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Charles de Caftille, dit d'Espagne, étoit petit-fils de Ferdinand, dit de la Cerda, fils aîné d'Alphonse (1) rọi de Caftille. Ferdinand étant mort avant fon père, Alphonse son fils aîné fut privé de la couronne qui fut ufurpée par Sanche dit le Brave; fon oncle Alphonfe se retira en France où il prit la qualité de roi de Caftille dans plufieurs actes. Il fut père de Charles Ferdinand de la Cerda, qui avoit époufé Blanche fille de S. Louis, & par conféquent fes defcendans touchoient de près à la maifon royale de France. Charles d'Espagne (2) avoit été élevé dès fon enfance auprès du roi Jean, & (3 ) il avoit mérité la confiance, l'amitié & la tendreffe de ce prince, par , par fon attachement à fa perfonne & par fes belles qualités. Il eft dit, dans la dépofition de Friquet, de * Pr. p. 53. laquelle je ferai fouvent ufage dans la fuite, que a c'étoit la perfonne du monde que le Roi aimoit mieux. Corneille Zantfliet dit, dans fa chronique b Charles d'Espagne étoit plein de courage, & que le cordialiter. Roi l'aimoit de tout fon coeur, foit parce qu'il avoit été élevé auprès de lui, foit à caufe de fa probité; & cet auteur répète trois fois, dans l'efpace de dix ou douze lignes, que c'étoit un parfaitement honnête homme. *L. 3. ch. 95. Matthieu Villani d le dépeint dans fon hiftoire comme un cavalier accompli à qui il ne manquoit rien du côté de la valeur, de la vertu, de la nobleffe du cœur & des fentimens, de la générofité & des belles manières : il n'oublie pas même fa beauté. Le Roi, ajoûte-t-il, avoit pour lui un amour finguliere: il préféroit fes conseils à ceux de tous les autres feigneurs, & ceux qui f vouloient mal parler [ ce font fes termes] faifoient un crime au Roi de l'amour défordonné qu'il avoit pour ce jeune 8 Ibid. 1. 6. e. 24. homme. Il répète dans la fuite & que le Roi, fuivant les

P. 219.

b P. 250.

* fingulare amore. £ qui chi voleva mal parlera.

R. 368.

(1) Hift. généal. de la maifon de France, t. 6. p. 161. 162.

(2) Hiftoire d'Angoulème, par Corlieu, p. 107.

, que

(3) Matthieu Villani, liv. 3. ch. 95. p. 219. Second continuateur de Nangis, p. 112. col. 2.

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bruits publics, avoit un amour défordonné pour Charles d'Efpagne. Le Roi le combla d'honneurs & de biens. Raoul de Brienne, comte d'Eu & de Guines, connétable de France, ayant eu la tête coupée le mardi 16 de novembre 1350 (1), le mois de janvier fuivant le Roi fit Charles d'Espagne connétable. Il en avoit déjà fait les fonctions pendant que le connétable d'Eu avoit été prifonnier en Angleterre (2). Le Roi lui donna auffi une partie des biens du connétable (3). En 1351 (4) il lui fit époufer Marguerite de Blois, dame de l'Aigle. Elle étoit nièce du Roi à la mode de Bretagne : car Charles de Blois, duc de Bretagne fon père, étoit fils de Marguerite, fœur de Philippe de Valois.

Le 23 de décembre 1350, depuis le fupplice du connétable d'Eu, & avant la nomination de Charles d'Espagne à cette charge, le Roi lui donna ( 5 ) le comté d'Angoulême & les châteaux de Bénaon & de Frontenay-l'abbatu, lefquels, comme on l'a vû ci-dessus, avoient été affignés à Philippe, roi de Navarre, & à Jeanne fa femme, pour le payement de 3000 livres de rente que Philippe de Valois leur avoit données, par le traité fait entr'eux.

a

Ce don fut confirmé par d'autres lettres (6) du mois d'octobre 1352. Mais on apprend, par des a lettres de Preuves, p. 5630 Philippe de Valois, données le deux d'octobre 1349

quatre jours avant la mort de Jeanne, reine de Navarre,

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• qu'elle avoit fait un échange du comté d'Angoulême,

(1) Froiffart, liv. 1. ch. 153. p. 175. Chron. de S. Denys, t. z. fol. 64. r. col. 1. Ces deux auteurs font conformes dans la date du 16 de novembre. Je ne fçai fur quelle autorité il eft dit dans l'hift. généal. de la maifon de Fr. t. 6. p. 161. que ce fut le vendredi 19.

(2) Froiffart, liv. 1. ch. 94. p. 166.

