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Par un (1) acte de décembre 1339, que l'on peut regarder comme la confommation de cette grande affaire, Philippe de Valois, & le roi & la reine de Navarre, fe donnèrent une quittance réciproque de tout l'argent qu'ils pouvoient fe devoir les uns aux autres. Malgré un traité folemnel, & la renonciation formelle & précise du roi & de la reine de Navarre à la Champagne & à la Brie, Charles le Mauvais, leur fils, conferva toûjours, fur ces provinces, les prétentions qui furent le motif fecret ou le prétexte des troubles qu'il excita dans la France pendant tout le cours de fa vie.

Le roi Jean unit la Champagne & la Brie à la couronne, par fes (2) lettres du mois de novembre 1361. Elles n'empêchèrent pas le roi de Navarre de persister dans fes chimériques prétentions: il paroît même qu'il les tranfmit à Charles III, roi de Navarre, fon fils aîné; car dans les (3) lettres du 9 de juin 1404, par lefquelles Charles VI donna le duché de Nemours à ce roi de Navarre, il eft dit que ce don lui eft fait en confidération de fa renonciation à tous les droits qu'il pouvoit avoir à caufe des fucceffions de fon père & de fa mère, fur la Champagne & la Brie, & fur le comté d'Evreux, &c. On peut regarder ces lettres comme l'époque de la fin des prétentions de la maifon de Navarre fur la Champagne & fur la Brie; & je ne crois pas qu'il y ait de preuves qu'elle les ait renouvellées depuis ce temslà.

Après avoir rendu compte du fondement & de la nature des prétentions de Charles le Mauvais fur la Couronne & fur la Champagne & la Brie, je paffe aux circonstances de la vie de ce prince, qui ont rapport aux troubles qu'il excita en France.

(1) Preuves de l'hiftoire du comté d'Evreux, p. 49%

(2) Elles font à la p. 212. du 4° vol. des ordonnances des rois de France de la 3o race.

la

(3) Elles font à la p. 11. du 9o vol, des ordonnances des rois de France de 3o race.

J'ai déjà dit, ci-dessus, qu'il naquit à Evreux en 1332. Il avoit dix ans ou environ lorfqu'il perdit fon père, qui mourut le 16 de feptembre 1343 (1). La garde & le gouvernement de ce jeune prince & de tous fes biens appartenoient de droit à Philippe de Valois; mais il les * Pr. p. 22. céda à la reine de Navarre, douairière, par fes a lettres du 12 de décembre 1344: elle mourut le 6 d'octobre 1349. (2) Philippe de Valois devint, par fa mort, garde du jeune roi de Navarre (3), que le roi Jean Pr. p. 23. déclara majeur par fes b lettres du 12 de février 1351, par lesquelles, en conféquence, il lui permet de jouir de tous fes revenus qui pendant fa minorité avoient appartenu aux deux Rois, fous la garde desquels il avoit été. Cette même année, Charles, roi de Navarre, étoit lieutenant du Roi dans le Languedoc. La France étoit alors partagée en lieutenances du Roi, comme elle eft aujourd'hui divifée en gouvernemens mais le pouvoir des lieutenans du Roi étoit plus étendu que celui des gouverneurs.

Je n'ai point trouvé les lettres de provisions de lieutenant du Roi données pour le roi de Navarre: mais il m'a paffé par les mains plufieurs lettres données par lui en cette qualité. Celle dont la date eft la plus ancienne, eft du (4) 12 d'août 1351, & celle dont la date eft la plus moderne, eft du (5) 22 d'octobre fuivant. Je ne fçais s'il fut encore long-tems depuis lieutenant du Roi : mais il eft du moins certain qu'en avril 1351, (6) il étoit présent à un conseil du Roi qui se tint à l'abbaye

(1) Hiftoire généalogique de la maison de France, t. 1. p. 282.
( 2 ) Hift. généalog. de la maison de France, t. 1. p. 282.

(3) Voyez à la p. 23. des preuves, les lettres de Philippe de Valois du février 1349.

(4) Tréfor des chartres, registre 81. piéce VIIIXXVII. [ 167].

(5) Ibid. piéce x1**у. [227]. Ces deux lettres ont été données à Tou loufe.

