur ne parloit que de révélations, affurant que tout ce qu'il avoit prédit étoit d'infpiration divine, & lui avoit été revelé de Dieu. Je ne pouvois fouffrir qu'un homme comme lui se donnât des airs de cette forte, Je paffai enfuite à l'Epiftre à Henri II. & je vis qu'il infinuoit de temps en temps la même chofe; mais en termes moins formels, je veux dire plus couverts & plus modestes.

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Il est bien vrai que ce qui me

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