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Faut encore qu'il difcute tous les points de chronologie, & qu'il fixe, autant qu'il eft poffible, la date de tous les évenemens, foit qu'elle fe trouve dans les originaux, foit qu'il faille la déterminer par différentes combinaifons ou par des conjectures.

Lorfque,par un travail long & épineux, il a raffemblé un nombre infini de matériaux différens qui ne préfentent d'abord qu'une maffe informe, & qu'il les a fouvent remaniés, il le fait un plan général : il les difpofe enfuite avec art, il les place dans le lieu qui leur eft propre, il les lie & les unit, & de ces parties diverses il en forme un tout complet & régulier.

Son ouvrage eft le résultat des réflexions & des méditations profondes qu'il a faites en fon particulier fur les difficultés qui fe font préfentées à lui prefque à chaque pas, mais le travail pénible qui l'a produit ne s'y fait pas fentir. Sa narration coulante & fuivie eft dégagée de toute difcuffion qui pourroit en interrompre le fil, & en diminuer l'agrément; & les faits, que fouvent il n'a pu réduire à une exacte précision qu'avec des peines infinies, semblent venir d'eux-mêmes s'y placer naturellement. Le lecteur qui, fans aucun effort de fa part, voit les plus grands évenemens fe développer à fes yeux, jouit avec un plaifir pur des fruits d'un travail obftiné dont il n'eft pas en état de fe faire une jufte idée, & auquel fouvent même il ne fait pas réflexion.

Une hiftoire générale parfaite me paroît être un des chefs-d'œuvres de l'efprit humain, & il faut être bien téméraire pour ofer en entreprendre une,quand on n'a pas réuni un grand nombre de talens divers, & dont quelques-uns femblent incompatibles. En fe livrant à des recherches longues & pénibles, & à des difcuffions dont l'effet naturel doit être de deffécher l'efprit en l'inftruifant, il faut cependant tâcher de conferver un caractère qui puiffe nous faire paroître avec agrément dans le commerce du grand monde, pour y apprendre à

bien connoître les hommes, & à découvrir les refforts les plus ordinaires de leurs actions. Il faut avoir un fens droit & un difcernement jufte. Il faut avoir nourri fon efprit des maximes les plus pures de la morale, pour bien caracteriser les actions que l'on décrit, & pour pouvoir femer, mais avec modération, des réflexions dans lesquelles confifte la principale utilité de 1 hiftoire, & qui accoûtument infenfiblement les lecteurs à en produire de femblables, & à s'en faire l'application. Il faut enfin s'étre fait, par un long ufage, un ftyle propre à l'histoire & il n'eft pas facile de le faifir. Il doit être noble & foûtenu, mais en même tems fimple & naturel.

La compofition d'une hiftoire particulière demande les mêmes talens & le même genre de travail: mais,comme fon objet eft, dans un fens, moins étendu que celui de l'hiftoire générale, & qu'elle fe borne pour l'ordinaire à la vie d'un feul homme, ou tout au plus aux évenemens arrivés dans un espace de tems affez court, la forme de ces deux fortes d'ouvrages doit être différente. La vie privée des hommes, auffi-bien que leur vie publique, eft du reffort de l'hiftoire particuliere. Après les avoir repréfentés dans les grands rôles qu'ils ont joués fur le théâtre du monde, elle tire le voile pour les faire voir dans l'intérieur de leur domestique : elle peint la manière dont ils ont rempli les devoirs de la vie civile dans l'état de mari, de père, d'ami & de maître ; & ces exemples tirés de la vie ordinaire des hommes font d'autant plus de plaifir & d'impreffion qu'ils fe rapprochent davantage de l'état du commun des lecteurs auxquels ils peuvent fervir de modèles & d'inftruction. L'histoire particuliere rend compte d'un grand nombre de faits qui n'ont pas dû trouver place dans l'hiftoire générale, & il y en a quelques-uns dont celle-ci ne peut donner qu'une idée légère, qui doivent être détaillés dans l'autre avec toutes leurs circonftances.

Celui qui écrit une histoire particulière, doit s'atta

cher à recueillir certains faits qui paroiffent peu importans, mais qui fervent cependant à caracteriser les mœurs, les coûtumes & les ufages de chaque fiècle & de chaque nation. Il ne doit rien laiffer échapper de ce qui peut contribuer à faire connoître le progrès des arts & des fciences: il doit décrire avec exactitude les cérémonies:

il ne doit pas même négliger les armes & les habillemens; enfin,pour ne me pas livrer à un détail trop étendu, il doit raffembler avec un foin extrême tout ce que l'on entend communément par le mot d'antiquités, lorfqu'il s'agit de l'histoire ancienne proprement dite; c'eftà-dire de celle qui traite des faits antérieurs à l'an 400 de J. C. Je ne m'étendrai point ici fur l'utilité de ces fortes de recherches: il fuffira de dire que,dans les deux derniers fiècles, elles ont fait, du moins par rapport à l'hiftoire ancienne, le principal objet des veilles de prefque tous les fçavans qui en ont compofé une foule de traités finguliers, dont dans les derniers tems on a formé d'immenfes recueils. La matière ne feroit pas moins abondante dans l'hiftoire moderne; mais jufqu'à préfent elle a moins excité la curiofité & le goût des gens de lettres elle pourroit cependant produire un trèsgrand nombre d'ouvrages qui feroient auffi curieux & auffi intéressans, & qui du moins feroient auffi utiles que ceux que l'on a compofés dans ce genre fur l'hiftoire ancienne.