XX

16) Hid. piéce x1 xx xv. [ 35 ]

de

de Bonport [en Normandie ]. Il y a grande apparence qu'il quitta la lieutenance du Roi vers la fin de l'année 1351, lorfqu'il vint à la cour pour époufer Jeanne de France, fille du roi Jean (1). Če mariage fe fit en effet cette année; mais on n'en fçait pas la date précise. Le P. Ange dit que ce fut avant carême-prenant ( 2 ).

a

Il eft du moins certain que Charles le Mauvais étoit marié le 11 de mars 1351, puifque, par des a lettres Pr. p. 25. datées de ce jour, le Roi donne des affignations à Charles de Navarre pour prendre fur le tréfor, en différens payemens, cent mille deniers d'or à l'écu, qui lui avoient été promis par le traité de fon mariage avec la fille du Roi, qui eft qualifiée dans ces lettres reine de Navarre (3).

Mais à la fin de ces lettres, il eft dit que le roi de Navarre recevra ces 100000 écus fur fes quittances, fans qu'il foit tenu de rapporter le traité, accord & promesse de cette fomme. Cette claufe étoit néceffaire, parce qu'en effet il n'y avoit point eu de contrat de mariage, ou du moins on ne l'avoit pas donné au roi de Navarre; en forte qu'il n'avoit aucun titre en vertu duquel il pût exiger cette fomme. Ce fut dans la fuite un de ses sujets

(1) Hiftoire généalogique de la maifon de France, t. 1. p. 108. 284.

(2) On peut préfumer que ce mariage fe fit avant le 12 de février: car dans les lettres d'émancipation du roi de Navarre, datées de ce jour, def'quelles j'ai parlé un peu plus haut, le Roi le nomme fon fiis, terme qui défigne les gendres; au lieu que Philippe de Valois, dans les lettres du 8 de février 1349, defquelles j'ai parlé un peu plus haut, l'auroit appellé fon frère. D'un autre côté l'on pourroit dire que le roi de Navarre n'étoit pas marié le 12 de février 1351, puifqu'on lui donnoit des lettres d'émancipation: car en France le mariage émancipe de droit. Inftitu. Coutume de Loyfel, l. r tit. 1. art. 38. p. 61. du 1, 1,

(3) Le Roi fit encore à Charles le Mauvais, en faveur de ce mariage, d'autres avantages. Dans un difcours que fit, en 1397, l'évéque de Pampelune, dans le confeil de Charles VI, en faveur du roi de Navarre, fils ainé & fucceffeur de Charles le Mauvais, il dit que la femme de celui-ci avoit eu en dot de grands biens en Normandie. Voyez l'hiftoire de Charles VI. par un moine anonyme de S. Denys, p. 364. Voyez auffi, preuves p. 26, des lettres du 19. de mars 1351.

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de plainte contre le roi Jean; & dans le traité de Mantes conclu entr'eux en 1353, & duquel je parlerai dans la fuite il fut dit que les lettres du mariage de Charles lui feroient faites & délivrées. On lui avoit auffi promis, en faveur de ce mariage, 12000 livres de terre, mais on ne s'étoit point preffé d'en faire l'affignat & l'affiette. Le même traité de Mantes porte qu'elle fera faite dans le Cotentin. Il y avoit une autre difficulté, qui étoit de fçavoir fi ces 12000 livres de terre étoient à parifis ou à tournois. Il fut dit, par le même traité, que l'on fuivroit, fur ce point, ce qu'on trouveroit avoir été réglé dans le contrat de mariage de la princeffe Jeanne fille du Roi & du (1) duc de Limbourg (2).

On vient de voir que Charles le Mauvais étoit indifpofé contre le Roi,qui n'exécutoit point ce qu'il lui avoit

(1) Ce duc étoit mort le 20 de novembre 1349, avant que ce mariage eût été célébré. Voyez l'hist. généalog, de la maison de France, t. 1. p. 108. (2) Sous cette année 1351, pendant laquelle Charles de Navarre étoit fi fort dans la faveur du roi Jean, qu il l'avoit fait fon lieutenant dans le Languedoc, & qu'il lui avoit donné fa fille en mariage, on trouve dans le Rymer [t. 5. p. 716. ] les articles préliminaires d'un traité arrêté entre les députés des rois d'Angleterre & de Navarre, & dans lefquels il eft porté que celui-ci reconnoîtra le roi d'Angleterre pour roi de France. Ce traité est du premier d'août M. ccc. L. & l'une : cela eft ainfi écrit. Mais en examinant les claufes de ce traité, avec attention, la date m'en eft devenue suspecte; ou plutôt je puis affurer qu'il eft certain qu'elle eft fauffe, & qu'il eft impoffible que ce traité ait été conclu en 1351.

Je vais plus loin, & je crois pouvoir démontrer & par l'hiftoire & par la date méme du traité, qu'il faut le rapporter à l'année 1358.

