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MÉMOIRES

HISTORIQUES ET CRITIQUES

SUR QUELQUES CIRCONSTANCES DE LA VIE de Charles II. Roi de Navarre & Comte d'Evreux, furnommé le Mauvais,

Sur la réunion de la Champagne & de la Brie à la Cou

ronne,

Et fur les différens Seigneurs auxquels le Comté d'Angoulême a appartenu pendant le cours d'une partie du quatorzième fiécle.

'AI l'honneur de vous préfenter, Meffieurs, des Mémoires fort détaillés & fort étendus, fur les troubles qui furent excités en France, fous les règnes du Roi Jean, de Charles V & de Charles VI, par Charles II, dit le Mauvais, roi de Navarre. & comte d'Evreux. Voyez le portrait qu'a fait de ce prince le Moine de faint Denys (1), qui vivoit de

(1) L'Hitoire que le moine de faint Denys a compofée en latin n'est point encore imprimée: elle eft confervée à la Bibliothèque du Roi. M. le

mais

fon tems. C'étoit, dit-il, un petit homme, plein d'efprit & de feu, d'un œil vif & d'une éloquence qui perfuadoit tout ce qu'il vouloit ; & avec cela fi affable & fi populaire, que, poffedant en perfection l'adreffe de fe faire aimer. il lui fut facile de gagner les efprits du peuple, & même d'attirer à foi & de debaucher plufieurs perfonnes confidérables de l'obéissance & de la fidélité qu'elles devoient au roi. Il ternit malheureufement tous ces beaux avantages de la naissance & de la nature. J'ajoûterai quelques traits à ce tableau. Ce ne fut point par des guerres & par des combats que Charles le Mauvais entreprit de faire réussir les projets ambitieux auxquels il fe livra. Jamais il ne parut à la tête d'une armée: mais attentif à profiter des conjonctures pour fomenter les diffentions qui s'élevoient en France, & pour y exciter de nouveaux troubles, les intrigues, les cabales & les crimes furent les feules armes qu'il employa. Il étoit naturellement méchant, cruel & fanguinaire les forfaits les plus horribles ne l'effrayoient point, & les empoisonnemens & les affaffinats lui étoient devenus prefque familiers. Ces crimes demeurèrent impunis. Le roi Jean & Charles V. furent même fouvent obligés d'ufer de ménagement avec cet efprit dangereux qu'ils redoutoient, &, dans les traités de paix qu'ils firent avec ce fléau de la France, l'intérêt de l'Etat les força quelquefois à lui accorder des avantages confi dérables.

Charles le Mauvais étoit petit-fils de Louis comte d'Evreux, troifième fils de Philippe le Hardi. (1) Phi lippe le Hardi laiffa trois enfans mâles. 1°. Philippe le Bel,qui laiffa auffi trois enfans mâles qui montèrent fuc

Laboureur en a donné une traduction en françois, qui a été imprimée à Paris en 1663. in fol. Voyez la Bibliothéque hiftorique du Père le Long, n°. 7313.

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(1) Hiftoire généalogique de la maifon de France par les Pères Ange & Simplicien, Tom. I. p. 88. 90. 91. 93. 95.

a

a Ibid. p. 99.

b Ibid. p. 279

281.284.

c Ibid. p. 279%

ceffivement fur le trône, & qui moururent tous trois
fans poftérité mafculine. Le fecond fils de Philippe le
Hardi fut Charles comte de Valois, père de Philippe fuivantes."
de Valois, & grand-père du roi Jean. Le troisième
fils de Philippe le Hardi fut Louis comte d'Evreux, qui
fut père de Philippe roi de Navarre & comte d'Evreux,
& grand-père de Charles le Mauvais: ainfi ce Prince
étoit coufin issu de germain du Roi Jean. Louis com-
te d'Evreux eut, entr'autres enfans, Philippe roi de 280. 281.
Navarre & comte d'Evreux, & Jeanne d'Evreux, qui
fut la troisième femme du roi Charles le Bel. Philippe
roi de Navarre époufa Jeanne de France
fille unique
du roi Louis le Hutin, dont il eut plufieurs enfans;
fçavoir, Charles le Mauvais qui fut l'aîné, Philippe de
Navarre comte de Longueville, Louis de Navarre
comte de Beaumont-le-Roger, & Blanche de Navarre,
qui fut la feconde femme de Philippe de Valois. Il eft
inutile de parler des autres.

d Ibid. 282.283.

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P. 281.

Ibid. p. 284

Charles le Mauvais naquit à Evreux en 1332. Il ne put jamais oublier que les comtés de Champagne & de Brie étoient l'héritage naturel de fes ancêtres, qui s'étoient trouvés dans une espèce de néceffité d'échanger ces belles provinces avec les rois de France; & il re paiffoit fon efprit de (1) prétentions chimériques fur la couronne. Il eft certain qu'il les a toûjours confervées dans le fond de fon cœur, quoiqu'il n'ait jamais ofé les déclarer publiquement. Lorfqu'il vint à Paris, après que Marcel, prévôt des marchands de cette ville, l'eut fait tirer du château où il étoit enfermé, il fit au peuple un difcours, dans lequel, dit Froiffart, il donna affez à entendre, par fes paroles, que s'il vouloit & chalenger le P. 207. royaume de France & la couronne, il montreroit bien par