Ceux qui lifent des hiftoires, foit générales, foit particulières, croient, pour l'ordinaire, avec une pleine fécurité, & fans former aucun doute, les faits qu'on leur présente comme certains. Il faut même convenir qu'ils ne peuvent guère avoir d'autres preuves de leur vérité que la bonne foi dans laquelle ils font que celui qui les rapporte eft un homme fçavant, impartial,

exact & bon critique. Les faits fe préfentent à eux revêtus de la forme qu'ils ont prife dans l'efprit de l'écrivain. Si leur guide s'écarte, ils s'égarent avec lui prefque

fans reffource; & dans le cas même où les originaux font cités avec exactitude, le lecteur ne peut s'affurer de la vérité, qu'en faifant en fon particulier prefque le même travail, & les mêmes opérations que l'hiftorien a dû faire avant que de commencer fon ouvrage.

A l'égard des mémoires hiftoriques & critiques,ils doivent embraffer tous les faits qui entrent dans les hiftoires, foit générales, foit particulières: mais ceux qui fe bornent à composer ces fortes d'ouvrages n'ont que deux objets principaux à fe propofer. Nonfeulement ils doivent représenter avec une exactitude fcrupuleufe tous les faits de quelque nature qu'ils foient, tels qu'ils les trouvent dans les originaux, & avec toutes leurs circonstances; mais ils doivent encore,autant qu'il eft poffible, inferer les preuves de ces faits dans le corps de leurs ouvrages. Leur narration n'eft point le précis qui réfulte de la comparaifon des paffages des auteurs originaux : ce n'eft que le dépouillement de ces mêmes paffages enchaffés les uns avec les autres. L'écrivain les difcute enfuite, il les compare, il rectifie les uns par les autres ; mais il fait cette operation aux yeux même de fon lecteur avec lequel il travaille, pour ainfi dire. Ils cherchent ensemble la vérité. Nonfeulement chaque fait, & chacune de ses différentes circonftances, doit être muni d'une citation exacte : mais l'on ne peut fouvent se dispenser de rapporter les propres paroles des originaux.

J'ajoûterai, en me bornant ici à ce qui regarde notre hiftoire, que l'agrément & la néceffité doivent engager fouvent à inférer dans le corps des mémoires hiftoriques & critiques, des paffages entiers de nos vieux auteurs, foit lorfqu'on eft frappé de certaines expreffions naïves & énergiques qu'il eft fouvent impossible de faire passer dans notre langue que l'on a peut-être un peu trop énervée en la rendant plus exacte & plus polie; foit lorfqu'on ne peut pas rendre la même idée que l'on fent dans l'ori

ginal, foit enfin lorfque les expreffions font équivoques ou obfcures: car alors on ne doit pas prendre fur foi de déterminer un fens qui, peut-être, ne feroit pas celui de l'auteur.

Des mémoires hiftoriques & critiques faits fuivant la méthode que je viens de propofer, ne peuvent manquer d'être du goût de ceux qui croient que l'exactitude dans les faits eft la partie la plus effentielle & le fondement des hiftoires.

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Par leur feule lecture on peut fe trouver fans peine au même point où l'on ne feroit parvenu qu'après bien des recherches pénibles & un long travail fur les fources. On a fur les faits les mêmes notions que l'on y auroit puifées. L'efprit reçoit les mêmes idées & les mêmes impreffions qu'auroit faites fur lui la lecture des criginaux.

Si l'auteur des mémoires fe trompe, en donnant un faux fens aux paroles des écrivains qu'il fuit, ou en tirant des conféquences qui ne foient pas juftes, ou en ajoûtant, ou en diminuant quelque chofe à leurs narrations, fes erreurs ne font pas dangereuses, & le lecteur eft par lui-même en état de les rectifier.

Comme l'on connoît, par le moyen des citations, tous les monumens que l'auteur a confultés, l'on fçait auffi quels font ceux qu'il a négligés, ou dont il n'a pas eu connoiffance, & l'on peut y aller chercher de nouveaux faits ou de nouveaux éclairciffemens.

Comme la difcuffion du témoignage des auteurs originaux, foit qu'on l'adopte ou qu'on le rejette, fe fait, pour ainfi dire, fous les yeux du lecteur, & que l'on lui rend toûjours compte des raifons qui ont déterminé dans le parti que l'on a pris, il peut, l'on a pris, il peut, fans avoir lû les originaux, porter un jugement jufte fur leur caractère, fur leur mérite & fur la croyance qu'on doit leur donner; & en comparant leurs différentes narrations, leur uniformité ou leur contrariété, le tems auquel ils ont vécu, & l'autorité qu'ils doivent avoir, il est en état de fixer Tome I.

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