Ce fera donc fous cette année que je rendrai compte de ce qu'il contient, & je me contenterai de rapporter ici les claufes d'où je tirerai les ce que je viens d'avancer.

preuves de

Je ne m'arrêterai point à ce qui eft ftipulé dans ce traité pour les intérêts de la reine Blanche ['elle étoit fœur du roi de Navarre & veuve de Philippe de Valois] quoiqu'il ne paroiffe point qu'elle fût brouillée avec la cour en 1351; au lieu qu'en 1358, elle prit hautement le parti de fon frère qu'elle reçut dans Meleun, qui lui appartenoit, & à qui elle mit tout ce qu'elle avoit en abandon, fuivant Froiffart, [ 1. 1. ch. 188. p. 213. Voyez auffi le fecond continuateur de Nangis, p. 121. Chronique de S. Denys, t. 2 fol. 185. ro. col. 2 ].

Mais il eft dit à la fin de ce traité que ceux qui tiennent des places en Normandie & ailleurs, les garderont, à l'exception des ponts & places de Poiffy & de S. Cloud, & des autres fortereffes qui ont été prifes dernièrement, & depuis que le roi de Navarre a mandé aux députés du roi d'Angleterre de le venir trouver, lefquelles places ces députés engagent de faire rendre.

promis en lui faisant époufer fa fille, & qui même n'avoit pas encore fait rédiger le contrat de mariage par écrit. Il fe plaignoit auffi de ce que l'affaire du dédommagement promis à fa mère pour la Champagne & la Brie, n'étoit pas encore entièrement confommée ; & il paroît en effet, par des actes dont je parlerai dans la fuite, qu'on ne se preffoit pas de lui faire raison fur toutes ces demandes qui étoient cependant bien fondées.

A ces premiers fujets de mécontentement fe joignit la haine implacable qu'il avoit contre le connétable Charles d'Efpagne, laquelle ne pouvoit manquer de réjaillir fur le Roi dont il étoit le favori.

Les faits dont il eft parlé dans cet article ne peuvent être arrivés en 1351, & ont un rapport manifefte avec ce qui se passa en 1358.

Certainement les Anglois ne vinrent point, en 1351, auprès de Paris, & ne furent point à portée de s'emparer de Poifly & de S. Cloud. H n'y eut point de guerre en Normandie; & en général les expéditions militaires ne furent ni fréquentes ni importantes pendant le cours de cette année. Froiflart [ liv. 1. ch. 153. p. 175. qui ne parle prefque que de la guerre, ne fait mention que d'un feul combat qui fe donna en Xaintonge. Mais, en 1358, le roi de Navarre, qui avoit introduit les Anglois dans Paris, fe brouilla avec les habitans, en fortit le 22 de juin [ Chron. de S. Denys, t. 2. fol. 182. ro. col. 2.] & alla demeurer à S. Denys: les Anglois quittèrent auffi Paris & fe retirèrent à S. Cloud [ ibid. fol. 184, 1°. col. 1. & 2. ] où les Parifiens allèrent les attaquer le jour de la Magdelaine. On trouve auffi que, vers ce tems-là, les Anglois s'emparèrent de Poiffy: enfin le troifiéme d'août, le roi de Navarre envoya de nouveau déclarer la guerre au régent, avec qui il avoit fait la paix quelque tems auparavant [ibid. fol. 185. ro. col. 1. ], & cette déclaration fut fans doute la fuite du traité qu'il avoit conclu le premier d'août, deux jours auparavant, avec les céputés Anglois qu'il avoit fait venir à S.Denys, de S. Cloud où ils étoient. Ces faits fe lient parfaitement bien & ont un rapport visible avec ceux qui font rapportés dans le traité; l'on ne peut donc douter que ce traité n'ait été fait en 1358.

Peut-être n'eft-il pas impoffible de deviner comment il s'eft pû faire qu'il foit daté, dans le Rymer, de l'année 1351. La date y eftainfi imprimée : l'an de grace M. CCC. cynquante & l'une. Or LVIII, en chiffres romains, s'écrivent prefque avec les mêmes caractères que le mot l'une. Pour écrire LVIII, en chiffres romains, il faut une L, un V & trois III. ou jambages: pour écrire l'une, il faut unel', un u, une n, qui eft composée de deux jambages, & un e, & il est très-facile que le copifte ait pris pour un e le dernier jambage de LVIII, qui pouvoit être un peu couché. Ce copiste ayant donc lû M. CCC, & l'une,au lieu de MCCC, & LVIII. & lui ou l'éditeur s'étant apperçu que ce traité ne pouvoit être de мccc & 1, aura ajoûté le mot cynquanie, & aura mis MCCC cynquante & l'une. ]

Il faut donc renvoyer ce traité à l'année 1358.

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