(3) Lettres du 5 de mars 1353. Elles étoient dans le mémorial C. de la chambre des comptes de Paris, Ixxx recto [180].

(4) Froiffart, ubi fupra. Hist. généal. de la maison de France, t. 6. pp. 96. 103. & 104.

(s) Les lettres de don font au tréfor des chartres, regiftre 80. pièce 768. (6) Elles font au tréfor des chartres, regiftre 81. pièce 464.

Voyez ci-deffus,

note I.

de Bénon & de Fontenai - l'abbatu, avec ce prince qui lui avoit donné Pontoife, Beaumont fur Oife & Anièa Pr. p. 564. res a. Peut-être ces terres ne furent-elles pas livrées à Charles le Mauvais après la mort de fa mère : car, dans la dépofition de Friquet, il eft dit que le roi de Navarre Fr. p. 51. fe plaignoit que le b conneftable l'avoit déshérité & tenoit fon héritage (1); & il eft certain que le roi de Navarre prétendoit qu'il lui étoit dû une récompenfe pour

(1) Je ne fçais fi ce que dit Villani [ liv. 3. ch. 95. p. 219. ] à ce fujet, est vrai dans le fonds; mais il y a quelques circonstances qui font vifiblement fauffes. Selon lui, le roi Jean avoit donné au roi de Navarre une comté en Gascogne; mais, comme elle étoit fituće fur les frontières du pays qui étoit au roi d'Angleterre, & par conféquent expofée aux incurfions des ennemis, il en coûtoit beaucoup pour la garder & la mette hors d'infulte c'est pourquoi il la rendit au Roi, qui la donna à Charles d'Efpagne. Le roi de Navarre, qui haiffoit celui-ci, fut picqué de ce qu'il avoit accepté une terre à laquelle il avoit renoncé, & réfolut de le faire affaliner. Ce qu'on trouve dans Zantfliet [p. 259.] fur ce point n'eft qu'un tiu d'inexactitudes & do faufletés. Il dit que le Roi donna à Charles d'Efpagne une terre confidérable fituée fur les frontieres de France & de Navarre, & pour laquelle il y avoit eu autrefois un procès entre Philippe roi de France & le roi de Navarre.

Corlicu, dans fon hiftoire d'Angouleme [ liv. 3. ch. 3. p. 105.] après avoir parlé de la mort de Jeanne reine de Navarre, ajoûte ces mots : après la mort de laquelle, Jean roi de France, celui qui reprint Angoulême fur les Anglois, s'empara du comté d'Angemois & le mit en la main; nonobftant que la reine de Navarre eût laiffé des enfans, & que Charles fils aîné d'elle eût épousé la fille dudie Roi. Ce qu'il fit, connoiffant le léger courage de fon gendre [ il ne l'étoit point encore en 1349.] & pour la conféquence de la ville qu'il fçavoit fervir de frontière à fes ennemis du côté de la Guyenne.

Il feroit à fouhaiter que Corlieu eût indiqué les fources d'où il avoit tiré ce fait, dont on ne voit aucune trace dans les anciens monumens.

Dans le chapitre fuivant [p. 108.] il dit que le roi de Navarre fit affaffiner le connétable, parce qu'il étoit déplaifant de quoi le Roi lui avoit été le com→ té d'Angoulême, & penfoit que le connétable l'eût fait faire.

Mais de la Charlonye, qui a fait des notes fur l'hiftoire de Corlieu [ p. 70. ], a remarqué qu'il n'eft nullement certain que ce foit le don du comté d'Angoulême fait à Charles d'Espagne, qui ait porté le roi de Navarre à le faire affatfiner.

M. Dupuy [ droits du Roi, p. 824.] a adopté le fentiment de Corlieu : car, quoiqu'il ne le cite point, on ne peut douter que cet auteur ne lui ait fervi de guide, puifqu'il a prefque copié les expreffions.

Enfin l'auteur de la defcription hiftorique & géographique de la France [t. 1. 1. 2. p. 165.] dit qu'en 1351, le roi de Navarre fut dépoflédé du comté d'Angoulême, qui fut donné à Charles d'Efpagne, connétable de France, que le roi de Navarre fit affaffiner pour fe venger. L'erreur de tous ces auteurs vient de ce qu'ils n'ont point connu l'échange fait entre Philippe de Valois & Jeanne reine de Navarre.

le comté d'Angoulême, ainfi qu'il paroît par des a let- a Pr. p. 29.
tres du 8 de février 1358, defquelles je rendrai comp-
te dans la fuite.

b

1351.