(1) Cerruy-cy [le Roi de Navarre ] pensoit la couronne lui appartenir do chef de fa femme, & le recouvrer au milieu de l'affliction publique. Recherches de Pafquier, Liv. II. ch. vII. p. 8o. Pafquier auroit dû dire du chef de fa mere, fille de Louis le Hutin. C'eft peut-être une faute d'impreffion

f Liv. I. ch. 81%

8 Revendiquer.

droit qu'il en feroit bien plus prochain que le roi d'Angleterre n'étoit. (1) Suivant la chronique de Flandres donnée par Sauvage, il dit clairement que mieux lui appartenoit la dignité du royaume de France, qu'au roi Jean. Il a cependant quelquefois reconnu, même en public, le droit de ce prince: car, en parlant aux Parifiens en 1358, il leur dit qu'il auroit ére roi de France fi fa mere eût été homme (2,). Je ne fçais ce qui l'engagea alors à tenir un difcours fi contraire à fes prétentions & à fes fentimens : car Pierre du Tertre fon confeiller & fecrétaire, dans la dépofition qu'il fit en 1378. au fujet du procès intenté à fon maître, qui étoit accufé, entr'autres crimes, d'avoir voulu empoisonner le roi Charles V. dit * Preuves, p. 411. formellement qu'il eft certain qu'il [ le roi de Navarre] a toûjours tenu à avoir droit au royaume.

548.

Ses prétentions étoient apparemment fondées fur ce qu'il étoit fils de la fille unique de Louis le Hutin. (3) Lorfque ce roi mourut, Clémence de Hongrie fa feconde femme étoit groffe; elle accoucha d'un fils Ibid. p. 92. & nommé Jean, qui ne vécut que quelques jours. Louis le Hutin laiffa une fille nommée Jeanne, de fon premier mariage avec Marguerite, fille de Robert II. duc de Bourgogne. (4) Marguerite avoit été convaincue d'adultère, & elle fut étranglée en 1315. dans le château Gaillard d'Andeli. Jeanne fa fille fut mère de Charles roi de Navarre.

Lorfque le petit roi Jean fut mort, Philippe comte de Poitiers, frère de fon père, qui pendant la groffeffe de la reine Clémence avoit déjà été déclaré régent du

(1) Chapitre 93. pag. 195. [ Il y a 185. c'est une faute J.

(2) Chroniqne de Saint Denys, Tom. II. pag. 182. recto, col. 1.

(3) Hiftoire Généalogique de la Maison de France, Tom. I. p. 92. (4) Continuateur de Nangis, p. 68. col. 1. Le Rofier, Hift. de France fol. 71. ro. col. 2. Chron. de S. Denys, Vol. II. fol. 113. v°. a. col. Il faut corriger: Duc de Bourgogne, au lieu de Duc de Bourbon.

royaume, se fit couronner: (1) Mais Eudes IV. duc de Bourgogne & frere de la reine Marguerite, préten dit que la couronne devoit appartenir à Jeanne fa nièce, fille unique de Louis le Hutin, & il forma oppofition au (2) couronnement de Philippe le Long. Il fe tint à ce fujet à Paris une affemblée d'états, dans laquelle Philippe V. fut reconnu roi, & le duc de Bourgogne, peu de tems après, fit fa paix avec lui, & époufa la fille de ce duc. On ne peut douter que le premier article de l'accommodement qui fe fit entr'eux ne fût que le duc de Bourgogne reconnoîtreit que les droits prétendus de fa nièce, qu'il avoit voulu faire valoir, n'avoient aucun fondement mais dans la fuite, lorfque Charles le Bel fut mort fans enfans mâles, Philippe roi de Navarre, qui avoit époufé Jeanne fille unique de Louis le Hutin renouvella les prétentions de fa femme, qui avoient été abandonnées par le duc de Bourgogne, & difputa la couronne à Philippe de Valois & à Edouard III. roi d'Angleterre. La preuve de ce fait fe trouve dans un li

(1) Continuateur de Nangis, p. 72. col. 1. & 2. Chronique de S. Denys, fol. 118. v°. col. 2. 139.ro. col. 1. 119. v°. col. I.

(2) Voici, à ce fujet, un paffage d'un ouvrage non encore imprimé, intitulé: Genealogia aliquorum regum Francie, per quam apparet quantum auinere poteft regi Francorum, rex Navarre, compofé par Frère Richard a Scori, vers 1358. & qui eft en manufcrit dans la bibliothèque de S. Victor de Paris, la page fuivante,

n°. 419.

Philippus Regis Franciæ fecundus filius, Remis in Regem coronatione Regia more Francorum coronatus extitit, licet impedimentum interpofi» tum fuerit, quod fuit ortum & origo guerrarum noftri temporis quas habemus. In die namque coronationis regis, antiqua duciffa Burgundie cum » fuis adherentibus appellatione facta, eam intimari fecit proceribus & paribus regni qui coronationi intererant, & precipue prelatis, donec tractatum effet de jure quod Johanna puella juvencula Ludovici regis defuncti primogenita, habebat in regno Francie & Navarre. Hæc eft Johanna mater » iftius muris: Non obftantibus verbis appellationis, fertum coronationis

.

a

Lefcot, voyez

note (1).

b

Charles II. Roi

» fuit cum folemnitate celebratum, januis civitatis claufis, & armatis ad eo- de Navarre. >rum cuftodiam deputatis. (*) « Le Chroniqueur parle enfuite de l'affemblée de Paris, qui reconnut Philippe le Long pour Roi.

(*) Une partie de ce paffage fe trou-mée dans le premier vol. du cérém ve dans les mêmes termes dans le frag-François de Godefroy, Tom. premier, ment d'une chronique qui eft impri-pag. 145.

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