• Pr. p. 51:

b Le haut degré d'élévation,où la faveur du Roi avoit fait monter le connétable, avoit excité contre lui une jaloufie prefque générale dans le cœur des plus grands Villani ubi feigneurs de la France. Le roi de Navarre s'y livra fupra. avec plus de fureur que perfonne, parce qu'il croyoit avoir en particulier de juftes fujets de le regarder comme fon ennemi perfonnel. Voici comment il s'en expliqua à Friquet, lorfqu'il lui fit la première ouverture des projets de vengeance qu'il méditoit contre lui. Il lui dit, en parlant du connétable, c que il li vouloit mal & le courrouceroit, & en avoit bonne caufe: car ledit conneftable l'avoit déshérité & tenoit fon héritage, avoit dit plufieurs mauvailes paroles de lui, comme de l'avoir à billonneur, Suppl. appellé. monnoier, & autres villaines paroles de li & de fes frères, & l'avoit efloignie & efloignoit de la grace du Roy entant qu'il ne povoit avoir bonne chière du Roy. On trouve auffi, dans le fecond continuateur de Nangis, qu'il y avoit eu, entre le roi de Navarre & Charles d'Espagne, une difpute vive dans laquelle ils s'étoient tenus l'un à l'autre des e difcours très picquans. Cet auteur ajoûte qu'il y avoit (1) bien d'autres caufes à lui inconnues qui fi, Villani, ubi animoient le roi de Navarre contre le connétable. La haine qu'il lui portoit devint fi furieufe, qu'il refolut de le faire affaffiner, & il fe détermina à ce crime avec d'autant moins de peine, qu'il prévit bien que qualité de gendre du Roi lui en affureroit l'impunité. Ayant appris que le connétable devoit fe rendre à Paris vers Noël [ 1353], il dit à Friquet qu'il y alloit, & que, fi il

f la

(1) Un auteur moderne [du May ] dit, fans en rapporter de preuves, que le roi de Navarre étant jaloux de l'horneur que le roi Jean faifoit à Philippe [ corr. Charles] de Caftille, connétable de France, fit femblant de croire qu'il empêchoir que le Roy ne luy fift raison des prétentions qu'il avoit fur le comté de Champagne &de Brie, à caufe de fa mère, & pour ce sujet il le fit tuer dans son liet à l'Aigle en Normandie. Science des princes par Louis du May, p. 663.

e verbis rancorc

Supra.

f Villani, ubi

Supra.

1353

il

a Pr. p. 51. y trouvoit le connétable a, il le courrouceroit, & li diroit ou feroit dire aucunes paroles de hayne avant que n'euft caufe de foi courroucier à li, & feroit garni preftement de bonnes gens pour le villener & mettre fon propos à effet. Le roi de Navarre alla à Paris; mais, peu de jours après, il revint à Evreux fans avoir exécuté ce qu'il avoit projetté; foit qu'il n'eût pas trouvé l'occasion favorable pour le faire; foit que le connétable ne fût pas venu à Paris. Charles le Mauvais étant à Evreux, envoya querir Friquet qui s'y rendit auffitôt, mais ne l'y trouvant plus, il fuivit la route que ce prince avoit prife & paffa à Nonancourt. Il trouva en pleine campagne le roi de Navarre, qui lui dit qu'il avoit appris que le connétable paffoit dans le pays; que, puifqu'il étoit si près de lui, il ne falloit pas manquer une fibelle occafion; & qu'il avoit envoyé dans la ville de l'Aigle, où on lui avoit dit qu'étoit le connétable, Gilet de Bantelu, le Bafcon de Marueil, Maubué, Colin Doubleau, & plufieurs autres Navarrois. Friquet lui demanda quel étoit fon deffein : le Roi lui dit que c'étoit de fe faifir de la perfonne du connétable, & de le tenir enfermé dans un de fes châteaux forts, jufqu'à ce qu'on lui eût rendu fon bien dont le.connétable jouiffoit, & que c'étoit le feul moyen de fe le faire rendre. Le roi de Navarre alla enfuite dans une maifon qui étoit au dehors de la ville de l'Aigle. Le lendemain de très-grand matin il revint en pleine campagne, & à peine y étoit-il qu'on vit arriver Bafcon qui couroit à bride-abbatue, & qui, lorsqu'il fut près d'eux, leur cria: C'est fait, c'est fait. On lui demanda ce qui étoit fait, & il répondit que le connétable étoit mort. Le roi de Navarre en parut très-fâché, & fe mit à pleurer très-tendrement: mais un moment après il fit affembler tous fes gens auprès de lui, & il leur dit qu'il prenoit fur lui tout ce qui avoit été fait, qu'il défendroit tous ceux qui avoient été dans fa compagnie, & qu'il ne prendroit aucunes lettres de pardon

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